IT de Ronan DANTEC par Valery LARAMEE, avant texte final et consensus

Ronan Dantec

« ON s’est trompé de COP » Pour le sénateur français, les présidences de COP peinent à hiérarchiser les priorités.

Sénateur écologiste, président de l’association Climate Chance, Ronan Dantec écume les COP Climat et Biodiversité. Vieux routier du multilatéralisme, il appelle à sortir des slogans simplistes qui finissent par nuire à l’efficacité de ce parlement mondial du climat.

Même si les textes définitifs ne sont encore publiés, le résultat de cette 28e COP climat semble très inférieur aux attentes initiales.

On a pêché par optimisme en pensant que les Émirats arabes unis, qui sont la modernité du Moyen-Orient, pays pétrolier qui a beaucoup développé les énergies renouvelables, pouvait tracer une voie de sortie du gaz et du pétrole, en entraînant les autres pays pétroliers. Ca reste un pays pétrolier sous la très forte pression de l’OPEP. Notre autre erreur de jugement concerne la plupart des pays en développement. Pour eux, la priorité n’est pas la lutte contre le changement climatique, mais le développement. On a du mal à reconnaître que tant qu’on n’a pas accès à l‘électricité et que l’on a des problèmes d’extrême pauvreté, le problème n’est pas le +2 °C.

Différents signes, dont la marche des ONG où les slogans visaient particulièrement l’Occident, semblent montrer une défiance croissante du Global South vis-à-vis du Nord. Est-ce votre sentiment ?

On sent monter une tension, voire une aigreur du Sud contre le Nord. Depuis quatre ans, les pays occidentaux ne parviennent pas à allouer les fameux 100 milliards par an promis à Copenhague, en 2009. Mais, ils ont su lever en quelques jours des milliers de milliards pour la Covid, ou plus récemment pour l’Ukraine. Pour le Sud, c’est la preuve qu’il y a deux poids deux mesures. Cela décrédibilise la parole des pays du Nord, à commencer par ceux de l’Union européenne. A la COP, quand ils abondent des fonds pour soutenir les pays du Sud, ils se contentent de promesses de quelques dizaines, voire centaines de millions d’euros. Or, on sait que les besoins se chiffrent en centaines, voire en milliards de dollars. Cette différence de flux financiers explique en partie le durcissement des pays du Sud. La demande des Occidentaux et de l’Aosis de sortir des énergies fossiles leur apparaît dès lors comme totalement hors sol.

Nous devons pourtant sortir des fossiles pour espérer stabiliser le climat.

Si le phase out [la sortie des énergies fossiles, ndlr] n’est pas dans le texte du GST, ce sera un échec. Les « amis du climat » ont mis toute leur énergie sur cette question. Se focaliser sur la sortie des énergies fossiles aurait permis de célébrer une belle victoire. Mais les rapports de force ne l’ont pas permis.

Pendant les COP, lorsque l’on évoque les financements, on fait exclusivement référence à l’argent public. Or la force de frappe des États est bien plus faible que celles des investisseurs privés. Pourquoi ces derniers ne sont-ils pas plus présents ?

C’est la synergie entre fonds publics et privés qui permet de lever de gros montants

Mais j’en reviens au Global Stocktake. Dans ce texte, on n’a prévu aucun moyen pour tripler la production d’énergies renouvelables d’ici à 2030. L’objectif y est, certes. Mais pas les modes de financements. Le montant du devis est estimé à 5 400 milliards de dollars. L’an passé, nous avons consacré 1 800 milliards de dollars aux énergies vertes. Ce qui signifie qu’il nous manque 3 600 milliards. Cet argent n’est pas sur la table de négociations, car cela nécessiterait la mise en œuvre de mécanisme généralisé, comme des taxes. Et pour mobiliser massivement la finance privée, on sait qu’il faut dérisquer les investissements, apporter des garanties. Nous n’y sommes pas non plus.

Autre erreur, la confusion faite par de nombreux gouvernements que la question de l’adaptation était réglée par l’adoption de la décision sur le fonds des pertes et dommages.

Les “pertes et dommages“ sont une demande du Sud, qui nourrit parfois un fétichisme pour les nouveaux fonds. Mais, avec 800 M$, cette facilité est pauvrement dotée. Elle ne va pas changer la donne. Ne confondons pas pertes et dommages, qui semblent être une sorte de mécanisme “Cat Nat“ avec une adaptation à long cours. La discussion sur l’adaptation est plus difficile que celles des perte et dommages car elle porte sur des sommes gigantesques, bien supérieures à celles des pertes et dommages.

Discute-t-on de trop de thématiques dans les COP ?

On discute de tellement de sujets dans les COP qu’on ne hiérarchise plus rien. Or, seules les énergies renouvelables permettent de rogner le socle des énergies fossiles. Elles permettent aussi d’améliorer l’accès à l’énergie et donc de faire du développement et de l’adaptation. Ce n’est qu’après que l’on pourra traiter les autres problèmes.

J’en reviens à l’argent. On évoque des montants considérables, sans convier ceux qui gèrent l’épargne mondiale qui disposent de moyens financiers colossaux.

Ils ne sont pas jamais très loin. Les assureurs et les réassureurs sont très mobilisés pour le climat. Ils sont conscients du problème. Mais on n’arrive pas à construire d’écosystèmes efficients entre public, privé et gouvernance.

Pour quelles raisons ?

Probablement parce que le monde n’a jamais été aussi fragmenté. C’est la première fois que l’on a une COP avec deux guerres industrielles très lourdes[1]. Le conflit à Gaza, et un massacres de civils qui suit une barbarie, marque incontestablement cette COP. Cette fragmentation affaiblit ce parlement mondial du climat, qui ne fonctionne bien que quand le monde est homogène. Les COP qui ont donné de bons résultats bénéficiaient d’un alignement de planètes : à Kyoto (1997) Al Gore était à la manœuvre, suivi par les Européens et les Chinois se faisaient discrets après Tian An Men. En 2015, la France n’aurait pu produire l’accord de Paris sans l’accord bilatéral, conclu un an avant, entre les États-Unis et la Chine. Quand le monde est en guerre, cela avance beaucoup moins bien. La question est de savoir si cette tension est conjoncturelle ou si ce durcissement du monde est inscrit dans l’histoire. Auquel cas, cela deviendra très difficile de conclure des accords globaux sur le climat.

Certains slogans d’ONG n’ont-ils pas agacé certains gouvernements du Sud ?

Cette COP dit la complexité du monde. On ne peut pas se contenter de slogan, comme le phase out. Quand la ministre ougandaise assume, publiquement, l’exploitation pétrolière en disant que c’est un des socles possibles de la transition énergétique de son pays, on ne peut pas se contenter de penser que les grandes compagnies pétrolières tirent toutes les ficelles. Quant l’Afrique dit non au phase out parce qu’un certain nombre de pays espèrent que le pétrole et le gaz leur permettront d’avancer on ne peut pas leur simplement leur opposer une sortie des hydrocarbures. Les ONG sont les premières à lier développement et enjeux écologiques. Mais on a besoin de réfléchir différemment et d’investir le technique des mécanismes de manière pragmatique. Le moment l’impose. Sinon, on n’aura plus que des COP décevantes. L’opinion publique aura le sentiment que les COP ne servent à rien. On nourrira les discours anti efforts climatiques en Europe. Et on sait très bien quelles sont les forces politiques qui se saisissent de ce thème.

Propos recueillis par Valéry Laramée de Tannenberg, envoyé spécial à Dubaï

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