guyaweb: journées des peuples autochtones en Guyane, revendication sur le foncier

Actualités | Grand conseil coutumier |  Publié le 09/08/2022 à 20H19 |  Mis à jour le 10/08/2022 à 01H57  |  Par : Philippine Orefice – Guillaume Reuge

Les revendications sur le foncier au cœur de la Journée internationale des peuples autochtones

Sur l’île de Cayenne comme à Saint-Laurent du Maroni, la Journée internationale des peuples autochtones a été l’occasion de revenir sur la question de la restitution du foncier et sur une meilleure consultation des populations. En toile de fond, le dossier qui oppose le village de Prospérité à la société CEOG et la mise en place très attendue de l’EPCCE, chargé de la rétrocession des 400 000 hectares aux populations autochtones.

Démarrée vers 6 heures ce matin à Saint-Laurent, la « marche de la dignité et du droit à la vie » a réuni une quarantaine de personnes sous un soleil de plomb. C’est peu mais ce sont les personnes vraiment « déterminées » qui ont fait le déplacement affirme le yopoto du village Prospérité, Roland Sjabere. Si la Journée internationale des peuples autochtones est suivie à chaque 9 août, les « marches » revendicatives sont plus rares. De tête, Christophe Pierre, figure militante Kali’na et candidat malheureux aux dernières législatives, présent ce matin, en compte quatre depuis le discours fédérateur de Félix Tiouka à Awala en 1984, avec une dernière en 2018 contre le projet Montagne d’or. 

Remise d’une motion portant sur le foncier et le consentement « libre et éclairé »

De cette détermination est ressortie une « motion générale des peuples autochtones » présentée par Jocelyn Thérèse, conseiller territorial délégué aux Relations avec les Peuples Autochtones et membre de la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane (FOAG). Elle a été remise à la maire de Saint-Laurent, Sophie Charles, à une représentante du sous-préfet actuellement en congés, et au président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), Gabriel Serville, qui avait fait le déplacement jusqu’à Saint-Laurent tout comme le sous-préfet aux communes de l’intérieur, Guillaume Brault. 

Cette motion de quatre pages qui parle au nom des six peuples autochtones de Guyane, interpelle plusieurs niveaux d’autorités : « la commission européenne »« l’Etat de tutelle » et « la collectivité de Guyane, [les établissements publics de coopération intercommunale], [les] municipalités de Guyane ». Au delà de l’épineuse question de la ratification de la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) par la France souhaitée par les signataires, la motion porte surtout sur « le droit à la terre » et « le droit au consentement : libre et éclairé ». 

De fait, il y est demandé une « réforme »  du Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenge (GCC) en un « grand conseil des populations autochtones de Guyane ». Selon Jocelyn Thérèse, le système organisationnel de la coutume instauré par l’Etat français pour les populations autochtones n’est pas satisfaisant et « l’octroi de la personnalité morale et la capacité juridique comme collectivités aux chefferies autonomes » est l’outil nécessaire pour la gestion du foncier. 

Pour Sophie Charles, « il est de notre devoir d’élu de recueillir ces doléances ». La maire de la commune a par ailleurs annoncé vouloir « créer une commission de consultation » et se poser aux côtés des populations « concernant la modification statutaire […] parce que le foncier est la base du développement du territoire et de votre mémoire. » Du côté de la préfecture, Guillaume Brault a affirmé que « les choses avancent, pas aussi rapidement qu’on voudrait mais elles avancent » évoquant par ailleurs les réunions mensuelles avec le GCC concernant le foncier, dont le nouveau président, Bruno Apouyou, n’était pas présent à Saint-Laurent. 

Le dossier Prospérité au cœur de la marche

Difficile de ne pas mettre en perspective cette marche avec le dossier qui oppose depuis plusieurs années le village Prospérité à la société CEOG qui souhaite installer une centrale électrique à hydrogène à proximité du village. L’ironie veut par ailleurs qu’un black out se soit déclaré dans la nuit. 

La marche a débuté au village, une manière pour le Yopoto Sjabere de souligner l’importance de respecter le « consentement libre et éclairé » qui lui aurait fait défaut lors des premières discussions avec CEOG. Toutefois, les revendications de ce 9 août « dépassent le cas de Prospérité » assure-t-il. En juillet, le tribunal administratif a rejeté la demande du village de « revoir l’autorisation environnementale » octroyée à la société CEOG (voir Guyaweb du 13/07/2022). Aujourd’hui, la réflexion du chef porte sur l’éventualité de suites juridiques ou une opposition « physique » à l’instar des barrages montés plusieurs fois par le village, nous indique-t-il. 

Le chaman Ruben Makosi assisté de son fils à qui il transmet son savoir-faire

250 km plus à l’Est du département, une cérémonie chamanique a été organisée au rond-point Califourchon de Matoury, sous la bienveillance de la statue du Chaman fraîchement rénovée après avoir été vandalisée en avril. 

Ruben Makosi, chaman venu du village Balaté (Saint-Laurent), a dirigé la cérémonie au pied du totem représentant les six nations amérindiennes de Guyane. Un symbole de l’unité des peuples autochtones, également unis sous une même bannière, créée en 2011.

« Mais l’appropriation de ce drapeau date vraiment de 2017 et du mouvement social. Aujourd’hui, il est fièrement arboré à l’entrée de chaque village », appuie Anne-Marie Chambrier, la présidente de la Fédération Lokono de Guyane. 

C’est dans ce creuset revendicatif qu’est aussi né l’accord de rétrocession des 400 000 hectares en faveur des peuples autochtones. Pilier des revendications amérindiennes, il a occupé une place importante dans l’allocution du président de la CTG. Gabriel Serville a souligné sa volonté d’être dans « l’action » sur cette question foncière en mettant rapidement en place l’établissement public en charge de gérer les terres rétrocédées comme le prévoit l’Accord de Guyane de 2017.

Après cinq années d’atermoiements, le dossier semble avancer ces derniers mois. Le « blocage sur la gouvernance de l’établissement avec l’ancienne mandature Alexandre » est levé d’après Sylvio Van der Pijl, 1er vice-président du Grand conseil coutumier. 

En effet, un accord a été trouvé sur ce point entre la CTG et l’organe consultatif représentant les peuples autochtones. Signé le 10 mars, il porte sur la composition du futur conseil d’administration de l’Établissement public de coopération culturelle et environnementale (EPCCE, loi Erom). Sa gouvernance tripartite – État, CTG, GCC – réserve huit sièges par entité dans le futur conseil d’administration.

Dans l’accord de mars, la CTG s’est engagée à ce que le pilotage de l’établissement soit garanti aux peuples autochtones. La Collectivité conservera ses 8 sièges, mais promet d’aller dans le sens de la vision du Grand conseil coutumier. Uniquement politique, cet accord reste fragile, sous la menace de divergences politiques ou d’un changement de majorité à la tête de l’exécutif guyanais. 

« Nous avions préconisé de l’inscrire dans la loi pour le pérenniser », précise Gabriel Serville, « mais l’État, et on peut le comprendre, n’a pas souhaité modifier la loi en se basant sur une reconnaissance d’appartenance communautaire et ethnique, contraire aux caractéristiques même de la République française et de la Constitution. »

Dans ces conditions, le président ne peut donner aucune garantie du respect de cet accord au-delà de sa mandature. Il ne peut qu’espérer que « cette volonté de laisser la gouvernance aux peuples amérindiens puisse perdurer dans le temps, car le travail que nous avons entamé aujourd’hui n’est qu’un élément parmi la somme de décisions et d’objectifs que nous allons devoir nous assigner pour que les populations amérindiennes se retrouvent à la juste place qu’elles méritent ».

Gabriel Serville, président de la CTG, a assisté à la cérémonie chamanique aux côtés de Serge Smock, maire de Matoury et président de la CACL, Patrick Lecante maire de Montsinéry ou encore Jean-Claude Labrador, édile de Roura

« D’abord définir le cadre » 

Certes fragile, cet accord va tout de même permettre d’avancer sur la rédaction des statuts et du règlement intérieur du conseil d’administration. Deux préalables qui doivent être finalisés d’ici à la fin de l’année. « C’est une étape essentielle, sans CA, il nous sera difficile de parler moyens humains et financiers dont nous devrons convenir avec la CTG et l’Etat. On doit d’abord définir le cadre, les instances, avant de discuter des compétences, du zonage… », estime Sylvio Van der Pijl. Un groupe de travail mixte, installé en janvier, s’y attèle. 

Restera à définir qui siégera dans ce conseil d’administration. Les négociations au sein du Grand conseil coutumier, qui auront lieu lors de la plénière de l’organe en octobre, s’annoncent serrées. 

Actuellement, le GCC est composé de deux collèges (amérindien et bushinenge) de 6 membres chacun. Sauf que 8 sièges sont réservés au Grand conseil coutumier au sein du futur EPCCE. « Nous allons enfin entrer dans le vif du sujet », estime Christophe Pierre, vice-président du Grand conseil coutumier et porte-parole des Jeunesses Autochtones. « C’est maintenant que les tensions risquent d’apparaître.»

Viendra ensuite la question du financement, essentielle pour faire fonctionner cet établissement. D’après l’Accord de Guyane, il est à la charge de l’État et de la CTG. « Ce sujet est déjà sur la table, n’est pas tabou », assure Gabriel Serville qui promet que la Collectivité assumera sa part lorsque les « besoins » de l’établissement « seront définis »

Une fois doté de moyens humains et financiers, l’EPCCE pourra se pencher sur la question des compétences. « Est-ce que l’établissement sera doté de droits de préemption ? Sera imposable ? Pourra revendre ses terres ? Tous ces sujets, contre lesquels nous sommes opposés, sont sur la table », égraine Christophe Pierre qui participe aux échanges avec l’État et la CTG au sein du groupe de travail. 

Et lors de ces discussions, un besoin est apparu au Grand conseil coutumier. Celui de se « structurer juridiquement » préconise son vice-président Sylvio Van der Pijl. « Pour l’instant, nous sommes juste un organe consultatif. Nous aurons sûrement besoin de nous doter d’une personnalité morale pour gérer l’établissement public.»

Le chemin vers la rétrocession est encore long.

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