Macron candidat: Pour Lecornu, ses adversaires « font preuve de paresse intellectuelle »

POLITIQUE – Emmanuel Macron est officiellement candidat à la présidentielle et son équipe de campagne est en train d’être constituée. Sébastien Lecornu, actuel ministre des Outre-mer, pourrait y occuper une place de choix.

En attendant, l’ancien LR de 35 ans, président du conseil départemental de l’Eure, livre son analyse politique de la situation. Il voit dans cette “drôle de campagne”, forcément entravée par la guerre en Ukraine, une occasion de parler de fond. Il concède qu’il “reste des chantiers à mener” pour le président, notamment sur le plan économique, mais déplore la “paresse intellectuelle” des autres candidats.

Selon lui, l’extrême droite est “un danger”, sur les plans tactique et sondagier pour le chef de l’État en exercice; Zemmour, ’un adversaire pernicieux”. Le ministre estime que “le débat démocratique aura lieu” et ne voit pas la position d’Emmanuel Macron comme chef de guerre un atout, alors que le président caracole en tête des intentions de vote. “Cette situation l’empêche aussi beaucoup. On ne maîtrise pas tout dans une crise d’une telle intensité”. Entretien.LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉACTUALITÉ DES MARQUESPerfetto, du grain à la tasse le meilleur de l’expresso.DécouvrirInspired by

Le HuffPost: Emmanuel Macron est-il en capacité de faire campagne dans ce contexte?

Sébastien Lecornu: Le temps démocratique doit avoir lieu et le débat a déjà commencé. Je remarque que les opposants ne se privent pas d’apporter depuis des mois des commentaires sur le bilan du président ou de formaliser des propositions, et c’est bien légitime. Est-ce que ce sera une campagne classique pour un chef d’État en exercice? Non. Car ce n’est jamais neutre d’être président de la République et candidat.

Les précédents le prouvent. Par définition, cela donne toujours une campagne dépendante. Dépendante du contexte, d’éléments endogènes ou exogènes, des affaires de l’État, et, dans ce cas précis, dépendante d’une guerre et toujours un peu de la crise sanitaire. Pour autant, dire qu’il n’y aurait pas de débat démocratique est faux, alors qu’il n’y a jamais eu autant d’émissions dédiées à la campagne dans les médias. Le temps viendra où Emmanuel Macron, en tant que candidat, déclinera son projet pour un second quinquennat. Mais oui, compte tenu du contexte, ce sera en quelque sorte une “drôle de campagne”.

Justement, sur quels axes le président de la République va-t-il centrer son projet?

Dans ce moment particulier -et dire que certains commentateurs prétendaient que la politique étrangère n’intéressait plus les Français!- le sujet de la place de la France en Europe et dans le monde sera naturellement central. Emmanuel Macron s’est beaucoup engagé, notamment sur l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Parfois il a été moqué, beaucoup ont considéré que c’était théorique, lointain pour les uns ou pire, inutile ou contre productif pour les autres. La guerre en Ukraine vient nous prouver qu’il a eu raison de travailler avec nos partenaires européens pour faire de l’Europe une véritable puissance. Ce qui a été fait sous ce quinquennat pour les Armées, avec notamment une loi de programmation militaire pour un montant sans précédent de 9 milliards d’euros, trouve à l’aune de cette crise un sens nouveau et permet à la France de conserver une forte capacité de projection militaire par ces temps troublés.

Pour le reste, nous avons démarré ce quinquennat avec la volonté de “libérer” fortement notre société, notamment sur les questions économiques et d’emploi. Nous le terminerons plus que jamais avec les crises traversées par la volonté de “protéger”. Est-ce que le travail est pour autant terminé sur le “libérer”? De toute évidence, la réponse est non.

Faites-vous partie de ceux qui pensent que le match est plié pour Emmanuel Macron ou au contraire que “rien n’est fait” comme le dit le président ?

Rien n’est fait jusqu’au dernier bulletin, de la dernière urne, du dernier bureau de vote, de la dernière commune! C’est le propre même de l’élection. Toutes celles et ceux qui disent que c’est une campagne pour rien – soit parce qu’ils se réjouiraient d’une éventuelle victoire avant d’avoir livré bataille, soit parce qu’ils voudraient déjà faire le procès d’une victoire par défaut, donc presque illégitime, se trompent. Penser que l’on va confisquer le rendez-vous présidentiel aux Français relève de la pure illusion, il faut faire preuve d’humilité.

La position de chef de guerre d’Emmanuel Macron peut-elle l’aider à être réélu?

Beaucoup d’observateurs font facilement ce constat. La réalité, c’est qu’elle l’empêche aussi beaucoup. On ne maîtrise pas tout dans une crise d’une telle intensité.

Qui est l’adversaire le plus dangereux pour Emmanuel Macron au second tour?

Soyons prudents et humbles dans ce genre d’exercice. À première vue, au sens sondagier, c’est la candidate qui a le moins d’écart dans les études d’opinion, c’est donc Marine Le Pen. Sa communication plus policée qu’autrefois sur la forme, et son programme toujours aussi démagogique sur le fond, doit nous rendre vigilant et nous mobiliser plus que jamais. Au sens tactique je pense qu’Éric Zemmour représente lui aussi un danger mais d’une autre nature, davantage pour le moyen et long terme. Il est la grande confusion, la grande ambiguïté et le grand mensonge.

Un homme qui sous-entend que Pétain et De Gaulle c’est pareil, que résister ou collaborer c’est pareil, que l’OAS ou De Gaulle c’est pareil. Il ressuscite une droite qui a toujours été tenue en minorité depuis le début de la Ve République, du Général de Gaulle à Nicolas Sarkozy. Une droite contre-révolutionnaire au sens où René Rémond classait ses célèbres “trois droites”.

La droite qui joue davantage sur les peurs du pays que sur ses perspectives, qui préfère convoquer l’histoire en la façonnant à sa façon que de prendre le risque de l’avenir. Heureusement -si j’ose dire!-, son pseudo non-alignement au plan international et son discours sur l’indépendance nationale ont fait long feu puisque les masques tombent et les Français découvrent sa totale compromission avec le pouvoir de Vladimir Poutine. Il n’en demeure pas moins que certains peuvent tomber dans ce piège et d’ailleurs certains leaders LR l’y aident.

Eric Zemmour représente un danger car il est la grande confusion, la grande ambiguïté et le grand mensonge.

La pré-campagne existe et la campagne a été lancée bien avant la déclaration d’Emmanuel Macron! Il y a une vie politique depuis septembre, mais elle est, il est vrai, trop politicienne pour toucher le cœur des Français. Il y a eu des Congrès, un candidat est apparu en créant une formation politique de toutes pièces, il y a eu des rebondissements à gauche, dignes de Vaudeville avec des retours inattendus puis avortés.

Ce qui est frappant, c’est que les oppositions n’ont pas travaillé le fond, les idées, le sens profond qu’ils veulent incarner pour le pays et nos concitoyens. Les questions de personnes dominent. Moyennant quoi, le lendemain du Congrès des LR, Valérie Pécresse n’a pas tranché la ligne et s’est contentée de faire une grande addition sans fond de tous les programmes des différents candidats, ce qui n’a pas manqué d’être visible avec ses allers-retours sur le “grand-remplacement”, qui a donné lieu à des interrogations légitimes sur les valeurs.

Sur le plan idéologique, la pré-campagne est atone. Éric Zemmour en cela, lui, a su créer un élan même s’il avance masqué comme je l’indiquais plus haut. Il ne dit pas franchement qui il est, ce qui fait de lui un adversaire pernicieux. Néanmoins, il est mono-sujet. Sur le pouvoir d’achat, le travail, la production, l’emploi et les politiques sociales, il est fragile. Sa candidature est finalement très incomplète.

Enfin, Marine Le Pen n’en finit pas de subir; subir l’héritage paternel dont elle cherche à s’éloigner et qu’elle rattrape, subir les défections en tous genres de ses fidèles, subir ses campagnes précédentes ratées par manque de rigueur. Mais au fond, s’il fallait résumer, tous ces candidats ont fait preuve de paresse intellectuelle et ont fait le simple pari de “l’anti-Macron” primaire. C’est un peu court…

L’état des oppositions vous arrange-t-il?

Absolument pas. Cela nous enferme dans un tête à tête avec l’extrême droite ou l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon. Les grands rendez-vous électoraux permettent de créer de l’apaisement dans le pays, mais il faut pour cela que chaque candidat y concourt en offrant aux Français un véritable choix dans un cadre de campagne digne et sérieux. En cela, les récents épisodes de la campagne de Valérie Pécresse – de Douglas le chien électeur, au pseudo Conseil de Défense théâtralisé, en passant par des meetings fragiles non seulement sur la forme mais aussi sur le fond – sont pour le moins surprenant et décevant pour permettre un débat de qualité.

Ça vous fait de la peine de voir votre ancienne famille politique dans cet état?

Oui bien sûr. Mais ce n’est plus ma famille politique puisqu’ils m’en ont exclu lorsque j’ai accepté la main tendue d’Emmanuel Macron en 2017. D’ailleurs, c’était assez prémonitoire, car ils préfèrent garder ceux qui ont annoncé qu’ils voteront pour Éric Zemmour s’il est au second tour, plutôt que ceux qui ont travaillé pour Emmanuel Macron…

S’il fallait résumer, tous ces candidats ont fait preuve de paresse intellectuelle et ont fait le simple pari de « l’anti-Macron » primaire. C’est un peu court…

Êtes-vous satisfait de votre bilan pour les Outre-Mer?

Le quinquennat avait débuté avec le terrible ouragan Irma sur les Antilles. Nous avons connu la crise sociale des gilets jaunes à la Réunion. Puis la crise sanitaire qui a durement frappé les Outre-mer. À chaque fois, la solidarité de la Nation a été au rendez-vous. Dans les sujets du quotidien, Emmanuel Macron a fait preuve de courage.

Il a pris les décisions qui étaient repoussées depuis longtemps. Je pense par exemple à l’eau en Guadeloupe, ou à la route du littoral à La Réunion. Il a regardé en face tous les sujets difficiles: la chlordécone aux Antilles, l’immigration à Mayotte, l’après nucléaire en Polynésie, l’orpaillage illégal en Guyane, les référendums en Nouvelle-Calédonie… Il ne s’est jamais défilé. Cela, nos compatriotes ultramarins le ressentent.

En complément, il y a eu une crise sociale à l’hôpital liée à l’obligation vaccinale des soignants, à laquelle nous avons répondu par un dispositif d’accompagnement pour convaincre les plus réticents ou accompagner ceux qui ne souhaitaient définitivement pas se faire vacciner. Aujourd’hui, les taux de vaccination dans l’hôpital dans les Antilles se rapprochent de celui dans l’Hexagone.

Il y a tout de même le sujet du chlordécone. La reconnaissance du cancer de la prostate qu’il a pu causer comme maladie professionnelle a été conditionnée. N’est-ce pas un acte manqué du gouvernement?

Emmanuel Macron s’est saisi de ce scandale, contrairement à une grande partie de la classe politique qui est gênée par le sujet. Le président de la République a reconnu le scandale sur les terrains moral et environnemental, et des moyens financiers importants ont été attribués. Il restait ce dernier volet de la maladie professionnelle: un premier pas a été fait. Il est historique. Il est tout à fait possible d’affiner les choses, et nous l’avons fait savoir aux associations avec le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. Mais le chlordécone est un scandale dans lequel ce gouvernement n’est pour rien et nous entendons bien le réparer.

En novembre, la situation a été très tendue en Martinique et à la Guadeloupe. Le sénateur macroniste de Guadeloupe, Dominique Théophile, a estimé que vous aviez été “un peu brutal”. Le regrettez-vous?

Il n’y a pas eu de crise sociale aux Antilles en novembre. Celles et ceux qui ont voulu y voir un écho de 2009 se sont trompés. Il y a eu une crise de violences et d’ordre public. Des trafiquants de drogues, des gangsters, des gens qui pillent des banques, des bijouteries ou des armureries, j’ai du mal à y voir une crise sociale. Ce sont des voyous et leur place est en prison. C’est ce que je suis allé dire aux Antilles: quand on est obligé d’engager le RAID et le GIGN, on est loin de toute forme d’action syndicale ou sociale. Je n’ai aucun regret sur la méthode que nous avons employée.

Le procès en start-up nation ne tient plus. Notre mouvement est plus rural et plus ancré que ce qu’on dit. Le Macronisme prend racine.

La campagne aura-t-elle lieu aussi dans les Outre-mer? Un déplacement d’Emmanuel Macron est-il prévu?

L’envie d’y aller était là. La question d’aller à La Réunion s’est posée. Mais les circonstances rendent difficile un éloignement durable de Paris, pour des raisons de sécurité, de disponibilité téléphonique, de décalage horaire.

Sans déplacement du président sur place, la campagne pourra-t-elle exister dans ces territoires?

Emmanuel Macron connaît bien les territoires et il n’y manque pas de relais. La plupart des parrains ultramarins sont des parrains pour le président de la République. Beaucoup de choses peuvent se faire à distance. Ce qui est compliqué, c’est quand on ne connaît pas les territoires d’Outre-Mer. Le Président de la République est allé partout, sauf à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Sans être candidat, Emmanuel Macron a reçu le soutien d’Eric Woerth ou de Marisol Touraine, c’est le retour de l’ancien monde?

Non. Ce n’est pas parce que ces personnalités qui ont occupé des fonctions éminentes dans le passé disent pour qui ils vont voter qu’ils reprennent le chemin d’une vie politique active. Beaucoup ont présenté le macronisme comme une parenthèse ou un mouvement sans racine. Ce que ces témoignages montrent, c’est qu’on est au contraire dans une ère politique qui prend racine.

Le nombre de parrainages pour le président de la République, alors que l’on a très peu d’élus locaux et que nous n’avons pas eu de victoires aux élections locales, démontre que le procès en start-up nation ne tient plus. Notre mouvement est plus rural et plus ancré que ce qu’on dit. Le Macronisme prend racine.

Est-ce exact que vous avez voulu être moine, comme l’a rapporté un portrait qui vous était consacré dans Le Monde?

[Silence gêné] Pourquoi cette question? Ça m’appartient.

On peut vous demander si vous avez la foi?

Oui, mais je la garde pour moi. Je suis un fervent militant de la laïcité et en tant que ministre je représente l’État, dont la neutralité doit être défendue.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *