La France a largement ses 30% d’aires marines protégées avant la COP 15 Mais qu’en est il de leur protection réelle?

Hiroko Yoshii

Avec 10 193 037 km², la France est la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde. La France est présente dans tous les bassins océaniques de la planète, à l’exception du bassin Arctique. Face aux conclusions de l’IPBES, le Président Emmanuel Macron a annoncé vouloir porter la part des aires marines protégées à 30% d’ici 2022 dont un tiers “protégées en pleine naturalité”[2], aussi appelée “protection forte”, un engagement qui semble être en adéquation avec l’ambition internationale. Cependant, l’objectif “30×30” qui sera porté lors des prochaines négociations multilatérales repose sur la mise en œuvre d’aires marines à protection dite “intégrale et/ou haute” afin de fournir des bénéfices écologiques[3] dont dérivent des bénéfices socio-économiques[4].

Les États membres des Nations unies se sont engagés, lors de la Convention sur la diversité biologique de 2010, à protéger 10 % des zones marines et côtières d’ici 2020 grâce à la mise en place d’aires marines protégées. Les organisateurs espéraient, à l’époque, voir ainsi s’ouvrir« une nouvelle ère de vie en harmonie avec la Nature ». Dix ans plus tard, les résultats sont pour le moins mitigés : selon le Marine Conservation Institute (Institut de conservation marine), les aires marines protégées ne couvrent aujourd’hui que 5,3 % de la surface de l’océan, et seulement la moitié des aires marines protégées sont suffisamment restrictives pour être efficaces Certaines disposent de mécanismes de protection forts. Au sein des réserves intégrales, par exemple, toutes les activités d’extraction de ressources sont interdites. « Les espèces ciblées par l’extraction peuvent s’y reproduire beaucoup plus que dans les zones non protégées, explique Joachim Claudet, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe).
La bonne santé de l’océan est un enjeu vital, et il est urgent d’agir pour le protéger.  A cet effet, les aires marines protégées (AMP) sont des outils de gestion largement privilégiés pour restaurer la biodiversité marine et lutter notamment contre la surpêche.
L’objectif “30×30” se dessine comme l’un des enjeux phares des négociations à venir, avec l’ambition pour ceux qui le portent d’en faire la pierre angulaire du nouveau Cadre. Il reste donc près d’un an aux Etats parties à la CDB pour être à la hauteur des exigences internationales en matière de protection de l’environnement marin. 

Tableau 1 : Usages autorisés dans les AMP à protection intégrale et haute

Comptant aujourd’hui 524 aires marines protégées, couvrant près de 32% de sa ZEE, la France atteint déjà les objectifs de 30% d’AMP sur son territoire. Pourtant, la France est loin des 10% de couverture en AMP intégralement et/ou hautement protégées sur l’ensemble de ses façades maritimes. Aujourd’hui, moins de 2% de la ZEE française est recouverte d’AMP intégralement ou hautement protégées. De plus, la répartition d’AMP à protection forte sur le territoire français est très inégale entre les différents bassins et façades. On trouve ainsi 80% de la protection intégrale et haute dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), contre seulement 0,1% en Méditerranée[5].

Dans cette perspective, il est primordial que la France définisse clairement ce qui pourra être qualifié de « pleine naturalité » ou « protection forte ». La révision de la stratégie nationale des aires marines protégées, pilotée par l’Office Français pour la Biodiversité (OFB), est l’occasion de préciser le sens de cette terminologie, et plus précisément son articulation avec les autres définitions et standards internationaux de protection. En effet, afin de s’aligner avec l’ambition internationale, la protection dite “forte” doit correspondre à de la protection “intégrale et/ou haute”.

Pour l’instant, la protection forte est définie en France uniquement pour des zones où les pressions pouvant avoir un impact sur la biodiversité sont réduites. Cette définition ne correspond donc qu’au niveau de base de la définition d’une AMP pour l’UICN[8].

Devant ce constat, un groupe d’experts internationaux regroupant scientifiques, gestionnaires, gouvernements et ONG, a travaillé depuis plusieurs années à la création d’une nouvelle classification d’AMP, en fonction de leurs niveaux de protection. Elle est d’ores et déjà adoptée par l’ONU Environnement, le Centre de surveillance de la conservation de la nature (WCMC) et la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN (WCPA).

Il est important de préciser que les AMP n’excluent pas systématiquement les activités humaines. Les restrictions, ou interdictions, dépendent du niveau de protection de la zone (Tableau ci-dessous).  Les activités autorisées doivent avoir un faible impact écologique, être durables, être bien gérées dans le cadre d’une approche intégrée, et être compatibles avec la définition d’une aire protégée selon les catégories de l’UICN.

Tableau 2 : Les nouveaux niveaux de protection

Des bénéfices considérables pour la biodiversité comme pour les sociétés

Les bénéfices associés à une AMP adéquatement protégée sont nombreux. On compte notamment une plus grande abondance des espèces précédemment exploitées, la restauration des habitats et une meilleure résilience au changement climatique. Les AMP fournissent aussi des lieux de reproduction, appelés nurseries, pour certaines espèces vulnérables, permettant ainsi la reconstitution des stocks halieutiques. Un récente étude scientifique a montré qu’en augmentant la protection de 5%, on pouvait ainsi augmenter les captures de 20%[10]. Refuges pour la biodiversité, ces zones rétablissent les fonctions écologiques de nos écosystèmes.

L’ambition chiffrée de la France est forte et à la hauteur de cette nation maritime. Cependant, il est fondamental que la protection dite « forte » corresponde à de la protection intégrale et haute et que les objectifs de couvertures soient déclinés par façades et par bassins.

Signatures 

Loreley Picourt, Marine Lecerf, Joachim Claudet

Références

[1]  IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio E.S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, and C. N. Zayas (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 56 pages

[2] Prise de parole du Président de la République Française Emmanuel Macron le 6 mai 2019 au Palais de l’Elysée (“Protéger la biodiversité : une ambition française, européenne et mondiale”). Disponible sur le site d’Elysée : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/05/06/proteger-la-biodiversite-une-ambition-francaise-europeenne-et-mondiale

[3] Plus grande abondance et plus grande taille des espèces précédemment exploitées ; restauration des interactions écologiques ; restauration des habitats ; potentiel accru d’adaptation aux changements climatiques et autres changements environnementaux.

[4] Repeuplement des stocks halieutiques ; augmentation de la taille et diversité des captures de pêche ; attractivité touristique ; augmentation des revenus associés.

[5] Claudet J, Loiseau C, Pebayle A (in press). Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world. Marine Policy.

[6] Day J., Dudley N., Hockings M., Holmes G., Laffoley D., Stolton S. & S. Wells, 2012. Guidelines for applying the IUCN Protected Area Management Categories to Marine Protected Areas. Gland, Switzerland: IUCN. 36pp.

[7] Day J., Dudley N., Hockings M., Holmes G., Laffoley D., Stolton S. & S. Wells, 2012. Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines. Gland, Suisse: UICN. 36 pp.

[8] UICN CMAP, 2018. Application des normes mondiales de conservation de l’UICN aux aires marines protégées (AMPs) Mener des actions de conservation efficaces grâce aux AMP pour la santé de l’océan et le développement durable. Version 1.0. Gland, Suisse. 5pp.

[9] Zupan M, Fragkopoulou E, Claudet J, Erzini K, Horta e Costa B, Gonçalves E (2018). Marine partially protected areas: drivers of ecological effectiveness. Frontiers in Ecology and the Environment 16:381-387

[10] Cabral, R. B., Bradley, D., Mayorga, J., Goodell, W., Friedlander, A. M., Sala, E., Costello, C., & Gaines, S. D. (2020). A global network of marine protected areas for food. Proceedings of the National Academy of Sciences, 202000174. https://doi.org/10.1073/pnas.2000174117

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