vu dans l’express: Origines du Covid-19 : les scénarios à l’épreuve de la science

A medical staff member gestures inside an isolation ward at Red Cross Hospital in Wuhan in China's central Hubei province on March 10, 2020. - Chinese President Xi Jinping said on March 10 that Wuhan has turned the tide against the deadly coronavirus outbreak, as he paid his first visit to the city at the heart of the global epidemic. (Photo by STR / AFP) / China OUT

Trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, le mystère des origines demeure.

AFPPar Yohan BlavignatPublié le 01/03/2023 à 18:00, mis à jour à 18:00Partager cet article

Plus de trois ans ont passé et le mystère reste entier. Que s’est-il passé, à l’automne 2019, dans la ville chinoise de Wuhan où est apparu un coronavirus jusque-là inconnu, rapidement baptisé Sars-CoV-2 ? Avec officiellement près de 7 millions de morts (au moins le double selon l’OMS), la question de l’émergence du Covid-19 doit se poser de façon lancinante. Même si, entre faits scientifiques, théories du complot et verrouillage des informations par les autorités chinoises, les trois quarts des pièces du puzzle continuent à manquer. Souvent, la réponse se résume en une alternative : origine naturelle ou accident de laboratoire ? Il faudrait en réalité y ajouter de nombreuses nuances.

De la chauve-souris à l’homme : comment tout a commencé ?

Nous ne savons toujours pas avec exactitude où est apparu pour la première fois le Sars-CoV-2, ni comment il a été transmis à l’homme. Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que les virus les plus proches ont été trouvés chez les chauves-souris du genre Rhinolophus. Dès le 3 février 2020, quelques semaines à peine après le déclenchement de la pandémie, une étude parue dans la revue Nature et signée des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan (WIV) dévoile la séquence complète d’un virus baptisé RaTG13. Il s’agit du pathogène génétiquement le plus proche du Sars-CoV-2, identique à 96,2 % au virus responsable du Covid-19, mais trop éloigné dans les séquences clefs pour en être le virus à l’origine de l’épidémie, appelé progéniteur. Le virus a été prélevé, indique le texte, en 2013 dans la province chinoise du Yunnan, dans le sud-est du pays, sur des chauves-souris rhinolophes. La nouvelle fait l’effet d’une bombe.

Six semaines plus tard, une microbiologiste de l’université d’Innsbruck indiquait sur un forum que la séquence génétique de RaTG13 avait, en réalité, déjà été partiellement publiée en 2016 par les mêmes chercheurs du WIV. Le virus portait alors un autre nom : Ra4991. Les scientifiques précisaient alors que le virus avait été découvert dans une mine désaffectée du Yunnan colonisée par des rhinolophes, dans le canton de Mojiang. Là même où des mineurs avaient été malades avec des symptômes proches du Covid-19 après avoir collecté du guano. En réalité, la première hypothèse à l’époque pointait vers une infection par un champignon et non une contamination par un coronavirus, mais les deux pistes restent ouvertes. Ajoutez à cela une accusation erronée de modification de la séquence de RaTG13 pour cacher une mutation autour de la protéine Spike, il n’en fallait pas plus pour que la machine s’emballe. Autant d’éléments qui ont fait que ce virus finalement non pathogène pour l’homme a alimenté bien des théories infondées sur le rôle supposé du WIV dans l’émergence de la pandémie.

Pendant deux ans, ce virus fut la seule découverte tangible sur les origines du Covid-19. Jusqu’au 16 février 2022 où une nouvelle publication dans Nature rebat les cartes. Une famille de coronavirus baptisée « Banal » et prélevée dans les grottes des massifs karstiques du nord du Laos proche de la frontière du sud de la Chine devient officiellement le plus proche parent de SARS-CoV-2, avec une identité nucléotidique de 97 %. Et ces virus sont capables d’infecter des cellules humaines. « Un tel taux d’homologie signifie, au sens de la nomenclature en vigueur qu’ils pourraient être considérés comme de la même espèce », explique Marc Eloit, responsable du laboratoire Découverte de pathogènes à l’Institut Pasteur qui a coordonné ces travaux publiés dans la revue britannique. Reste que près de 3 % d’écart, cela représente environ un millier de mutations de différence, et certainement des années d’évolution.

Cette découverte ouvre de nouvelles portes. Pour Florence Débarre, directrice de recherche au CNRS, « elle prouve qu’il existe dans la nature des virus encore plus proches du Sars-CoV-2 que le fameux RaTG13 en dehors de la mine du Yunnan ». Mais comment expliquer alors la façon dont il aurait pu parcourir les 2 000 kilomètres qui le séparent de cette mégalopole chinoise ?

Le marché de Wuhan, source de l’épidémie de Covid-19 ?

Autre certitude : officiellement et comme l’a conclu un article de la revue Science parue fin juillet 2022, le Sars-CoV-2 a été identifié en décembre 2019 après une série de cas pour la plupart liés à la fréquentation du marché aux fruits de mer de Wuhan, où étaient vendus des animaux vivants, plus précisément dans l’aile ouest du bâtiment. Un résultat qui accréditerait la thèse d’une origine zoonotique, avec le marché de de cette ville de 11 millions d’habitants comme point de départ de l’épidémie. Cela en fait-il pour autant le lieu de la première contamination, et si tel était le cas via quelle espèce animale ? Une autre étude parue au même moment dans Science indique que deux lignées virales distinctes ont circulé de manière précoce dans le marché, suggérant le scénario de deux franchissements successifs de la barrière d’espèce, à partir d’un même réservoir animal. Autrement dit, le virus aurait été transmis à l’homme via des animaux qui auraient servi d’hôtes intermédiaires. « Cette hypothèse est compatible avec les données disponibles à ce jour », commente sobrement Florence Débarre.

D’autres scientifiques vont plus loin : « Ces études montrent que le marché a joué un rôle dans la propagation du virus, mais il n’est démontré nulle part que le réservoir viral à partir duquel le Sars-CoV-2 s’est propagé était effectivement un réservoir animal », estime Marc Eloit. Une autre analyse des premiers cas répertoriés sur le marché de Huanan, publiée en novembre dans la revue Environmental Research par la biologiste Virginie Courtier-Orgogozo (Institut Jacques-Monod, CNRS), soutient que les transmissions s’y sont plus probablement opérées entre humains, dans des lieux clos du marché, comme les salles de jeu de mah-jong, les toilettes ou les cantines, plutôt qu’à partir des animaux infectés. « Il y a eu une amplification autour de ce marché, mais il faut savoir si l’événement déclencheur est une personne infectée qui va faire ses emplettes, un simple vendeur infecté ou une contamination à partir des animaux vendus », poursuit le chercheur de l’Institut Pasteur. Or, à ce jour, aucun échantillon environnemental prélevé sur les lieux et positif au Sars-CoV-2 n’a été attribué à un animal.

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Le marché aux fruits de mer de Wuhan, lieu de nombreuses interrogations. © / L’Express
L’énigme du site furine

Historiquement, pour chaque coronavirus récent, l’existence d’un animal intermédiaire a été prouvée – la civette palmiste pour le Sars-CoV-1 ou encore le dromadaire pour le Mers. Dans le cas de la pandémie actuelle, tout semblait indiquer qu’il y en ait un entre la chauve-souris et l’homme. Pangolin ? Civette ? Chien viverrin ? « On sait aujourd’hui qu’on n’a plus besoin de postuler l’existence d’une espèce intermédiaire », commente Marc Eloit. Les virus Banal découverts au Laos ont en effet une forte affinité avec le récepteur ACE2 des cellules humaines, plus élevée que les premières souches de Sars-CoV-2 isolées fin 2019 à Wuhan. « On entendait parfois que l’affinité du Sars-CoV-2 avec les cellules humaines était telle que cela suggérait une adaptation préalable dans un laboratoire. Avec ce que nous avions trouvé, cette idée tombait », poursuit-il. Et avec ce nouvel élément, plus besoin d’un animal intermédiaire. En théorie… car cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas.

D’autant que les équipes de Marc Eloit notent une différence de taille entre les virus Banal et leur cousin Sars-CoV-2 : l’absence de « site de clivage par la furine » (SCF). Pour faire simple, cette petite partie du génome (12 à 15 nucléotides) va permettre à la protéine Spike du virus (les spicules de l’enveloppe du coronavirus) de fusionner efficacement avec la membrane des cellules respiratoires humaines. C’est cette particularité qui confère à Sars-CoV-2 son infectivité et sa pathogénicité. Aucun autre virus de type Sars connu à ce jour ne possède un tel « site furine », même si d’autres coronavirus en possèdent un. Dépourvus de cette arme génétique, les virus Banal n’ont, en réalité, pas de potentiel pandémique. La première hypothèse des chercheurs était initialement que ces virus de chauve-souris ont circulé « à bas bruit » pendant des mois, voire des années, dans la population humaine jusqu’à émerger lorsque l’un d’eux acquiert, par le jeu des mutations, un SCF capable de le rendre plus transmissible.LIRE AUSSI >> Pr Didier Houssin : « Nous ne connaîtrons peut-être jamais les origines du Covid »

« C’est ce qui se passe avec les virus de grippe aviaire faiblement pathogènes présents au sein des populations d’oiseaux sauvages. A force de circuler au sein des élevages intensifs, ils acquièrent un site furine, devenant ainsi hautement pathogène », détaille Marc Eloit. Pour tester leur hypothèse, les scientifiques ont mimé la circulation du virus chez l’homme en prenant des modèles animaux (cellules humaines, souris humanisées ou macaques). L’un des virus cultivés, Banal 236, aurait-il pu muter pour s’armer d’un site furine ? Résultat : les six passages successifs n’ont pas permis l’acquisition du fameux SCF. « Non seulement ce virus a montré un tropisme digestif mais il n’est pas devenu plus pathogène et n’a pas évolué vers un virus respiratoire », conclut Marc Eloit. De plus, au terme des six passages, son génome était plus éloigné de celui de Sars-CoV-2 qu’il ne l’était au début de l’expérience. « Tout l’enjeu est désormais de savoir à quel moment de son histoire évolutive est apparu ce site de clivage à la furine, analyse Etienne Decroly, du CNRS. A partir de là, il y a plusieurs hypothèses. » Là encore, une évolution naturelle ou une manipulation en laboratoire.

Dans l’hypothèse d’une origine zoonotique, une nouvelle porte se ferme. Contrairement à la première hypothèse de travail de Marc Eloit, ce virus n’a pas circulé silencieusement dans les populations humaines (via un animal intermédiaire ou non) et n’a pas pu acquérir ainsi un site furine par le jeu des mutations. Reste une autre hypothèse sur la table : une recombinaison. « Une origine naturelle suppose que l’acquisition du site du clivage de la furine dans les virus précurseurs du Sars-CoV-2 ait eu lieu avant le passage de la chauve-souris à l’homme ou un hôte intermédiaire. Pour cela, deux virus doivent échanger leur matériel génétique en coinfectant la même cellule au sein d’un même individu. Ce qui est forcément un événement rarissime, mais possible. Et que de tels virus recombinés aient un avantage sélectif sur leurs parents chez les chauves-souris, ce qui n’est pas démontré », assure Marc Eloit. D’autres scientifiques, comme Florence Débarre, continuent de penser que le SCF a pu apparaître naturellement. « On ne connaît que très peu de coronavirus présents dans la nature, donc il est possible qu’un tel pathogène existe, mais on recherche probablement une aiguille dans une botte de foin ».

Laboratoire : accident ou manipulation ?
Vue aérienne du laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan (Chine) en mai 2020
Vue aérienne du laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan (Chine) en mai 2020 © / afp.com/Hector RETAMAL

L’hypothèse d’une zoonose est donc privilégiée par les scientifiques, mais une autre théorie occupe les esprits : un accident de recherche lié au laboratoire de virologie de Wuhan. Sur fond de guerre froide sino-américaine, elle vient d’être relancée outre-Atlantique, d’abord par le ministère américain de l’Energie le 26 février qui a mis à jour son évaluation de l’origine de la pandémie, penchant avec une « confiance faible » vers un accident de laboratoire. Puis par le directeur du FBI, Christopher Wray, dans une interview accordée ce mercredi 1er mars à la chaîne Fox News où il affirme avoir depuis longtemps tranché en faveur de l’incident et accuse même la Chine de bloquer la tentative d’enquête américaine. Quatre autres agences de renseignement plaident, elles, pour une origine zoonotique.

Plusieurs éléments jettent le trouble sur le rôle du laboratoire de Wuhan. D’abord, la présence du site furine. Aurait-il pu être inséré manuellement dans le cadre d’expériences « gain de fonction » ? Rien ne le prouve. Mais de récentes découvertes ont montré que le WIV et des scientifiques américains procédaient à des manipulations sur différents coronavirus, sans pour autant démontrer un rôle d’acteur dans l’émergence de la pandémie de Covid-19. Le groupe américain EcoHealth Alliance (organisation spécialisée dans la prévention des pandémies dirigée par le virologue Peter Daszak), avait par exemple demandé en 2018 pour le compte de l’institut de virologie de Wuhan le financement public d’expériences visant notamment à introduire artificiellement ce fameux site furine sur des coronavirus proches du virus du Sras. Le but de ce projet baptisé Defuse : prendre les devants sur l’évolution naturelle en cherchant à se prémunir d’une future pandémie. Des scientifiques auraient-ils été tentés de modifier un coronavirus pour lui permettre de devenir à ce point contagieux ? Rien dans l’analyse du génome du Sars-CoV-2 ne permet de l’affirmer.LIRE AUSSI >> Accident de laboratoire à Wuhan : quand les théories du complot sont parfois vraies

Le financement fédéral demandé par EcoHealth Alliance en 2018 avait d’ailleurs été refusé. Ce qui n’exclue pas, certes, que des recherches n’avaient pas été menées avant la demande de fonds. Là encore, les preuves manquent. Par ailleurs, les insertions de site furine dans des chimères n’étaient pas prévues en Chine, mais dans le laboratoire américain de Ralph Baric. Ce projet déterré sur les réseaux sociaux n’en a pas moins jeté le trouble. D’autant qu’un article publié dans PLOS Pathogens en 2017 montre « que toute la méthodologie permettant de construire les virus chimériques était en place au WIV », selon Etienne Decroly. Problème : on n’a pas d’information analysable de manière indépendante sur l’activité du laboratoire.

Reste l’étrange émergence du virus dans la ville de Wuhan, précisément la ville où est installé le laboratoire P4 de virologie, un centre majeur de recherche sur les virus de chauve-souris. « C’est curieux parce que les virus les plus proches – RaTG13 ou Banal – ont été trouvés à plus de 2 000 kilomètres de cette mégalopole. Comment s’est-il retrouvé là ? On ne sait pas. Ça attire l’attention, c’est certain, mais cette investigation relève davantage de l’enquête policière », signale Marc Eloit. Au-delà d’une manipulation volontaire d’un virus, l’hypothèse d’un accident de recherche est aussi possible. C’est déjà arrivé dans le passé, notamment en Chine. « Le virus peut éventuellement provenir d’échantillons qui ont été ramenés dans un laboratoire et cultivés, puis contaminé accidentellement un expérimentateur. La contamination des chercheurs lors d’un échantillonnage dans une grotte est également une possibilité et ils auraient ensuite ramené le virus vers Wuhan. Tout cela est possible mais demande des investigations », assure Etienne Decroly.

Connaîtra-t-on un jour la réponse ?

Origine naturelle ou accident de laboratoire ? L’enquête reste ouverte, mais Florence Débarre insiste sur le fait que « toutes les hypothèses ne se valent pas ». « Autant il n’y a pas de réponse définitive, autant tous les faits vont dans le sens d’une origine zoonotique, et ce sont uniquement des spéculations qui vont dans le sens d’une origine de laboratoire ». D’autres se veulent plus prudents, à l’instar d’Etienne Decroly : « Je me range à l’opinion de l’OMS qui, dans son deuxième rapport, indique clairement que la question n’était pas résolue et qu’il convient d’investiguer toutes les possibilités ». Reste que cette quête des origines laisse un goût amer. « On devrait connaître le fin mot de l’histoire depuis longtemps. Ce n’est que parce qu’il y a un black-out total de la Chine qu’on ne sait pas. A l’heure actuelle, il y a beaucoup de trous dans la raquette », juge Marc Eloit. Ce dernier plaide ainsi pour continuer à explorer les hypothèses naturelles qui sont accessibles à l’étude, quitte à les invalider. Pour le microbiologiste américain Richard Ebright (Rutgers University), « la séquence du génome du virus, ses propriétés et l’épidémiologie de la maladie n’ont aucune chance de nous en apprendre davantage sur les origines du virus », mais juge que l’hypothèse d’une fuite de laboratoire ne peut être résolue que par une « enquête criminelle ».

De son côté, l’OMS assure qu’elle continuera « d’investiguer toutes les possibilités ». Sur les traces des origines du Covid-19, les scientifiques poursuivent leurs investigations avec le risque bien réel que cette quête soit sans fin.

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