Climat : et si la mer devenait l’ennemie des Outre-mer ? Dès 2010 dans la série de documentaires « éclats de planète » (Ô ma planète), Dominique Martin Ferrari alertait sur ce risque

C’était avant l’accord de Paris et tout le monde croyait à une fantaisie: problèmes de submersion à Saint Pierre et Miquelon, en Guyane, en Polynésie….

Lagon de Bora Bora

Le lagon de Bora Bora, en Polynésie • ©GREGORY BOISSY / AFP Cinq ans après l’accord de Paris sur le climat, les scientifiques s’inquiètent. Le niveau des océans pourrait s’élever de plus d’1 mètre d’ici 2100. Un scénario catastrophe pour les Outre-mer.  « Outre-mer, et si on bougeait les lignes ? » fait le point sur la menace.Outre-mer la 1ère • Publié le 15 décembre 2020 à 15h07, mis à jour le 16 décembre 2020 à 11h23

Au Prêcheur, en Martinique, l’homme regarde la mer d’un oeil méfiant. Pour sauver son restaurant en bord de plage, Jojo Gustave a dû investir plusieurs dizaines de milliers d’euros pour consolider l’enrochement. La houle est souvent forte ici et son établissement est directement menacé de disparition. « Pratiquement tous les 2 ans, on a des dégâts d’eaux,raconte-t-il. On vit avec ça. Du moment qu’ils annoncent de grosses vagues, on est forcé de tout déménager et de tout remettre. »

Résignée, Marie-Claude Rinto, qui officie côté fourneaux, sait qu’elle devra abandonner son restaurant. « On envisage de déménager à long terme, avec le cœur gros bien-sûr. On sera obligés de partir un jour ou l’autre mais j’espère que ce sera la plus tard possible. »
A l’autre bout du globe, Jean-François Butaud vient inspecter la plage de Tahiamanu, à Moorea. Pour le botaniste, pas question de baisser les bras même si le combat est sans fin. Face aux assauts des vagues, amplifiés par le bétonnage illégal de la côte, le service du tourisme a choisi ici la méthode douce. 400 plantes indigènes ont été réintroduites au début de l’année 2020 pour tenter de retenir le sable. Dix mois après les plantations, c’est l’heure du premier bilan. « On a pas mal de mauvaises pratiques humaines liées à la gestion du littoral : on remblaie, on construit, on fait des épis pour garder le sable chez soi, etc. Tout ça contribue à modifier la courantologie du lagon. Le sable qui se déposait, qui venait du fond de baie, ne se dépose plus.« 

Jean-François Butaud, botaniste chargé de la revégétalisation de la plage de Tahiamanu à Moorea. Polynésie la 1ère • ©Polynésie la 1ère
Avec le réchauffement climatique, l’érosion et l’élévation du niveau de la mer menacent partout le littoral des Outre-mer. Activités humaines et espaces naturels sont déjà bouleversés. D’ici quelques dizaines d’années, des espaces côtiers voire des îles entières pourraient être tout simplement rayés de la carte.

La fonte des glaces s’accélère

Le 12 décembre 2015, au Bourget, Laurent Fabius se réjouissait pourtant de sceller à Paris un accord jugé historique pour le climat. Au terme d’âpres négociations dans le cadre de la COP21, 195 États signaient finalement cet engagement pour maintenir la température mondiale à 1,5°C d’ici 2100. Mais cinq ans après, le constat est sans appel : le réchauffement de la planète se poursuit inexorablement et avec lui, l’élévation du niveau des mers qui pourrait monter de plus d’1 mètre jusqu’en 2100.

La fonte du Groenland et de l’antarctique, en particulier, s’accélère. Le glacier de Thwaites a donné des sueurs froides l’an passé aux scientifiques. Ce glacier, situé à l’ouest de l’Antarctique, perd chaque année 40 milliards de tonnes de glace ! Sur les images satellite de l’agence spatiale européenne (ESA), on voit aussi le recul de son voisin, Pine Island, en moins d’un an. Cet autre géant est responsable de 20% de la perte totale de l’Antarctique. Plus à l’est enfin, on pensait que le Denman était à l’abri mais le glacier devient également instable selonune étude récente des chercheurs du Jet Propulsion Laboratory de la NASA.

« Une fois que ces gros monstres de l’Antarctique se mettent en déséquilibre, c’est très difficile de les arrêter, explique Eric Rignot, professeur de science du système terrestre à l’université de Californie et co-auteur de cette étude, à Outre-mer la 1ère. Il faudrait pratiquement faire revenir le climat en arrière et il y a même une étude récente qui montre que, non seulement il faudrait revenir en arrière mais même à un climat plus froid pour pouvoir les ralentir. » 

Des scénarios effrayants

Selon une autre étude menée par 22 experts publiée en mai 2019, le niveau des océans pourrait même augmenter de deux mètres d’ici la fin du siècle ! Des estimations qui dépassent les pires projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC). « Si nous vivions un tel scénario dans les quatre-vingts prochaines années, de nombreux endroits, en particulier les petites îles du Pacifique, seraient inhabitables, prévient Jonathan Bamber, glaciologue à l’université de Bristol (Royaume-Uni) et premier auteur de l’étude cité par Le MondeCela entraînerait des conséquences à des échelles qui sont inimaginables. »

L’organisation Climate Centrale, composée de scientifique et de journalistes scientifiques, propose une carte du monde permettant de visualiser l’impact de la montée des eaux d’ici à 2100. Et cette simulation, réalisée à partir des derniers modèles et études scientifiques, a vraiment de quoi effrayer les habitants des Outre-mer. On y découvre qu’en 2050, l’isthme reliant à Saint-Pierre-et-Miquelon les îles de Miquelon et Langlade devrait se rouvrir, après des siècles de fermeture. L’archipel sera alors composé de 3 îles distinctes.

Miquelon et Langlade séparées par la mer en 2050 selon Climate Central •©Climate Centrale

Des déplacements de population à envisager

En novembre 2019, un rapport du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les Outre-mer a déjà pointé ce danger et ses conséquences pour les habitants. « Considérant l’exiguïté du territoire, le bourg de Miquelon sera difficilement « habitable » sur le long terme », envisageant un nécessaire « repli territorial à long terme.».

Toujours selon ce rapport, les habitants des îles du Pacifique pourraient également voir leur vie complètement changer. « L’élévation du niveau de la mer va conduire, dans les atolls notamment, à la salinisation non seulement des terres mais aussi des lentilles d’eau douce souterraines, privant à terme les populations de leur ressource en eau douce mais aussi de l’exercice de leurs activités de culture et d’élevage, les contraignant dans les cas extrêmes à devoir quitter leur territoire. » Ainsi à Wallis et Futuna, la montée des eaux pourrait aggraver la houle cyclonique et limiter l’effet protecteur du récif corallien, ce qui, à terme pourrait aussi entraîner un déplacement des habitants résidant en bord de mer vers des zones plus hautes. Même la Guyane ne devrait pas être épargnée avec une forte érosion de son littoral.  

Pour Virginie Duvat, Professeure de géographie à l’Université de La Rochelle et contributrice au rapport du GIEC sur l’océan et la cryosphère publié en septembre 2019, les Outre-mer français seront évidemment en première ligne face à la montée des eaux.
« C’est un phénomène qui devrait être pris au sérieux par les grands décideurs de ce monde puisqu’effectivement il va renforcer trois risques préoccupants dans un certain nombre de territoires d’Outre-mer : le risque d’érosion côtière, le risque de submersion marine et puis la salinisation des sols et des nappes d’eau souterraine lors des épisodes de submersion marine. »

Des experts qui alertent

Karine Zabulon, la présentatrice de l’émission, fera donc le point de la situation avec des spécialistes, à commencer par le géographe Pascal Saffache, professeur des universités à l’université des Antilles-Guyane. Selon lui, la Martinique pourrait perdre 5% de sa superficie en 2090. Commune de la côte Atlantique, Le François, pourrait être en partie submergée d’ici 2100, selon des simulations faites par le géographe martiniquais. L’élévation du niveau des océans menace directement près de 80 000 personnes vivant sur les côtes des Antilles françaises.

Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM et Pascal Saffache, géographe et Caroline Marie, journaliste. • ©DR
Des solutions existent cependant  selon Gonéri Le Cozannet. Ingénieur de formation et docteur en géographie, il travaille au BRGM depuis 2006 dans l’unité « risques côtiers et changement climatique » de la direction des risques et de la prévention. Ses travaux de recherche portent sur les effets de l’élévation du niveau de la mer sur l’érosion côtière et les submersions marines. Il coordonne actuellement le projet de recherche INSeaPTION visant à mettre en place des services climatiques pour l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer. Il contribue également au GIEC.

Des solutions locales, Caroline Marie, journaliste à Outre-mer la 1ère, en a également vu beaucoup. Pour sa chronique Planète Outre-mer, elle sillonne les territoires et va à la rencontre de leurs habitants, confrontés au changement climatique. Elle viendra sur le plateau de l’émission partager cette expérience de terrain.

Des solutions à imaginer très vite

Des solutions à imaginer mettre vite en place pour éviter le pire… C’est justement le rôle deFrédéric Mortier, le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer. Il sera invité à débattre avec Clément Sénéchal, porte-parole Climat de Greenpeace France. L’ONG a lancé début décembre une grande campagne de sensibilisation. Greenpeace France invite les internautes à voter en ligne pour dénoncer « Les boulets du climat », ces décideurs politiques français qui ne prendraient pas suffisamment au sérieux l’ampleur du phénomène. Katherine Chatel, dirigeante d’une agence de voyage à La Réunion et ancienne directrice de l’Institut Régional du Tourisme, interviendra également pour donner la position des acteurs économiques locaux. Enfin, Bertrand Reysset, expert en adaptation climatique à l’AFD, pourra évoquer de nombreux projets et solutions déjà mises en œuvre outre-mer, notamment dans le Pacifique. L’Agence Française de Développement a en effet pris l’engagement que 50 % de ses financements annuels portent sur des projets ayant un impact direct bénéfique pour le climat.

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