Polynesie: les abysses riches (vu dans LA CRoix)

La Polynésie, ses atolls, ses plages, ses eaux turquoise… Et ses ressources minérales bien cachées, à des milliers de mètres sous la surface du Pacifique. Les grands fonds marins polynésiens sont particulièrement riches en encroûtements cobaltifères, des concrétions rocheuses présentes entre 500 et 4 000 mètres de profondeur, qui recèlent manganèse, platine et, surtout, cobalt, des métaux « fabriqués » par l’eau de mer.

Les premiers échantillons y ont été prélevés dans les années 1970. Depuis, d’autres recherches ont confirmé cette présence. « On est vraiment à un stade très préliminaire des études, indique Ewan Pelleter, chercheur en géologie marine à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Nous n’avons pas une vision très détaillée des gisements et nous sommes plus sur des indices que sur des ressources. Maisil y a clairement un potentiel en Polynésie française. »

Selon les données recueillies par l’Ifremer, le secteur le plus prometteur se situe au nord-est et au sud-ouest du plateau des Tuamotu. Une zone de profondeur relativement limitée, entre 1 000 et 1 500 mètres, avec une pente peu prononcée, semble bien adaptée à une éventuelle exploitation. Qui plus est, les concentrations métalliques peuvent être plus élevées que dans des mines terrestres.

« Nous allons assister à la naissance d’une filière »

Pour l’instant, personne n’a jamais exploité d’installation minière sous-marine. Mais plusieurs pays y songent, alors que les réserves minérales vont se raréfier sur la terre ferme et les besoins augmenter, notamment pour le cobalt, composant essentiel pour les batteries. « Je reste convaincu que nous allons assister à la naissance d’une filière, avec ou sans nous », affirme Francis Vallat, fondateur du Cluster maritime français, une association qui regroupe les professionnels du secteur.

Les avancées issues de l’industrie pétrolière pourraient permettre de franchir l’obstacle technologique, à une échéance encore incertaine. Aux freins techniques s’ajoute la question de la rentabilité. « Cela dépend des tensions sur le cours des métaux, si cela devient vraiment stratégique, les industriels mettront plus de moyens »,explique Ewan Pelleter. Dans cette course où le Japon est en pointe, la France a un atout de taille : l’immensité de sa zone économique exclusive (ZEE), la deuxième la plus vaste du monde avec 10,1 millions de kilomètres carrés, dont la Polynésie représente près de la moitié.

Après quelques années de flottements, l’État vient de réaffirmer son intérêt pour ces ressources océaniques. Le dernier Conseil interministériel de la mer (Cimer), organisé en janvier, a inscrit l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins parmi les priorités de la stratégie maritime du pays. Une équipe spécifique doit être constituée pour piloter des projets, sous la direction de Jean-Louis Levet, un haut fonctionnaire qui a remis un rapport sur le sujet au premier ministre.

Le document met en avant la nécessité de mobiliser tous les acteurs concernés autour d’une dynamique collective. « La force de la France dans ce domaine reste son très bon maillage de compétences, à la fois chez les scientifiques et les industriels », rappelle Alexandre Luczkiewicz, qui anime un groupe de travail sur les grands fonds marins au sein du Cluster maritime français. L’instance a identifié des leaders mondiaux hexagonaux dans toutes les phases nécessaires. « De l’exploration à l’exploitation », précise Francis Vallat.

La France assure vouloir éviter tout dégât environnemental

Il s’agit aussi de PME, à l’image d’Abyssa. Cette entreprise a passé un contrat avec le gouvernement polynésien, en proposant une méthode d’exploration « extensive et non intrusive ». Elle est en train de développer une flotte de drones sous-marins, qui doit permettre d’améliorer la vision des ressources, mais aussi de dresser un inventaire du patrimoine marin. « Les pouvoirs publics ont besoin de ces connaissances pour prendre une décision éclairée »,rappelle Jean-Marc Sornin, le fondateur de la société basée à Anglet (Pyrénées-Atlantiques).

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Même si certaines ONG en doutent, la France assure ne pas vouloir donner le moindre coup de pioche sans avoir la garantie de ne pas créer de dégâts irrémédiables. Car les abysses ne sont pas des déserts. Elles abritent des écosystèmes encore très méconnus. Quel serait l’impact sur ce milieu si des machines devaient excaver ces roches sous-marines, entraînant vibrations, bruit et dispersion de poussière ? « On se doute qu’il y en aura, mais nos connaissances sont très faibles. On est surtout sur des hypothèses », répond Pierre-Yves Le Meur, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui a coordonné une expertise collégiale sur les ressources minérales en Polynésie française.

L’enjeu de l’acceptabilité sociale

D’où la volonté affichée des acteurs du dossier de d’abord mener des études à portée scientifique. L’autre grand enjeu reste de tenir compte de l’acceptabilité sociale d’ambitions portées par le pouvoir politique central en outre-mer. Trois campagnes d’exploration menées en 2010, 2011 et 2012 au large de Wallis-et-Futuna, dans une autre partie du Pacifique potentiellement riche en minerai, ont suscité une forte opposition locale alimentée par la méconnaissance des réalités socioculturelles îliennes, ce qui a mis un coup d’arrêt aux opérations.

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Le gouvernement de la Polynésie française est, lui, clairement demandeur de la poursuite de projets. « En plus de cette volonté, la Polynésie a pour atout ses facilités portuaires », ajoute Francis Vallat. L’archipel pourrait ainsi accueillir l’un des projets acté par le Cimer : un « démonstrateur », un site pilote qui servirait à expérimenter des méthodes d’extraction « propres » des encroûtements. Une étape de plus dans la quête d’un cobalt qui pourrait finir, un jour, par remonter à la surface.

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Deux autres types de ressources minérales sous-marines

Les amas sulfurés. Formés par l’activité hydrothermale sous-marine, ils recèlent des métaux très différents selon leur localisation. Ils sont notamment présents au large de Wallis-et-Futuna. Hors de sa zone économique exclusive (ZEE), la France, via l’Ifremer, bénéficie d’un permis d’exploration en Atlantique accordée par l’Autorité internationale des fonds marins.

Les nodules polymétalliques. Ces gros cailloux contiennent surtout du fer et du manganèse et se trouvent dans les plaines abyssales entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur. L’Ifremer est également titulaire d’un permis d’exploration les concernant en dehors
de la ZEE française, dans le Pacifique nord.

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