IRD: Le safou, un fruit révélateur d’une diversité génétique urbaine et dynamique

Transporting safou fruit between the countryside and the city in Cameroon© IRD – Stéphanie Carrière

Les perturbations liées à l’activité humaine – surexploitation, déforestation, changement climatique, etc. – constituent autant de menaces pour la diversité génétique des plantes. Pourtant, les citadins, planteurs de jardins de case, peuvent jouer un rôle positif important dans la conservation des espèces. Une étude transdisciplinaire, mêlant génétique et ethnoécologie, vient ainsi de mettre en lumière la diversité de variété des safoutiers plantés à Yaoundé, mégapole capitale du Cameroun.

Le safoutier (Dacryodes edulis), arbre fruitier originaire du bassin du Congo, est généralement cultivé dans des agroforêts à café et à cacao, mais également dans les jardins de case des villages et des grandes villes de la région. « Nous avons comparé le niveau de diversité génétique de safoutiers issus d’une zone de production éloignée de la ville, équivalente à 200 000 hectares, à celui de safoutiers plantés dans un quartier de Yaoundé d’une superficie de 250 hectares, commence Jérôme Duminil, généticien à l’UMR DIADE. Malgré cette différence de taille, la richesse génétique des safoutiers d’origine rurale et urbaine est quasiment identique. » 

Des champs à la ville

Comment expliquer un tel trésor de biodiversité au sein d’une mégapole de plus de 3,9 millions d’habitants ? La réponse est dans le riche creuset culturel que compte le Cameroun : 300 à 400 ethnies différentes cohabitent en effet au sein du pays. Lorsque ces villageois migrent en ville, ils apportent avec eux des graines de leurs safoutiers préférés pour les replanter une fois installés. Ces échanges avec la campagne se poursuivent lors de visites et d’événements familiaux (mariages, naissances…). Si un citadin apprécie unsafou, apporté par des visiteurs, il le plantera dans sa cour. Il agira de même s’il l’a acheté sur un marché.

Ainsi, 93 % des semences de Dacryodes edulis plantées proviennent de l’extérieur de Yaoundé. La moitié des semences utilisées pour la plantation a été achetée sur les marchés, soit ceux de la capitale, soit ceux de villes et villages plus éloignés comme celui de Makénéné par exemple, situé à 200 km, et connu pour la qualité de ses fruits. L’autre moitié des semences (41 % de l’échantillon) provient des zones rurales. A contrario de ces résultats, dans les régions éloignées des villes, plus de 75 % des semences à l’origine des safoutiers proviennent principalement du territoire où vit le villageois qui l’a planté.

Protéger un safoutier apprécié

« Le safou tient une place essentielle dans la vie des Camerounais, indique Marie-Louise Avana, éthnoécologue à l’université de Dschang au Cameroun.Quelle que soit l’ethnie, il est apprécié pour sa facilité à être cuisiné. Naturellement salé et gras, comme l’avocat, il est utilisé dans les repas, pour accompagner des féculents divers, manioc, patate, maïs , banane plantain, mais également donné comme friandise aux enfants. Les semences de safoutier germent facilement. C’est un arbre au feuillage dense et persistant qui apporte de l’ombrage : il offre un espace de détente pour les familles dans leur cour. Même s’ils ont peu de place, les Camerounais feront en sorte de planter un safoutier chez eux. »

© Franca MboujdaThe safou tree is appreciated for its fruit and the shade it offers in families’ gardens.

En plantant le safoutier, les habitants de Yaoundé préservent un lien culturel et symbolique avec leur région d’origine. Ils assurent également, sans le savoir, la conservation du patrimoine génétique de cet arbre. Or, cette diversité intraspécifique est essentielle à l’adaptation de l’espèce face aux risques. « Par exemple, si un agriculteur ne cultive qu’une seule variété et qu’elle ne résiste pas à une maladie, un ravageur ou au changement climatique, il perdra l’ensemble de sa production, précise Stéphanie Carrière, éthnoécologue à l’UMR SENS. La présence de plusieurs types morphologiques à l’échelle de l’exploitation et du village aide les agriculteurs à s’adapter aux fluctuations climatiques et économiques. Cela facilite ainsi la résilience des systèmes agricoles. »

Malheureusement, les espaces verts et les jardins des villes sont de plus en plus exigus du fait d’une densification urbaine croissante et pourraient se raréfier. « Les pouvoirs publics doivent être sensibilisés sur ce point :  les espaces verts sont essentiels pour la qualité de vie mais aussi pour la préservation de la biodiversité », conclut la chercheuse

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