Delicat et difficile. Une mine d’uranium qui s’arrête : une première à suivre

Niger: fermeture d’une des plus grandes mines d’uranium. Ne pas laisser dans l’oubli ceux qui restent prés du site.
L’une des plus grandes mines souterraines d’uranium au monde ferme ses portes. La Compagnie minière d’Akouta (Cominak), filiale d’Orano Cycle (multinationale française, ex-Areva), qui exploitait depuis 1978 des gisements d’uranium dans la province d’Agadez, au nord du Niger, arrête sa production ce mercredi 31 mars. Une fermeture réalisée dans des conditions non satisfaisantes pour les ONG qui dénoncent, au-delà du coût social, un lourd héritage qui aura des conséquences sanitaires et environnementales.
Niger: fermeture d’une des plus grandes mines d’uranium

L’uranium, c’est le combustible des centrales nucléaires. Car la fission de l’uranium produit une très grande quantité d’énergie qui permet de faire tourner les turbo-alternateurs des centrales nucléaires et donc de produire de l’électricité. Un minerai très recherché par les pays qui se sont dotés de centrales électronucléaires et en particulier par la France qui dispose d’un important parc nucléaire avec 56 réacteurs en exploitation. Or, le Niger possède d’importants gisements d’uranium, c’est la principale richesse minière du pays. Mais ce secteur, qui représentait 60% des recettes d’exportation en 2010, est aujourd’hui en difficulté. Les mines seraient moins rentables depuis la chute des cours de l’uranium à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima et la Compagnie minière d’Akouta (Cominak), qui fut jusqu’à ce jour la deuxième plus grosse exploitation d’uranium du Niger, ferme. 

L’exploitation de l’uranium au Niger 
C’est dans la province d’Agadez, au nord du pays que s’est développée l’exploitation de l’uranium au Niger, sur des territoires où vivaient des populations touarègues. Une histoire industrielle qui va donner lieu à la création de plusieurs sites miniers en plein désert et à la création d’une ville, « Arlit », pour y loger les travailleurs. La ville minière compte aujourd’hui plus de 100 000 habitants. 

À l’origine de la première mine d’uranium, toujours en exploitation, créée en 1968, est la mine à ciel ouvert d’Arlit, exploitée par la société des mines de l’Aïr (Somaïr), détenue à l’origine à 69% par la société française Areva (aujourd’hui Orano Cycle) et à 31% par l’Office national des ressources minières du Niger. En 1974, au sud d’Arlit est créée l’une des plus grandes mines souterraines d’uranium du monde, dotée d’une usine de retraitement du minerai, la Compagnie minière d’Akouta (Cominak) dont les actionnaires sont Orano Cycle (34% – français), SOPAMIN (31% – nigérien), OURD (25% – japonais), Enusa (10% – espagnol). La Cominak a décidé, il y a un an, d’arrêter son activité en invoquant l’épuisement du site. 

Cette histoire minière est donc fortement liée à la France, en grande demande d’uranium pour alimenter son parc nucléaire, qui a fait du Niger sa principale source d’approvisionnement mais qui, depuis, s’est diversifiée en important de l’uranium du Canada, du Kazakhstan et de Mongolie, tout en continuant à explorer de nouveaux sites à travers le monde. Cette quête de nouveaux gisements concerne également le Niger où il pourrait être question de relancer notamment l’immense gisement d’Imouraren dont l’entrée en production a été gelée en 2014 et qui devait être exploitée par Imouraren SA, également filiale d’Orano Cycle. Un site qui aurait pu produire, d’après Areva, 5 000 tonnes d’uranium métal par an pendant trente-cinq ans et qui aurait fait du Niger le deuxième producteur mondial d’uranium. 

En 2007, à la suite d’un effondrement des cours de l’uranium, Areva perd sa position de monopole et l’État nigérien reçoit des demandes de permis de sociétés nord-américaines, australiennes, asiatiques et sud-africaines. En 2008, 139 permis de recherche et d’exploitation seront vendus en moins d’un an. Dans ce contexte, en 2007, un autre gisement voit le jour, la mine d’Azélik, exploité par la Somina, une coentreprise de l’État nigérien et de China Nuclear International Uranium Corporation, filiale de CNNC (la compagnie nucléaire nationale chinoise). Dans la région, un autre projet canadien d’ouverture de mine à récemment fait l’objet d’une inauguration, mais seules les mines exploitées par la Somaïr et par la Somina sont dorénavant en phase de production.

Niger: fermeture d’une des plus grandes mines d’uranium

L’une des plus grandes mines souterraines d’uranium du monde 
La mine de la Cominak, créée en 1974 et mise en exploitation en 1978, aura produit 75 000 tonnes d’uranium jusqu’en 2021. Soit plus d’un tiers de la production moyenne du Niger, qui est de 3 000 tonnes par an, répartie en 1 100 tonnes pour la Cominak et 1 900 tonnes pour la Somaïr. La production globale d’Orano sur l’année étant de l’ordre de 7 300 tonnes. Contrairement à la Somaïr qui est en plein air, la mine de la Cominak a été l’une des plus grandes mines souterraines d’uranium du monde avec plus de 200 km de galeries exploitées à 250 mètres de profondeur où ont travaillé 600 employés et 700 sous-traitants. Mais la décision a été prise de fermer définitivement cette exploitation car, comme l’explique Gilles Recoche, le directeur engagement, responsabilité et communication d’Orano, « l’exploitation s’arrête, car clairement les ressources sont épuisées. Bien sûr, il y a toujours de l’uranium en terre, mais encore faut-il qu’il soit exploitable, rentable et qu’il puisse permettre de payer des gens… On a commencé les réflexions sur le réaménagement du site en 2002. À la suite de cela, des décisions ont été prises à l’unanimité par le conseil d’administration en 2019 et l’arrêt de fermeture a été validé le 15 octobre 2020. » 

La mine a réalisé son dernier tir le 25 mars et arrête l’exploitation de son site le 31 mars, mais la société Cominak va continuer à exister au moins une quinzaine d’années pour gérer son démantèlement et la mise en sécurité du site, conformément aux engagements pris avec les autorités nigériennes et aux normes internationales requises pour ce type d’exploitation, selon Gilles Recoche, qui précise : « Maintenant, on va entrer dans la phase de réaménagement du site qui va durer dix ans, qui sera suivi pendant cinq ans au moins d’un monitoring environnemental de ces travaux. C’est une phase importante pour nous. Bien gérer la fermeture et le réaménagement d’une mine aujourd’hui, c’est pour nous essentiel. » 

Arlit est en deuil ! 
Dans les rues d’Arlit, l’annonce de la fermeture de l’exploitation est un choc pour une bonne partie de la population d’autant que la Cominak, qui a pris grand soin de ses 600 employés, refuse de verser des indemnités et un suivi médical à long terme aux 700 sous-traitants qui ont travaillé aussi dans la mine. Pour Almoustapha Alhacen, le président de l’ONG AGHIRIN’MAN, l’arrêt de l’activité de la Cominak est une catastrophe. « Arlit est en deuil. Pour nous, cette fermeture ne s’explique pas. Dire que c’est la fin du gisement est faux : il n’y a aucune étude qui le prouve et nous avons le problème de ces 700 travailleurs [sous-traitants] qui ont travaillé dans les mêmes conditions, qui ont été exposés aux mêmes dangers de rayonnement que leurs collègues pendant au moins 20 ans et qui ne toucheront pas de prime de licenciement économique. Pour nous, rien ne justifie la fermeture de cette mine, la main-d’œuvre est là et elle veut travailler. On a besoin de l’énergie et l’uranium est là. En moyenne chez nous, chacun a deux femmes et huit enfants et mettre ce monde sans ressource sans lui laisser le temps de préparer son avenir, c’est de l’insouciance et de l’irresponsabilité. On ne peut pas agir uniquement en fonction de l’argent, c’est cela que nous condamnons », notant avec humour et consternation que « la Cominak a organisé une fête avec méchoui et coupure de ruban pour la fermeture. Il n’y a qu’à Arlit que l’on peut voir cela. On peut se demander si ce n’est pas un effet de la radioactivité… »
Car derrière la question sociale, il y a la menace sanitaire et environnementale de la radioactivité. L’uranium est un métal radioactif qui a une période physique de 4,5 milliards d’années, c’est-à-dire que sa radioactivité n’est divisée par deux qu’au bout de 4,5 milliards d’années. Donc sa durée de vie est excessivement longue et les produits radioactifs associés à l’uranium sont pour certains très radiotoxique par inhalation et d’autres par ingestion. Or, quand on extrait de l’uranium, on remonte à la surface du sol une vingtaine de produits radioactifs différents qui vont se retrouver ensuite dans l’air, dans les eaux, dans la chaîne alimentaire, dans les sols et qui vont créer une pollution à très long terme. 

Pour Bruno Chareyron, le responsable du laboratoire de la Criirad (La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), « l’uranium et certain de ses descendants radioactifs émettent des radiations que l’on appelle les rayonnements gamma, qui sont des radiations invisibles, extrêmement puissantes qui peuvent traverser le plomb et les murs. Par conséquent, les mineurs de l’uranium sont exposés en permanence à cette radiation dont on ne peut pas se protéger car même des vêtements en plomb n’arrêterait pas ces radiations. Alors si ces matériaux sont répandus pour faire des pistes et des routes ou encore pire dans des maisons [comme cela fut révélé à Arlit par des ONG il y a plusieurs années, NDLR], cela veut dire que les habitants de ces lieux vont être exposés à ces radiations invisibles. » 

Ce risque de contamination touche particulièrement les personnels, comme le commente Bruno Chareyron. « Le suivi des travailleurs de l’uranium français montre un taux de décès par cancer du poumon 40 % au-dessus de la normale et un taux de décès par cancer du rein 90 % au-dessus de la normale. C’est pour cela que le suivi des mineurs du Niger est un enjeu très important parce que les pathologies apparaissent souvent au bout de quelques années et parfois après quelques décennies, d’où la nécessité de les suivre, de la mise en place de diagnostics, de soins et d’indemnisation sur du très long terme. Que Cominak ferme sans qu’il y ait un véritable plan de suivi des sous-traitants en particulier, ce n’est pas une attitude responsable de la part d’un grand industriel filiale d’Orano. » 

L’héritage empoisonné 
L’autre énorme sujet d’inquiétude, c’est la gestion des millions de tonnes de résidus radioactifs qu’a produits l’entreprise et l’usine Cominak et qui sont aujourd’hui à l’air libre. Ces poussières et ces gaz radioactifs se dispersent facilement et atteignent l’environnement de l’agglomération urbaine d’Akokan Arlit. La mise en place d’importantes solutions à long terme pour sécuriser et confiner ces déchets radioactifs sera le principal enjeu de la Cominak pour les années à venir. 

Pendant des décennies, des ferrailles contaminées ont été vendues sur des marchés et se sont parfois retrouvées à l’intérieur de maisons parfois pour faire des murs. La Cominak est aussi attendue sur l’identification et la décontamination de ces maisons, sans parler de l’accès à l’eau potable et à l’électricité qui risque de se compliquer une fois que l’entreprise sera partie. 

La fermeture d’une mine est toujours une affaire difficile, une mine d’uranium l’est encore plus. Orano à travers sa filiale Orano Cycle Niger qui gère la Cominak s’est engagé à être exemplaire et joue son image. La population d’Arlit attend des réponses concrètes et s’inquiète face à l’immensité du défi.

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