Brice Lalonde : « La transition écologique, variable d’ajustement »

TRIBUNE

TRIBUNE. L’ancien ministre de l’Environnement appelle le gouvernement à concentrer ses efforts sur les mesures de décarbonation, plutôt qu’à se disperser.

Brice Lalonde*Publié le 03/03/2024 à 13h00

Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, est président de l’association Équilibre des Énergies.
Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, est président de l’association Équilibre des Énergies. © DR

Les États sont endettés, la croissance est atone, les guerres se rapprochent, les électeurs se tournent vers les partis nationalistes. C’est le moment de réduire les dépenses les moins urgentes et l’ardeur des parlements : priorité à la paix sociale, à la défense et au redressement des comptes publics.

Comment faire des économies et calmer les Français ? Parbleu… En ralentissant la transition écologique puisque la fin du monde paraît lointaine quand la fin du mois se fait pressante. Pourtant, la Commission européenne vient de pousser son chant du cygne en proposant une réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre en 2040, tandis que le président de l’excellente COP28 réclame des trillions de dollars pour terrasser enfin le changement climatique, devenu un tueur en série.

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L’électrification patine

Comment conseiller le gouvernement ? L’un des grands succès de la mandature européenne qui s’achève est le démarrage de l’électrification des véhicules légers. Ce n’est pas une mince affaire d’avoir forcé l’industrie automobile, et tous ses fournisseurs, à une telle métamorphose en si peu de temps, sous la menace d’une concurrence chinoise aiguisée.

Si la réindustrialisation est le maître mot du moment, voilà une immense industrie qu’il faut préserver et encourager, d’autant plus qu’elle est à l’origine d’une part majeure de nos émissions nuisibles. Or, l’électrification patine. Les voitures sont encore trop chères. Tous les Français n’ont pas accès à un point de recharge au domicile ou au travail. Ne relâchons pas nos efforts mais concentrons-les. Napoléon avait bien dit qu’on ne pouvait vaincre tous ses ennemis d’un seul coup. Il faut les vaincre séparément.à lire aussi Plan d’économies : le détail des 10 milliards d’euros de coupes budgétaires dévoilé

Le ministre de la Transition reconnaît que la France ne fera pas 200 000 rénovations lourdes en 2024. Passer de 70 000 en 2023 à 200 000 en 2024 était évidemment chimérique – le coût en aurait été exorbitant –, même si le gouvernement a sagement diminué l’ambition de ces rénovations qui, de performantes et globales, ne seront plus que d’ampleur.

Mais imposer a minima deux gestes d’isolation et l’intervention d’un accompagnateur avant d’accepter de soutenir le remplacement d’une chaudière a cassé le marché des pompes à chaleur alors que le gouvernement déclarait vouloir les promouvoir. Au fond, le programme de rénovation souffre d’un défaut majeur : on ne sait pas s’il vise la réduction de la consommation d’énergie ou celle des émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’est pas la même chose.

Choisir le climat avant l’énergie

Et par-dessus le marché, il s’appuie sur un indicateur biaisé, le DPE. Ce n’est pas une mauvaise idée de mesurer la performance énergétique intrinsèque des bâtiments et d’accorder des aides en fonction des progrès offerts par les travaux. Mais si les calculs du DPE favorisent le chauffage au gaz au détriment de l’électricité au moment où l’on cherche à électrifier les usages de l’énergie, on n’aura guère avancé dans la chasse au CO2. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier, travailler avec les artisans et les architectes, choisir la bonne priorité : le climat avant l’énergie.

à lire aussi L’isolation des logements, chère et peu efficace ?La rénovation a toujours été qualifiée d’énergétique parce que l’objectif principal avancé par les pouvoirs publics est de réduire la consommation d’énergie. Mais les Français sont déjà sobres et si attentifs à leurs dépenses de chauffage qu’ils consomment davantage quand leur logement est rénové, comme on le constate dans d’autres pays européens en dépit des milliards dépensés.

Se focaliser sur la seule consommation d’énergie aboutit à des déconvenues. En revanche, la rénovation pour sortir des fossiles, préserver et embellir son patrimoine, améliorer l’hygiène, somme toute vivre mieux, semble une meilleure voie. Mais elle prendra du temps et demandera des moyens.

Pour décarboner l’économie européenne, il faudra transformer la demande et investir dans l’industrie. En ce sens, il n’est pas anormal de préserver les investissements dans la modernisation du système énergétique, la génération d’électricité renouvelable et nucléaire, les réseaux de transport et de distribution, l’autoconsommation, la flexibilité, les batteries. Il ne faut évidemment pas faire de l’écologie la variable d’ajustement de l’action du gouvernement.

Mais la prochaine fois, il faudra être prudent en annonçant reprendre « sans filtre » les propositions de telle ou telle commission ou convention. Interdire la location de logements vétustes, bloquer l’accès des villes aux vieux véhicules, limiter l’artificialisation des sols, ce sont là de louables principes, mais dont l’application doit être pesée au trébuchet.

*Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, est président de l’association Équilibre des Énergies.

TRANSITION ÉCOLOGIQUELe fonds vert pris dans l’étau des restrictions budgétaires Publié le 13/03/2024 • Par Cédric Néau • dans : A la une, A la Une finances, Actu experts finances, France:

Avec la coupe de 430 millions d’euros en février et la menace d’un nouveau gel de 430 millions supplémentaires évoquée le 6 mars dernier, l’avenir du fonds vert devient un sujet d’inquiétude des collectivités, alors qu’il devait donner un peu de la visibilité nécessaire aux investissements pour la transition écologique. Tout est à refaire.

Coup de froid sur le fonds vert. Déjà bien enrhumé par une coupe de 430 millions d’euros (M€) décidée par décret du 20 février dernier dans le cadre d’une réduction de 10 milliards d’euros (Mds€)des dépenses de l’Etat, le fonds vert est à nouveau menacé d’un gel de 430 M€ supplémentaires. Lors de l’audition du ministre de l’Économie et des finances Bruno Le Maire et du ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, le 6 mars dernier au Sénat, la commission des finances a reçu un document indiquant « une mise en réserve de précaution », selon l’expression de la sénatrice des Hauts-de-Seine Christine Lavarde (LR), de 430 M€ supplémentaires de ce fonds.

Interrogée par la sénatrice, Thomas Cazenave a juste reconnu « qu’un travail de reprogrammation est en cours, y compris pour la réserve ». Relevé également par nos confrères Contexte, cette menace de nouveau gel est confirmé par le président de la commission des finances, le sénateur de Haute-Garonne Claude Raynal (PS) : « Nous avons bien reçu ce document montrant ces 430 M€ mais ils sont toujours à l’heure actuelle en autorisation d’engagement » temporise-t-il.

Autorisation d’engagement et crédit de paiement

L’autorisation d’engagement (AE) est l’acte par lequel une dépense est engagée sur un ou plusieurs exercices. Le crédit de paiement (CP) est ce qui est effectivement consommé (ordonnancé ou payé) au bout de l’exercice, voire de plusieurs quand il s’agit d’engagements pluriannuels. Le fonds vert a ainsi été engagé à hauteur de 2 milliards en 2023 avec 500 M€ de crédits de paiement. Seuls 300 M€ auraient été consommés sur l’exercice.

Lors de son audition devant les sénateurs, Thomas Cazenave a tenu à rappeler que « tous les engagements 2023 qui peuvent avoir un impact sur 2024 seront tenus ». Une précision qui a son importance : si la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait bien 500 M€ supplémentaires de fonds vert, portant celui-ci à 2,5 Mds€ en autorisation d’engagement (AE), le texte ne prévoyait que 1,125 Mds€ en crédit de paiement. Et encore, sur les 2,5 Mds€ en AE, seuls ces 500 M€ constituaient un nouvel abondement du fonds, le reste, 2 Mds€ donc, n’étant en fait que l’apurement des AE de 2023.

Quelles que soient les menaces pesant sur les crédits du fonds vert 2024, le ministre du Budget a donc confirmé que les coups partis en 2023 seraient bien financés par le fonds vert en 2024. Mais pour les nouveaux projets, ce fonds se réduit « à peau de chagrin », se désole par exemple Intercommunalités de France.

Si la menace d’une coupe supplémentaire de 430 M€ se concrétisait, les collectivités n’auraient en effet plus que 265 M€ (1,125 Mds€ – 430 M€ – 430 M€) réellement à disposition en 2024 pour les aider à financer leur projet de transition écologique. Soit 35 M€ de moins que ce qui a été consommé en 2023. Loin de pouvoir accentuer leurs efforts en matière de transition écologique, les collectivités vont donc devoir se restreindre…ou se passer des financements de l’Etat.

Inquiétudes et agacements

La Fédération nationale des travaux publics (FNTP), dont l’activité est très dépendante des moyens financiers mis à disposition des élus pour rénover ou construire des infrastructures en lien avec la transition écologique, a résumé la nouvelle menace dans un communiqué diffusé le 12 mars. « Si ces coupes budgétaires se confirment, ce sera un milliard d’euros d’investissement en provenance de l’État en moins pour le financement de la transition écologique entre 2023 et 2024 » a-t-elle déploré. Selon ses calculs, sur ces deux exercices, les crédits de paiement ne pourraient en effet plus dépasser 565 M€ (300 M€ consommés en 2023 + 265 M€ en 2024). Initialement ces CP devaient plafonner à 1,625 Md€ (500 M€ en 2023 +1,125 Mds€ en 2024). Les collectivités vont donc bien perdre exactement 1,06 Md€ d’aide à l’investissement vert (1,625 Md€ – 565 M€).

La FNTP enfonce le clou : « Compte tenu du fait que lorsque l’État investit 1 euro pour le Fonds vert, les collectivités investissent en moyenne trois euros, ce sont au total 4 Mds € d’investissement sur deux ans qui risquent d’être empêchés, c’est incompréhensible ! », tance Alain Grizaud, président de la fédération, qui appelle à « préserver le financement de la transition écologique des aléas budgétaires ». Et de rappeler que « les projets d’infrastructures nécessitent de la planification et de la stabilité financière ».

Plus qu’un montant préservé, l’association des grandes agglomérations souhaite surtout « rendre l’argent public plus efficace », souligne Franck Claeys, délégué adjoint de France Urbaine. « Le surgel n’est pas l’essentiel, le gouvernement a déjà fait des réserves de précaution en cas de crispation, comme c’est le cas actuellement, et l’arbitrage se fera au niveau ministériel », rappelle-t-il. « L’important est d’arrêter le saupoudrage avec ce qui restera du fonds vert avec une contractualisation et une fongibilité du fonds comme c’est le cas avec les PCAET, par exemple, pour obtenir l’effet levier espéré ».

Intercommunalités de France s’inquiète également pour la pérennité du programme « Territoires d’industrie », doté de 100 M€ issus du fonds vert, notamment pour financer les postes de chargés de mission dédiés au déploiement du programme. « Nous les avons obtenus de haute lutte, personne ne voulait nous les donner, donc je crains que ce ne soit pas prioritaire pour Bercy », s’agace Sébastien Martin, président de l’association qui veut « arrêter d’être inquiet » pour passer en mode « combattif ». La semaine prochaine, il ira voir Bruno Le Maire pour lui demander : « Comment fait-on pour doubler les investissements dans la transition écologique ou relancer le pouvoir d’achat sans augmenter la dépense publique ? A un moment, il faut arrêter de jouer ! »

Prévision de croissance « fantaisiste ou fallacieuse »

De son côté le gouvernement temporise : « Ce gel permettra d’ajuster les choses » se voulait rassurant Thomas Cazenave devant les sénateurs. « Il veut nous faire croire que la conjoncture peut encore l’éviter » ironise Claude Raynal, qui ne croit pas à la nouvelle prévision de croissance donnée par Bercy de 1 % contre 1,4 % initialement. Il ajoute : « Je pense que tout a été calculé à l’envers pour atterrir sur 10 Mds€ de réduction de dépenses avec 1 % de croissance ». Le sénateur (LR) de Meurthe-et- Moselle et rapporteur du Budget Jean-François Husson, qui désignait déjà

la première prévision de croissance « de fantaisiste ou fallacieuse » dans un PLF 2024 « hors-sol », a d’ailleurs demandé aux deux ministres auditionnés par la commission sénatoriale pourquoi ils souhaitaient maintenir une prévision de 1 % quand « un consensus d’économistes table sur +0,7 % de croissance en 2024 pour la France ? »

« La nouvelle prévision de croissance à 1 % pour 2024 reste toujours significativement supérieure au consensus » a renchéri Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes lors de la présentation de son rapport général hier 12 mars. Compte tenu des perspectives actuelles, il est donc persuadé que les économies de 10 Mds€ décrétées en février ne seront « qu’une première étape » et il s’attend donc à des « mesures d’économies supplémentaires ».

Ce qui signifierait alors la suppression directe des 430 M€ supplémentaires du fonds vert, probablement via un projet de loi de finances rectificative (PLFR), la voie réglementaire n’étant aujourd’hui plus activable qu’à hauteur d’environ 2 milliards supplémentaires d’économies, selon les propres calculs de Thomas Cazenave (voir notre explication).

Mais la fenêtre de tir est étroite, coincée entre les élections européennes (9 juin) et les Jeux Olympiques (à partir du 26 juillet). « On verra à ce moment si on parle d’économies supplémentaires, mais la vraie échéance c’est le PLF 2025 » se projette Franck Claeys. Il redoute que la multiplication des PLFR, surgel, PLF de restriction, etc. pousse les acteurs locaux à se « recroqueviller et ne plus construire l’avenir. Nous avons encore un peu de temps pour convaincre le gouvernement d’éviter les économies de bout de chandelle ».


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