IL y a plus de cinq ans , j’annonçais cette dérive en lien avec le réchauffement: j’aurais aimé me tromper: le gulf stream se refroidit

La circulation méridienne de retournement est l’un des principaux systèmes de circulation de la chaleur terrestre : il distribue, vers les hautes latitudes, les eaux chaudes des basses latitudes. Dans l’hémisphère Nord, c’est aussi ce qu’on appelle la dérive nord-atlantique et par extension, le Gulf Stream. Elle est, en partie, à l’origine du climat tempéré que l’on connait dans l’ouest de l’Europe du nord. Or, cette circulation semble s’essouffler et pourrait engendrer un climat glacial sur l’Europe…

La circulation méridienne de retournement Atlantique, ou AMOC pour « Atlantic Meridional Overturning Circulation », également appelée « circulation thermohaline » se compose notamment de la dérive nord-atlantique qui contribue à la douceur du climat de l’Europe occidentale. Cette prolongation du courant chaud, le Gulf Stream, transporte une partie de la chaleur tropicale du golfe du Mexique vers l’Atlantique nord, et joue donc un rôle majeur dans l’équilibre climatique que nous connaissons.

Le Gulf Stream est un puissant courant entraîné par les vents au-dessus de l’Atlantique Nord, il transporte environ 20 millions de mètre cube d’eau par seconde. Une partie de ce courant atteint les côtes de l’Ouest de l’Europe et contribue à leur réchauffement.

Le Gulf Stream affecte également la trajectoire des ouragans et leur puissance, principalement le long des côtes américaines.

Le Gulf Stream s’affaiblit

Des observations multiples et concordantes montrent que le Gulf Stream s’affaiblit comme jamais au cours des dernières décennies, après une stabilité de plus de 1 000 ans.
Dans une étude publiée en février 2021 dans Nature Geoscience, des chercheurs ont compilé des données dites proxy, tirées principalement d’archives naturelles comme les sédiments océaniques ou les carottes de glace, remontant à plusieurs centaines d’années pour reconstruire l’historique des flux de l’AMOC. Ils ont trouvé des preuves cohérentes que son ralentissement au XXe siècle est sans précédent au cours du dernier millénaire ; il est probablement lié au changement climatique causé par l’homme.

Des études antérieures de Stefan Rahmstorf du Potsdam Institute for Climate Impact Research et de ses collègues ont montré un ralentissement du Gulf Stream d’environ 15 % depuis le milieu du XXe siècle. « Pour la première fois, nous avons combiné une série d’études antérieures et avons constaté qu’elles fournissent une image cohérente de l’évolution de l’AMOC au cours des 1 600 dernières années. Les résultats suggèrent qu’il a été relativement stable jusqu’à la fin du XIXe siècle. Avec la fin de la petite période glaciaire vers 1850, les courants océaniques ont commencé à décliner, suivi d’un deuxième déclin plus drastique depuis le milieu du XXe siècle.« A lire sur ce sujet :

Déjà le rapport spécial 2019 sur les océans du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) concluait avec une confiance moyenne « que la circulation méridienne de renversement de l’Atlantique (AMOC) s’est affaiblie par rapport à 1850-1900 ». « La nouvelle étude fournit des preuves indépendantes supplémentaires pour cette conclusion et la place dans un contexte paléoclimatique à plus long terme« , ajoute Rahmstorf.

En cause : la fonte graduelle, et qui s’accélère, de la calotte glaciaire du Groenland, engendrée par le réchauffement climatique en cours.

« On voit clairement qu’une zone précise de l’Atlantique nord se refroidit depuis un siècle alors que le reste de la planète se réchauffe, » (voir image ci-dessus) précise Stefan Rahmstorf principal auteur d’une étude parue en 2015 dans Nature Climate Change. Les recherches antérieures avaient déjà montré que le ralentissement de la circulation thermohaline pourrait en être la cause. « Désormais, nous avons détecté des signes forts : la courroie de transmission globale a bien perdu de sa vigueur au cours du dernier siècle, et plus particulièrement depuis 1970, » précise Rahmstorf.

Du fait de l’absence de mesure directe de long terme sur les courants océaniques, les scientifiques se sont surtout appuyés sur les relevés de température atmosphériques et des eaux de surface. De plus, ils se sont basés sur des données de substitution, provenant de carottes de glace, d’anneaux de croissance des arbres, de coraux, et de sédiments océaniques et lacustres – les températures peuvent être reconstituées sur plus d’un millénaire. Résultat : les changements récents notés par l’équipe sont sans précédent depuis 900 ans avant notre ère, ce qui constitue une preuve supplémentaire de l’implication d’un réchauffement global dû à l’activité humaine.

legende densité eau

 La circulation thermohaline.
Crédit: NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio The Blue Marble Next Generation data is courtesy of Reto Stockli (NASA/GSFC) and NASA’s Earth Observatory. Source : The Thermohaline Circulation – The Great Ocean Conveyor Belt

Comment expliquer l’affaiblissement du Gulf Stream ?

La diminution de la circulation thermohaline est causée par des différentiels de densité des eaux océaniques. Au niveau de l’océan Atlantique Nord, l’eau chaude (donc plus légère) du sud s’écoule vers le nord, tandis que l’eau froide (donc plus lourde) du nord s’enfonce dans l’océan et s’oriente vers le sud. « Aujourd’hui, l’eau douce libérée par la fonte de la calotte glaciaire du Groenland interfère probablement avec cette circulation, » explique Jason Box du Geological Survey du Danemark et du Groenland.

L’apport en eau douce des glaciers allège l’eau océanique, car l’eau douce n’est pas salée : moins elle est salée et moins l’eau est dense et donc moins elle a tendance à descendre dans les profondeurs. « Ainsi, la perte de masse de la calotte glaciaire du Groenland imputable à l’homme semble bien freiner la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique, et cet effet pourrait s’amplifier si nous laissons les températures grimper davantage, » ajoute Box.

Le refroidissement observé dans l’Atlantique Nord, juste au sud du Groenland, est plus important que ce que la plupart des simulations informatiques du climat ont pu prédire à ce jour. « Les modèles climatiques traditionnels sous-estiment la réalité du changement en cours, soit en postulant une trop grande stabilité des retournements de l’Atlantique soit en sous-estimant la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, ou pour les deux raisons, » dit Michael Mann du Pennsylvania State University (USA). « Il s’agit d’un nouvel exemple d’observations qui montre que les prédictions des modèles climatiques sont par certains côtés trop conservateurs pour estimer la vitesse à laquelle se produisent certaines manifestations du changement climatique » ajoute-t-il.

l’affaiblissement de la circulation méridienne de retournement Atlantique est également liée à un refroidissement substantiel unique de l’Atlantique nord au cours des cent dernières années.

Des relevés contradictoires questionnent la communauté scientifique

Cependant, les relevés de la campagne océanographique Ovide, publiés en février 2018, montrent qu’en mer d’Irminger, entre le Groenland et l’Islande, la convection profonde a tendance à augmenter. « Avec le réchauffement des températures dans cette zone, elle devrait diminuer dans les prochaines décennies selon les modèles climatiques. Mais depuis 2014, à cause de régimes de temps particuliers, on observe plutôt une augmentation de la profondeur de pénétration des eaux de surface. » expliquent Herlé Mercier (CNRS) et Pascale Lhermi nier (Ifremer), membres du LOPS. Cette anomalie entre les observations récentes et les modèles à plus long terme interpelle la communauté scientifique et motive la réalisation de la prochaine campagne Ovide en juin-juillet 2018.

Quelles seront les conséquences de l’affaiblissement du Gulf Stream ?

Les conséquences d’une diminution de la circulation thermohaline sont complexes à cerner : une nouvelle étude publiée fin avril 2018 dans Nature Communications montre que la diminution de la circulation thermohaline s’est accompagnée de vagues de chaleur en Europe, il y a environ 12 000 ans !

Il y a 12 000 ans, durant une période froide connue sous le nom de Dryas récent, la circulation méridienne de retournement Atlantique s’est ralentie, devant refroidir l’Atlantique nord, ce qui semblait confirmé par les analyses de pollens et d’insectes… Mais l’étude de nouveaux fossiles et l’élaboration de nouvelles simulations 4 fois plus précises nuancent le tableau.

Si l’hiver et le printemps ont effectivement été bien plus froids, l’été était, lui bien plus chaud… Cela pourrait s’expliquer par la présence, à l’époque, de l’imposante calotte glaciaire Fennoscandienne de 2 km d’épaisseur au nord de l’Europe : elle aurait engendré un anticyclone qui bloque l’air glacial de l’Atlantique nord tout en apportant un ciel plus dégagé.

Bien sûr, il n’y a plus de calotte glaciaire au-dessus de la scandinavie et du nord de la Grande-Bretagne, mais cet épisode nourrit l’idée, nouvelle, qu’un affaiblissement de la circulation thermohaline peut aussi engendrer des vagues de chaleur et des sécheresses, même de nos jours.
Les extrêmes climatiques pourraient être donc plus marqués avec des hivers plus rigoureux et des étés plus secs et chauds.

Les conséquences du ralentissement de l’AMOC pourraient être multiples pour les personnes vivant des deux côtés de l’Atlantique. La côte est des Etats-Unis pourrait connaître une élevation du niveau du niveau de l’océan l’eau puisque le courant ne transporterait plus autant d’eau vers le centre de l’océan Atlantique Nord.

Quelles conséquences d’un affaiblissement du Gulf Stream sur l’Europe ?

La diminution voire l’arrêt de la circulation thermohaline dans l’hémisphère Nord fait craindre un refroidissement net au-dessus de l’Atlantique Nord, ce que les scientifiques appellent un changement abrupt de température[1].

Ce risque, popularisé mais exagéré par la fiction « Le Jour d’Après« , a été estimé par une équipe de chercheurs du laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (CNRS/Université de Bordeaux) et de l’Université de Southampton dans une étude publiée en février 2017 dans Nature Communications.
Ils ont développé un nouvel algorithme pour analyser les 40 projections climatiques prises en compte dans le rapport du GIEC de 2013. Cette nouvelle étude fait grimper la probabilité d’un refroidissement rapide de l’Atlantique Nord au cours du XXIe siècle de 10 % à près de 50 %!

Un tel phénomène pourrait intervenir d’ici seulement 20 ans et se mettrait en place en moins de 10 ans ! Un véritable changement abrupt de température qui se traduirait par un refroidissement très rapide de 2 ou 3 degrés dans la région de la mer du Labrador – l’une des rares zones de la planète qui ne se réchauffe pas depuis le début des relevés planétaires de températures. Cet arrêt du Gulf Stream, irréversible, pourrait induire « de fortes baisses des températures dans les régions côtières de l’Atlantique Nord » (CNRS, 02/2017).
C’est la côte ouest de l’Europe (de la Grande-Bretagne à l’Espagne, au Portugal en passant par la France) qui perdrait 1 à 2°C en moyenne, c’est davantage que le petit âge glaciaire qui sévissait sur l’Europe occidentale au XVIIe siècle, mais cela nous éloigne d’un âge glaciaire où les températures plongent en moyenne de 6°C.

Outre la baisse de température qui pourrait ébranler l’agriculture, les écosystèmes et la production d’énergie des pays concernés, les conséquences pourraient être multiples et planétaires en intervenant sur le stockage océanique du CO2.

Cependant, les chercheurs estiment que ce refroidissement, localisé, n’aurait qu’un impact très faible sur la poursuite du réchauffement planétaire : « le ralentissement du Gulf Stream va être une partie plutôt mineure des dangers du changement climatique, à mon avis. Ce qui m’inquiète, c’est que les événements météorologiques extrêmes vont devenir plus courants. Nous allons voir les zones humides devenir plus humides et les zones sèches devenir plus sèches. Les déserts vont s’étendre vers les pôles des deux hémisphères. Les ouragans vont se renforcer et les conditions météorologiques extrêmes seront plus courantes. » précise Arnold Gordon, professeur à Lamont-Doherty Earth Observatory (Université de Columbia, Etats-Unis).

L’Europe pourrait connaître des événements météorologiques plus extrêmes comme un changement de trajectoire des tempêtes hivernales au large de l’Atlantique, les intensifiant éventuellement. D’autres études montrent des vagues de chaleur extrêmes ou une diminution des précipitations estivales. Des recherches sont en cours pour notamment déterminer plus précisement les conséquences.

« Si nous continuons à réchauffer le climat, le système Gulf Stream va encore s’affaiblir – de 34 à 45 % d’ici 2100 selon la dernière génération de modèles climatiques« , conclut Rahmstorf dans l’étude publiée en février 2021, « Cela pourrait nous rapprocher dangereusement du point de basculement à partir duquel le flux devient instable. »

Notes

  1. « Variations de température de plusieurs degrés, survenant en moins de dix ans, sur une surface de plus d’un million de km² » (Giovanni Sgubin, climatologue à l’Université de Bordeaux interrogé par Science & Vie)

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