ORPAILLAGE ILLÉGAL: remarquable enquête (guyaweb)

COMMENT LE DÉPUTÉ LREM LÉNAÏCK ADAM SE SERT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE POUR DÉFENDRE LES INTÉRÊTS DES MINIERS
Orpaillage illégal : comment le député LREM Lénaïck Adam se sert de la commission d’enquête parlementaire pour défendre les intérêts des miniers

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Nommé président de la commission d’enquête sur l’orpaillage illégal en Guyane, le député guyanais LREM Lénaïck Adam tente d’orienter le travail parlementaire dans l’intérêt des sociétés minières, dont son père est l’une des figures, au risque de faire passer la commission à côté de ses objectifs primordiaux en faveur des populations et des écosystèmes. Second volet de nos recherches. 

L’orpaillage illégal ronge depuis plus de trente ans les bassins de vie et de subsistance de 40 000 habitants, les forêts et les fleuves, sans que les militaires français ne parviennent à le stopper.

Plusieurs centaines de sites clandestins sont disséminés sur ce territoire forestier : « 350 à 400 sites » et « 8 500 à 8 600 individus », désignés sous le terme brésilien de garimpeiros, exploiteraient illégalement de l’or aujourd’hui en Guyane, péyi grand comme le Portugal, d’après lesdonnées du général de division Jean-Marc Descoux, commandant du pôle « Outre-mer » à la direction générale de la gendarmerie nationale. La frange la plus agressive de ce trafic fait usage d’armes de guerre.

Ne respectant aucune réglementation, recourant au mercure pour amalgamer l’or, semant le chaos aux abords des villages fluviaux, responsables de l’empoisonnement  mercuriel de familles entières et participant chaque année à la déforestation de centaines d’hectares et à la destruction de dizaines de kilomètres de cours d’eau, les garimpeiros et leurs patrons sont à l’origine de troubles sociaux et environnementaux majeurs. 

En rouge, les surfaces impactées par les chantiers aurifères clandestins. Les points blancs représentent les villages. En jaune, les zones de subsistance et de grande nature. © Extrait du compte rendu n°36 du 17 février 2016 de la Commission parlementaire du développement durable et de l’aménagement du territoire.

En 2015, 90 % du petit millier d’habitants du Haut-Maroni, région frontalière avec le Suriname, présentaient un taux de mercure supérieur à la norme admise, alertait le conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane. 

Face à ce constat « alarmant »et aux « 55 millions » à « 70 millions d’euros » engagés chaque année dans les opérations militaires en forêt, il paraît pertinent que les législateurs documentent l’ampleur des dégâts et s’interrogent sur l’efficacité de la lutte militaire et judiciaire. 

En juillet 2019, quinze députés du groupe GDR (Gauche démocrate et républicaine), menés par le député guyanais Gabriel Serville, déposaient une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête parlementaire sur le sujet. Les députés souhaitaient alors « identifier les responsabilités liées à l’empoisonnement des populations », « évaluer l’efficacité des politiques publiques, en particulier des opérations Harpie » et « poser la question de la pertinence de l’indemnisation des victimes empoisonnées au mercure ».

Cette commission a finalement vu le jour en février 2021 (Guyaweb du 12/02/2021 et du19/02/2021). Le député guyanais LREM Lénaïck Adam, secrétaire du bureau de l’Assemblée nationale en a été nommé président.

Mais le positionnement de M. Adam interpelle depuis le démarrage de cette commission. Sous sa présidence, celle-ci prend des allures de tribune pour l’exploitation minière légale, s’éloignant à plusieurs reprises de sa mission initiale.  

Lors de l’audition du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, le 17 mars 2021, dès le début de l’échange, Lénaïck Adam est allé droit au but : « est-ce que la solution, ce ne serait pas d’installer des opérateurs partout où il y a des gisements ? » A plusieurs reprises, comme en témoigne la vidéo de l’audition, le Guyanais se fait remarquer par son insistance à faire dire au ministre que l’installation d’exploitants légaux est une action prioritaire du programme de lutte contre les flux clandestins. Le député Adam pose l’équation dans ces termes : « Aujourd’hui est-ce qu’on accompagne véritablement les opérateurs qui sont légaux ou est-ce qu’on laisse faire les opérateurs illégaux ? »

Le député LREM n’a pas eu de difficultés majeures à faire abonder, ce jour-là, Sébastien Lecornu dans son sens, lequel s’est drapé avec une légèreté inquiétante de l’habit du novice. « J’ai la faiblesse de penser que plus on structure la filière légale, mieux on lutte contre l’orpaillage illégal », a-t-il reconnu au cours de son audition, rejouant la fable d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs à l’Elysée comme à Bercy. 

Mais pour Gabriel Serville, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire : cette affirmation « est un leurre. Je n’y crois pas du tout ».

La député (LREM) du Val-d’Oise Cécile Rilhac est même allée plus loin en modifiant le sens même d’un rapport du WWF qu’elle a cité alors qu’elle présidait la séance du 24 mars en l’absence de M. Adam : « selon le rapport de WWF en 2018, cette présence des miniers légaux est dissuasive vis-à-vis de l’orpaillage illégal … Comment est-ce que l’Etat gère cette possibilité de déléguer aux orpailleurs légaux des territoires ?» a-t-elle questionné la conseillère technique Outre-mer auprès du Premier ministre, Virgine Klès.

C’est pourtant l’exact opposé qu’avançait l’association environnementale dans ce rapport de 2018,page 11 : « aucune corrélation » n’est constatée entre le nombre de sites illégaux et celui des autorisations d’exploitation délivrées à des sociétés légales mentionne le rapport. « L’hypothèse d’une présence dissuasive des opérateurs miniers légaux a été testée sous forme de politique officielle de lutte (…) depuis plus de trois ans, cette procédure n’est plus utilisée dans le cadre des efforts de lutte contre l’orpaillage illégal ».

Cette petite musique se fait également entendre sur les bancs de l’Assemblée nationale où est actuellement débattu le projet de loi Climat qui comprend une réforme du droit minier. A cette occasion, Lénaïck Adam a présenté plusieurs amendements visant à instaurer des dérogations en faveur des sociétés et entreprises minières. Ses propositions ont reçu des avis défavorables de la part du gouvernement, principalement au nom du respect de l’égalité entre les territoires. 

« L’essentiel pour moi (…) c’est de faciliter la vie des légaux parce qu’il y a tellement d’obstacles qu’à la fin, c’est les légaux qui sont dissuadés et qui ne font pas ce qu’ils ont à faire et on laisse la place à tous ces clandestins » affirme le député de 29 ans à Guyaweb à propos de son engagement dans la réforme minière en cours. En ce qui concerne les attendus de l’enquête parlementaire qu’il préside, il se félicite d’ores et déjà d’un supposé effet ruissellement, « eh bien tant mieux, si ça va bénéficier aux légaux, ils vont payer des impôts, ils vont recruter … ».

Le fait que Lénaïck Adam soit aussi le fils d’un entrepreneur de l’or, Abango Adam, qui porte actuellement des nouveaux projets aurifères dans l’ouest guyanais, n’est sans doute pas étranger à de tels positionnements. 

Lors de la réunion constitutive de la commission d’enquête parlementaire, en février, le député, aussi conseiller municipal d’opposition à Saint-Laurent du Maroni, a reconnu sa proximité avec la filière en rendant publique la profession de son père – « orpailleur minier » – parlant ainsi d’un monde qu’il connaît bien « sous son versant légal ». Lénaïck Adam précisait à ses collègues avoir « communiqué tous les éléments nécessaires au déontologue de l’Assemblée nationale ». Ce dernier a invoqué la confidentialité de ses avis pour ne pas nous en préciser la teneur.

« Lénaïck Adam sait qu’il a le devoir de fouiller, de creuser pour connaître la vérité, et il n’y a pas que lui dans la commission. Je me disais que c’était un moindre mal [sic] et que cela ne risquait pas d’être une gêne pour les membres de la commission » nous répond Gabriel Serville, que nous avons questionné sur ce mélange des genres, d’autant qu’il est à la l’origine de la nomination de son collègue guyanais à la tête de la commission. « C’est parce que c’est dans sa circonscription qu’il y a le plus fort taux d’orpaillage illégal » s’en explique le député GDR.

Malgré tout, Lénaïck Adam a publiquement omis d’évoquer le passif environnemental et social des activités de son père.

Car Abango Adam n’est pas un opérateur minier exemplaire. Son activité passée est entachée d’irrégularités au code de l’environnement et au code minier comme nous le révélons et elles ont été sanctionnées à la fois par Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre en charge des mines et plus récemment par une condamnation en justice, contre laquelle l’intéressé a fait appel. 

Au cours de son audition en mars, Sébastien Lecornu a d’ailleurs justement rappelé que les exploitants légaux ne sont pas exempts de certains méfaits reprochés à l’orpaillage illégal. Il a souligné « [l]es obligations environnementales de remise en état de[s] site[s] [miniers, ndlr]». Ce sujet est un point d’inquiétude en Guyane d’autant qu’il est scientifiquement établi depuis 2019 que l’activité minière artisanale contribue au rejet de mercure dans l’environnement. L’impact  est d’ailleurs aggravé lorsque les mines sont laissées à l’abandon.

Le rapport final de la commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal est attendu pour juillet-août 2021.

Enquête d’Hélène Ferrarini et Marion Briswalter

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