vu dans ATHENA21.org: L’Ukraine et les failles de l’ONU

10 janvier 2023

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ONU
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Nous sommes en effet devant une contradiction insurmontable : soit amplifier l’aide militaire à l’Ukraine et entrer en situation de co-belligérance menant à un affrontement généralisé, soit laisser ce pays martyr dans le pourrissement d’une guerre et d’une occupation de son territoire qui peuvent s’éterniser. Dans tous les cas, le coût environnemental est incommensurable avec les émissions de CO2 dégagées par les opérations militaires et les conséquences à venir du rebond des industries d’armement déclenché par ce conflit. L’effort budgétaire des pays engagés dans cette course amputera d’autant les dépenses sociales attendues. Le commerce mondial est désorganisé aux dépens des personnes les plus vulnérables. Enfin, la dialectique ami/ennemi va cristalliser les haines ouvrant la voie aux mémoires meurtries et aux désirs de revanche.
Etendre le principe de neutralité
Mais sommes-nous vraiment enfermés dans ce dilemme sans porte de sortie ? Non, car il faut, en même temps que l’on recherche la victoire, penser à un avenir possible demain avec l’ennemi d’aujourd’hui. Dans cet esprit, s’il faut accepter l’Ukraine au sein de l’Union européenne (U.E.) – car rien ne s’oppose à ce que ce peuple rejoigne ceux qui ont uni leur destin dans une Europe politique –, il n’en va pas de même pour l’élargissement de l’OTAN. Accepter que l’Ukraine, la Suède et la Finlande intègrent cette alliance militaire n’est pas la voie permettant d’assurer la sécurité de ces pays. Pour répondre à leur juste souci de sécurité, il faut étendre le principe de neutralité au cœur de l’Europe en une sorte d’arc de neutralité. Mais la neutralité est fragile, aussi doit-elle être garantie par les instances internationales mondiales.
L’ONU ne tient plus son rôle de tiers impartial entre les Etats, de manière à éviter qu’un conflit entre eux ne serve d’étincelle à une nouvelle déflagration planétaire. C’est là que vient le plus difficile en raison de l’effacement de l’Organisation des Nations unies (ONU). L’échec se décline à travers le privilège exorbitant accordé à cinq membres qui peuvent paralyser le système pour la défense de leurs propres intérêts, l’impossibilité en résultant pour le Conseil de Sécurité de jouer son rôle de juge de paix, le renoncement du monde entier au désarmement pourtant mis à la charge du Conseil de sécurité par l’article 26 de la Charte la non-constitution des forces internationales collectives en cas de nécessaire intervention au nom de la communauté, le mélange des genres, impardonnable, avec la délégation donnée à l’OTAN de mener certaines interventions au nom de l’ONU, l’infidélité des pays occidentaux aux valeurs défendues en théorie, et, à partir de là, le discrédit grandissant de l’Organisation aux yeux des peuples du monde. Mais le texte de la Charte bloque toute réforme démocratique de l’ONU, puisqu’il faut l’accord des cinq membres permanents, lesquels ne sont d’accord que sur le maintien de leur statut privilégié. Et il semblait, jusqu’en ce début de 2022, que nous n’avions plus qu’à réfléchir abstraitement à ce que pourraient être de nouvelles institutions de la communauté mondiale afin d’être prêts si une nouvelle catastrophe entraînait l’ONU dans les poubelles de l’histoire.
Les événements en cours, en nous rapprochant de la possibilité de la catastrophe, militaire, écologique ou sociale, changent les perspectives. Les peuples qui composent la majorité du monde ont pris récemment [le 26 avril] une initiative audacieuse (résolution A/RES/76/262 de l’Assemblée générale) en exigeant d’exercer leur contrôle sur l’usage du veto par la tenue d’un débat à l’Assemblée Générale après chaque usage de ce privilège. Il y a là un premier pas dans le refus de la domination que les cinq Etats vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale avaient conservée à leur profit. Or, là est bien la question centrale du monde à venir, celle de l’élimination des risques de domination.
Renoncer au droit de veto
Le temps est donc venu, pour tous les peuples et tous les acteurs de la société civile, d’imaginer une nouvelle organisation mondiale des peuples qui leur garantirait de vivre en paix et en liberté. Cela ne veut pas dire seulement de vivre sans l’effroi de la guerre, mais aussi de bénéficier d’une vie juste et bonne. Il faut pour cela la certitude qu’un tiers impartial tranchera les différends avant qu’ils ne s’enveniment, en même temps que doit s’ouvrir la perspective d’une sortie du capitalisme militarisé qui domine actuellement le monde.
Si un projet élaboré dans ce sens prenait forme (et diverses initiatives ont produit des dossiers qui peuvent servir de base à la réflexion), alors il faudrait défier les cinq membres permanents (P5) de renoncer à leur droit de veto à l’occasion de son adoption. Cette minute de vérité mettrait les Etats-Unis devant l’obligation de renoncer à leur position hégémonique. Elle contraindrait la France et le Royaume-Uni à cultiver leur aura à partir des valeurs humanistes et démocratiques qu’elles ont produites dans l’histoire, mais qu’elles n’ont cessé de brouiller par des politiques de puissance. La Russie y trouverait la garantie d’être respectée, mais au prix du renoncement à ses rêves de reconstitution d’empire ; et la Chine devrait cesser les manœuvres insidieuses qu’elle mène depuis des années pour prendre le contrôle du système institutionnel international. Défiant ces pays dominants de se situer dans la communauté des peuples à égalité avec tous les autres, cette démarche permettrait que se lève un jour nouveau sur une humanité écrasée par les périls. Cela n’est pas à l’ordre du jour ? Il dépend de nous de l’y mettre.
Monique Chemillier-Gendreau
Professeure émérite de droit public et de science politique
Texte publié initialement dans ‘Le Monde’ le 24 mai 2022
Avec l’aimable autorisation de l’auteure

Annexes :

Contrer la domination et ouvrir la perspective d’un autre monde

Pour un Conseil mondial de la Résistance

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