La démocratie participative à l’échelon locale, c’est possible !
Interview de Stéphane Herb par Dominique Martin Ferrari
Stéphane Herb, bonjour. Vous êtes une figure militante de la Métropole de Montpellier et sur votre commune de Lattes. On vous doit la conduite des grands rassemblements des marches climat et aujourd’hui vous avez créé une association à Lattes, Latt’agora, en vue de défendre la voix des citoyens et la démocratie participative. J’ai souhaité vous rencontrer pour parler de Lattes et comme un bon moyen de faire un point sur cette démocratie participative rêvée par une nouvelle génération et décriée par les partisans de la démocratie élective. On fait un petit portrait avant de commencer ? d’où venez vous ?
Je suis habitant de la Métropole depuis plus de 20 ans et Lattois depuis environ 15 ans, originaire de Strasbourg, où je suis né. Je suis fonctionnaire territorial en détachement auprès du député écologiste de la 1ère circonscription de l’Hérault, en tant qu’attaché parlementaire. Je m’intéresse à la vie de la cité, à la politique locale, nationale et internationale, à la citoyenneté, et bien sûr aux questions écologiques depuis de nombreuses années, sans vraiment m’engager dans un militantisme actif. Ce n’est que dans une démarche plus consciente, il y a une dizaine d’années, que j’ai pris pleinement conscience que, nous citoyennes et citoyens, avons des responsabilités dans les politiques menées par nos élus, ainsi que dans le choix de la manière de construire nos villes pour les rendre plus résilientes et humaines.
Si le fait d’aller voter à chaque élection est un devoir citoyen, il est aujourd’hui primordial de rester vigilant et d’organiser une veille citoyenne sur l’action de nos élus et les politiques qu’ils mènent. Localement, ce levier est essentiel pour aborder l’ensemble des enjeux qui touchent notre société actuelle : le climat, le développement économique, l’éducation, la sécurité, le social…
C’est ainsi que mon engagement citoyen et associatif a débuté, avec la création d’une première association humanitaire, Kalanso – une école pour l’avenir après un voyage dans le pays de Thomas Sankara et des hommes intègres, qui a pour objectif de scolariser des enfants au Burkina Faso et de permettre à un plus grand nombre d’entre eux d’accéder à la connaissance, afin de leur donner les moyens de prendre leur destin en main. Puis, tout naturellement, cet engagement s’est tourné vers les questions écologiques et climatiques, avec la création au niveau national du collectif Citoyens pour le climat, dont je suis le référent pour la Métropole de Montpellier. Ce collectif m’a permis de m’investir davantage dans le militantisme de terrain et de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux environnementaux. Je ne prétends pas être un expert, je me considère plutôt comme un lanceur d’alerte et un citoyen engagé.
Vos actions sur les marches climat ont marqué les esprits. Je me souviens de cette foule qui entourait la mappemonde de la place de la Comédie , c’était en quelle année ?
Les marches pour le climat ont débuté à l’automne 2018, puis se sont succédé tous les deux mois environ, avec une foule record de 15 000 personnes lors de la marche pour le climat du 16 mars 2019. Concernant la marche où nous avions mis le feu (virtuel) à la mappemonde, place de la Comédie, cela devait être en décembre 2019, de manière symbolique, pour dire que notre planète brûle et se réchauffe, et qu’elle atteindra un point de non-retour si nous ne faisons rien. C’était une expérience incroyable humainement de voir cette foule se rassembler à chaque marche pour une même cause, sans distinction politique ni slogans partisans ; nous faisions front pour un même objectif.
Aujourd’hui, nous avons franchi ce point fatidique des 1,5° de réchauffement, et chaque année, le constat est le même : la planète se réchauffe, les catastrophes augmentent à travers le monde. Chaque année est la plus chaude jamais enregistrée. Même si des progrès ont été réalisés, il faut aller plus loin et plus vite. L’échelon local est un point de départ essentiel.
Les marches climat semblent aujourd’hui ne plus faire recette alors que 2024 a été l’année la plus chaude depuis l’avènement de l’ère industrielle. Que se passe t il ?
Effectivement, les marches se sont essoufflées, et le Covid est également passé par là. Après trois ans d’action climatique, les militantes et militants ont choisi d’agir différemment et de prioriser l’action associative et politique. J’ai tenté de relancer le mouvement il y a un an, mais n’ayant pas trouvé l’adhésion au niveau national pour redynamiser la dynamique, je me consacre aujourd’hui à l’action locale, un échelon ô combien important, sur lequel nous disposons de leviers à saisir pour faire bouger les choses.
Aujourd’hui vous menez une nouvelle bataille à lattes. D’abord deux mots pour nous décrire cette ville que vous habitez
Après avoir acquis de l’expérience dans le milieu associatif et politique à Montpellier, j’ai décidé de m’investir également dans ma commune, Lattes, qui est aujourd’hui menacée par une métropolisation excessive. C’est une ville d’environ 18 000 habitants, exposée à un climat méditerranéen, traversée par le Lez, la Mosson, la Lironde et le Rieucoulon. La commune possède un patrimoine naturel remarquable : deux sites Natura 2000 (les étangs palavasiens et l’étang de l’Estagnol), deux espaces protégés (l’étang du Méjean et les étangs palavasiens) et quatre zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique. Elle fait partie de la Métropole de Montpellier et de son aire d’attraction.
Historiquement, une partie du territoire de la commune se situe en zone inondable. L’endiguement du Lez et de la Mosson est censé protéger ses habitants, mais ces zones demeurent potentiellement à risque, d’autant plus qu’on continue de bétonner des surfaces agricoles et des zones qu’il serait préférable de rendre à la nature, plutôt que d’y entasser des personnes qui ignorent les risques. En ce qui concerne les mentalités, je tiens à appeler les Lattoises et les Lattois à ne pas se laisser séduire par les idées extrêmes et identitaires. Il est essentiel de trouver une nouvelle manière de faire de la politique, de construire ensemble une ville plus humaine, plus solidaire, et plus respectueuse de notre environnement. Nous devons agir de manière à ce que les générations futures soient fières de ce que nous avons accompli, et non qu’elles nous regardent en se demandant ce que nous avons fait pour préserver leur avenir.
Vous vous êtes lancé dans une nouvelle bataille celle de la démocratie participative et ce dès l’élection de Michaël Delafosse. Qu’est-ce que la démocratie participative? Qu’en attendez vous ? Pourquoi y voyez-vous un plus, par rapport à l’exercice de la démocratie par élections?
En 2020, lors du deuxième tour des élections municipales, nous avons, avec le collectif Citoyens pour le climat, tenté de faire signer aux derniers candidats une charte qui comprenait la mise en place d’une convention citoyenne pour le climat à l’échelle de la Métropole, ainsi que des fonds dédiés à la mise en œuvre d’une véritable politique eco-responsable, de décarbonation dans nos pratiques (énergies solaires, diminution des déchets, etc.). Hélas, le maire-président de la Métropole ne nous a jamais répondu !
Nous avons ensuite rencontré Mme St Martin, élue au Renouveau démocratique et à l’innovation sociale, qui nous a très gentiment reçus tout en nous faisant bien comprendre qu’ils avaient été élus sur un programme et qu’ils allaient appliquer ce programme : rien que le programme, tout le programme. Nos propositions n’entraient pas dans leurs objectifs. Pour moi, la démocratie participative, c’est donner aux citoyennes et citoyens les moyens d’exercer un véritable pouvoir de décision en lien avec leurs élus, afin qu’ils puissent décider en conscience des grands projets structurants, tant au niveau national que local, et ce, pas uniquement tous les 6 ans avec des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient !
Nous avons vu la convention citoyenne pour le climat de Macron, qui a été une grande réussite sur le plan humain, mais un échec en raison de sa politique autoritaire, et du fait qu’il n’a pas suivi les 150 citoyennes et citoyens à la fin. C’est une vraie question à laquelle nos députés devraient répondre et proposer des solutions. Je note d’ailleurs que sept d’entre eux souhaitent faire encadrer par une loi les conventions citoyennes. Nous avons là l’exemple même de la création d’une convention citoyenne : comment faire en sorte qu’une loi soit décidée par ceux qui la font, et non par ceux qui la subissent ? N’est-ce pas là un enjeu de partage du pouvoir ?
Attention, je ne dis pas que je souhaite supprimer le vote au suffrage des Françaises et des Français, ni qu’il ne faut plus d’élus. Je tiens d’ailleurs à saluer l’investissement de ces hommes et femmes qui ont le courage de se présenter au suffrage et de donner de leur temps pour faire vivre la démocratie. Je dis simplement qu’aujourd’hui, il est nécessaire d’établir un contrôle clair, défini par la loi, afin que les citoyennes et les citoyens puissent dire « stop » lorsqu’ils estiment qu’il est temps. C’est un peu comme le droit de révoquer un élu, que la Primaire populaire souhaitait voir appliqué, tout comme la limitation des mandats successifs. 24 ans, voir 30 ans de mandats est-ce bien raisonnable ?
On ne peut plus, aujourd’hui, accepter qu’un élu soit légitimé alors que l’abstention ne cesse de croître à chaque élection. Même si les dernières élections législatives viennent quelque peu contredire ce constat, être élu avec plus de 65 % d’abstention ne devrait plus être possible dans notre pays.
Avez vous tenté sur Montpellier ? quels résultats ?
Oui, comme indiqué précédemment, nous avons essayé à Montpellier, après les élections municipales de 2020, en créant l’association Voix Citoyennes – Assemblée citoyenne de Montpellier. Mais nous n’avons pas réussi, ou su réussir, à fédérer autour de nous les associations et les mouvements citoyens, sans doute fatigués par le Covid, les marches, et les municipales… De plus, n’ayant pas l’appui des institutions, notre volonté d’apporter une nouvelle façon de faire de la politique a rencontré des difficultés à rassembler, après une longue période d’engagement et d’isolement. Cependant, nous n’avons jamais cessé d’y croire et, aujourd’hui, le temps, le travail et l’abnégation finiront par nous donner raison.
Comment travaillez vous ?
Aujourd’hui, nous travaillons sur Lattes, où nous avons créé l’association Latt’agora, justement pour tenter de redonner du sens à des mots comme démocratie, participation citoyenne et politique. Ce n’est pas du goût des élus de la commune, ni du maire, qui ne voit pas d’un bon œil le fait que des citoyennes et citoyens s’intéressent à la vie de la cité, aux questions d’urbanisme, d’écologie, de vivre ensemble et aux affaires de la commune.
Nous travaillons en collaboration avec toutes celles et ceux qui souhaitent le changement et faire autrement. Nous proposons des soirées thématiques, malgré l’interdiction du maire de nous attribuer des salles et de nous interdire toute manifestation conviviale sur la commune. Par chance, et je les en remercie, nous avons trouvé un espace privé, Le Trèfle Rouge, qui nous accueille gracieusement pour rencontrer les Lattoises et Lattois.
Aujourd’hui, nous avons également créé Latt’agora – Le Journal, que nous allons publier et distribuer au plus grand nombre de Lattoises et Lattois, afin de les informer des projets et de les inviter à devenir des acteurs majeurs de la cité.
La période troublée avec affaiblissement de l’état que nous venons de vivre, vous a-t-elle permis d’avancer ou non ?
Si mon travail me pousse à me pencher sur les questions nationales et l’affaiblissement de l’État, je pense que ce dernier est en réalité en train d’affaiblir nos collectivités territoriales, en leur supprimant la levée d’impôts et en ne compensant pas cette baisse de recettes, ce qui les empêche d’agir pour le bien commun. L’État de la Macronie, si vous me permettez l’expression, est devenu un État fort où le chef de l’État n’écoute plus personne : ni les urnes, ni les élus, et où le 49.3 est devenu une arme de destruction massive !
Cela entraîne, heureusement, un véritable engouement pour toutes les questions liées au partage du pouvoir, à plus de démocratie participative, et à l’implication des citoyens dans leur quotidien. Mais si ce quotidien, ou leur lieu de vie, est le seul endroit où ils peuvent encore agir, que restera-t-il en termes de choix ?
Par ailleurs, il est alarmant de constater que la ville de Lattes se trouve aujourd’hui confrontée à deux candidats qui portent une vision néfaste pour notre avenir commun. D’un côté, nous avons un maire qui cumule 24 ans de mandat, agissant comme un « baron local », déconnecté des attentes réelles des citoyens et des enjeux modernes. De l’autre, un candidat populiste qui, en soutenant les idées de l’extrême droite, se présente comme encore moins social que Marine Le Pen. Ces deux approches, l’une incarnée par un pouvoir local autoritaire et l’autre par des discours divisifs et dangereux, ne répondent pas aux défis actuels. Nos retraités, futurs retraités, et l’ensemble des Lattoises et Lattois méritent mieux que de telles politiques. La gestion de la ville doit être avant tout un projet collectif, respectueux des valeurs humaines et sociales, et non un terrain d’idéologies extrêmes ou d’ambitions personnelles.
Je ne parle même pas de l’opposition actuelle, qui est quasiment inexistante et qui, à 90 %, vote les propositions du maire en place. Cela témoigne d’une absence totale de véritable contre-pouvoir, et ce n’est pas ainsi que l’on construit une démocratie saine et participative. Nous avons besoin d’une vraie alternative, d’une opposition qui porte des idées claires et se bat pour l’intérêt général, et non d’une assemblée qui se contente de suivre docilement la ligne imposée par le maire.
En quoi la démocratie participative est elle un plus par rapport aux consultations citoyennes classiques ? Que suggérez vous ?
La démocratie participative permet aux citoyens de se former, de prendre connaissance des dossiers en amont et de faire des propositions. En revanche, une consultation publique se résume souvent à un moment où vous vous retrouvez face à des milliers de pages à lire et à étudier, comme c’est le cas actuellement avec l’enquête publique sur le PLUI Climat de la Métropole. Je défie quiconque d’en venir à bout et de trouver toutes les subtilités pour y apporter une contribution, à moins d’être expert ou de pouvoir y consacrer un mois complet !
Que dire des consultations publiques organisées par la Mairie, qui ne sont qu’une mascarade et n’ont de « consultation » que le nom ? En réalité, ce ne sont que des présentations des projets portés par le maire, qui ambitionne de voir Lattes se transformer en mégalopole sous l’égide du maire-président de Montpellier.
Vous avez travaillé avec des associations qui au niveau national aident cette démarche. Pouvez vous nous en parler et nous dire ce qu’elles conseillent
Nous sommes effectivement en lien avec Fréquences Communes et Actions Communes, qui sont des réseaux regroupant des personnes, élues ou non, désireuses de changer la gouvernance des villes et des métropoles. C’est un réseau très inspirant où le collectif prime sur l’individu, et où nous réfléchissons ensemble à plus de démocratie, à plus de justice sociale et à trouver des solutions écologiques inspirantes et non contraignantes pour les plus précaires.
J’ai également été sélectionné pour participer à la formation Territoires 2026, organisée par l’association Open Politics, afin de préparer les citoyennes et citoyens de demain à transformer nos communes et à redonner de la vitalité démocratique dans nos villes et nos campagnes.
Voyez vous l’émergence possible de la démocratie participative dans l’organisation de la 5° République, ou faudra t il attendre de passer à la 6° ?
Je pense que la Ve République est en perte de vitesse depuis quelques années, voire quelques mandats. La vision du général de Gaulle et de ses successeurs n’est plus en phase avec celle de notre société, qui change et évolue constamment. Pourquoi la politique ne devrait-elle pas évoluer elle aussi ? Pourquoi continuer à centrer tout le pouvoir autour de la figure du président de la République ? Sans vouloir revenir à la IVe République, je crois que notre pays, notre nation, a aujourd’hui besoin de se poser cette question pour l’avenir de nos enfants, pour l’avenir de notre monde. Et si nous, citoyens, lancions un projet de Convention citoyenne pour la VIe République ?
Revenons à Lattes , quels sont avec votre groupe, vos combats aujourd’hui ?
Nos combats sont aujourd’hui multiples sur Lattes, mais avant tout, nous souhaitons proposer aux Lattoises et aux Lattois de vivre en harmonie avec la nature environnante, de leur offrir une alimentation saine, de garantir un air respirable, d’améliorer l’accueil des plus jeunes, et de faire tout cela ensemble, collectivement, en prenant des décisions communes.
Notre rôle est aussi d’informer nos concitoyens sur l’ensemble des projets pharaoniques du maire, de les dénoncer et de faire des propositions plus durables pour notre commune. Le doublement de la population lattoise dans les dix prochaines années, avec la construction de plus de 8 000 logements à Ode à la mer, va impacter non seulement les habitants du centre-ville de Lattes, mais aussi ceux de Boirargues et de Maurin. Ce projet entraînera une explosion du nombre de voitures, des problèmes d’eau, de pollution, et bien d’autres conséquences.
Les projets d’usines industrielles sont également préoccupants. Le projet CSR (Combustion Solide de Récupération), porté par la Métropole de Montpellier, validé par le maire et l’opposition, prévoit la construction d’une chaudière destinée à brûler 45 000 tonnes de déchets par an, de l’autre côté du Lez, à Tournezy. Par ailleurs, l’implantation d’une unité de valorisation énergétique des boues sur le site de Maera viendra s’ajouter à cette pollution, avec deux usines qui diffuseront des fumées toxiques sur notre commune. Et ce n’est là qu’une partie de la liste des projets à dénoncer : à Maurin, « le petit Tinal », les tours de 14, 15, 16 étages… et pourquoi pas plus encore ?