Entre atome et renouvelables la France ne veut pas choisir

Entre nucléaire et renouvelable, le gouvernement français a réaffirmé la semaine dernière qu’il ne voulait pas choisir. Or, ses offensives de dernière minute contre la directive renouvelable trahissent un lobbying qui, sous couvert de défendre l’atome à Bruxelles, pourrait risquer de déstabiliser les investissements dans la décarbonation. Tout le contraire des objectifs proclamés par le président de la République, Emmanuel Macron.

Mardi après-midi (16 mai), l’Assemblée nationale adoptait définitivement le projet de loi de relance du nucléaire porté par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Le matin, la ministre réunissait à Paris plusieurs représentants d’États européens autour de l’ « alliance du nucléaire », groupe pro-nucléaire qu’elle a initié le 28 février dernier.

Les réunions, auxquelles a pris part la commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simson, se sont conclues par une déclaration conjointe enjoignant l’UE à soutenir les politiques de relance du nucléaire.

Les anti-renouvelables s’en sont réjouis, bien heureux que la France se fasse le porte-voix de l’atome en Europe.

Les mêmes ont ensuite crié à l’inutilité, à « l’erreur stratégique » quand Agnès Pannier-Runacher a déclaré qu’elle participerait aux prochaines réunions des « amis du renouvelable », groupe initié par l’Autriche en miroir de l’ « alliance du nucléaire ».

Heureusement, tous les partisans du nucléaire en France ne partagent pas cette analyse.

« La présence de la France au sein de ce groupe [amis du renouvelable] permettra de s’assurer qu’il respecte bien la vocation affichée dans son nom », car « vu les positions de l’Autriche […], il était à craindre que derrière un nom affichant un soutien aux renouvelables, ce groupe ne se transforme, in fine, en alliance d’opposition au nucléaire »répond en ce sens l’ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique, Maxence Cordiez.

Mais le lendemain (17 mai), une information circule à Bruxelles : la France bloquerait les discussions sur la directive énergies renouvelables (RED3), alors qu’un accord politique avait été trouvé avec le Parlement européen deux mois auparavant.

La France et d’autres États membres auraient en effet demandé de « préciser les modifications apportées par la Belgique et les Pays-Bas sur la mise en œuvre des objectifs hydrogènes », précise le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.

Il s’agirait d’ajouter des ajustements aux règles de décarbonation de l’hydrogène pour la production d’ammoniac très difficile à décarboner par électrolyse, nous explique-t-on dans l’industrie de l’hydrogène française.

Mais c’est un autre point, plus fondamental, qui retient de longue date l’attention des décideurs français.

La directive renouvelable reconnaît que les États membres ayant un mix énergétique composé d’énergie nucléaire peuvent bénéficier d’aménagements dans l’atteinte de leurs objectifs de production d’hydrogène renouvelable.

Une victoire pour la France et ses alliés, mais à la Pyrrhus. Les critères pour bénéficier de cet assouplissement sont trop difficile à respecter, voire impossible, alertent certains experts et acteurs de la filière.

Le sourire esquissé par Markus Pieper, rapporteur du Parlement européen sur RED3 et opposant au nucléaire, ne laissait en effet aucun doute à ce sujet.

Remous au Parlement

De ce point de vue, l’objection française à la directive renouvelable apparaît davantage comme une riposte, une manœuvre visant à obtenir de nouvelles concessions sur l’hydrogène d’origine nucléaire.

Or, même au sein de la majorité présidentielle au Parlement européen, la méthode choisie étonne.

L’eurodéputé français Christophe Grudler, rapporteur du groupe Renew sur la directive renouvelable et premier défenseur du nucléaire à Bruxelles, a déclaré qu’il regrettait le report de l’examen de la directive. « C’est MAINTENANT que nos industries des renouvelables en Europe ont besoin de règles claires ! » a-t-il tancé. 

D’autant que l’élu européen appelait quelques jours auparavant à accélérer la ratification du texte

Pire encore, selon des diplomates européens, la France userait de méthodes déjà dénoncées chez son voisin, lorsque les autorités allemandes ont rouvert les négociations sur la fin des voitures thermiques en 2035 après un accord en trilogue. 

Nul doute que le précédent allemand a ouvert une brèche dans laquelle les « grands » pays de l’UE pourraient s’engouffrer à chaque mécontentement sur un texte approuvé, pense l’un d’entre eux. 

Un autre va même plus loin, dénonçant un « mauvais jour pour la démocratie ».

Dès lors, les partisans du renouvelable s’interrogent sur les intentions de la France : n’est-ce pas contradictoire avec le besoin de stabilité que de bloquer l’approbation de textes déjà négociés ? N’est-ce pas contradictoire avec la volonté de rejoindre le groupe des « amis du renouvelable » ?

Les lobbyistes de l’hydrogène eux-même, bien que mécontents des critères drastiques appliqués à l’hydrogène d’origine nucléaire dans la directive RED3, avaient déclaré qu’il fallait désormais avancer, notamment pour se jeter dans la prochaine bataille : faire reconnaître le rôle du nucléaire dans la production de carburants durables pour l’aviation à travers le règlement ReFuelEU.

Or, le report des discussions sur la directive renouvelable ferait peser un risque sur le calendrier de ce texte. 

La stratégie française ne fait plus aucun doute : redorer le blason du nucléaire qu’elle considère indispensable pour atteindre les objectifs du Green deal européen. Une nécessité surement, mais la méthode employée est, quant à elle, largement critiquable. Un drôle de jeu qui suscite l’incompréhension à Bruxelles et pourrait nuire à la crédibilité de la France. 

–  Paul Messad 

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