Nouvelles de Tchernobyl (22 mars 2022)

Emeline Férard 21/03/2022, 16:37 Environnement

« L’Ukraine n’a pas besoin d’un deuxième Tchernobyl« . C’est ce que scandait la foule la semaine dernière à Slavoutitch. Le 13 mars, ils étaient une cinquantaine dimanche, hommes, femmes et enfants, à manifester dans cette petite ville ukrainienne où vivent les employés de la centrale nucléaire de Tchernobyl dont la situation continue de préoccuper.

Le site est occupé depuis le 24 février par l’armée russe qui a pris en otages la centaine de techniciens qui se trouvaient sur place lors de l’invasion nocturne. D’ordinaire, les opérateurs effectuent des roulements jour et nuit pour assurer la maintenance de la centrale aujourd’hui inactive.

Dans un communiqué, l’AIEA a annoncé qu’une première rotation avait pu avoir lieu à la centrale dimanche. « L’Ukraine a informé l’AIEA qu’environ la moitié du personnel avait finalement pu rentrer chez lui après avoir travaillé sur le site contrôlé par la Russie pendant près de quatre semaines« , a déclaré le directeur général Rafael Grossi repris par l’AFP.

« L’autorité de régulation nationale ukrainienne a confirmé que ceux qui étaient partis avaient déjà été remplacés par d’autres employés ukrainiens« , a-t-il ajouté. « Ils étaient là depuis bien trop longtemps. J’espère sincèrement que le personnel restant de cette rotation pourrait aussi être bientôt relayé« .

Plusieurs coupures d’électricité

La centrale de Tchernobyl dispose de quatre réacteurs dont le numéro 4 a été à l’origine, en avril 1986, de la pire catastrophe nucléaire de l’Histoire. Il a été recouvert d’un premier sarcophage construit après l’accident puis d’un second inauguré en 2019. Les trois autres réacteurs ont été fermés tour à tour après la catastrophe, la dernière fermeture ayant eu lieu en 2000.

Bien qu’ils soient désormais tous inactifs, un système alimenté en électricité est toujours nécessaire pour refroidir les 20.000 assemblages de combustibles stockés sur le site. C’est pourquoi l’AIEA surveille étroitement la situation depuis l’arrivée des troupes russes et notamment celle du réseau électrique.

Depuis un mois, Tchernobyl a déjà connu plusieurs coupures d’électricité durant lesquelles des générateurs au diesel ont dû prendre le relai. Le 16 mars, après un nouvel arrêt, le ministère biélorusse de l’Energie, cité par l’AFP, a déclaré que « la fourniture d’électricité des infrastructures de la centrale » était désormais « assurée par les systèmes d’alimentation biélorusses ».

Selon le dernier communiqué de l’AIEAl’agence ne reçoit toujours pas de transmission de données à distance de ses systèmes de surveillance à Tchernobyl, mais des données lui sont transférées depuis les quatre centrales nucléaires encore en opération en Ukraine dont huit réacteurs sur quinze sont encore actifs.

« Il n’y a pas de risque d’explosion sur le site » de Tchernobyl, a assuré Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), interrogée par l’AFP. Selon elle, « la perte durable de l’alimentation électrique du site n'(engendrerait) pas d’accident« , « contrairement aux centrales nucléaires en exploitation« .

Le système de détection des radiations en panne

La présence de l’armée russe à la centrale et dans la zone d’exclusion continue cependant de constituer un risque majeur. Un proche d’un technicien retenu, qui a lui-même travaillé à Tchernobyl, a estimé auprès de l’AFP que « l’erreur humaine » demeure le principal risque, dénonçant des soldats « inconscients » de la nature du site sur lequel ils se trouvent.

D’après des sources locales, les occupants russes ont dérobé des ordinateurs, des équipements et des uniformes dans tous les bureaux des entreprises présentes à Tchernobyl. Ils ont également détruit ou volé tous les véhicules encore présents. Suite à la prise du site fin février, une hausse du niveau de radioactivité a été enregistrée à certains endroits.

Elle a été attribuée au déplacement de poussière causé par les équipements militaires russes. Alors les taux étaient étroitement surveillés depuis, Energoatom, la société nationale de production d’énergie nucléaire ukrainienne, a annoncé lundi que son système de détection des radiations dans la zone d’exclusion ne fonctionnait plus.

« Nous n’avons plus de données sur le niveau actuel de pollution radioactive dans l’environnement de la zone d’exclusion, ce qui rend impossible toute réponse adéquate aux menaces« , a-t-elle indiqué reprise par Reuters. Une situation d’autant plus préoccupante que la saison des feux de forêt va bientôt démarrer dans les environs de Tchernobyl.

Or, avec l’invasion russe, le service de lutte contre les incendies se retrouve aussi dans l’impossibilité d’opérer. D’après des images satellites de la NASA, des feux auraient déjà été détectés à trois endroits dont Tovstyi Lis et Stari Sokoly tous deux situés dans la zone d’exclusion de 30 kilomètres autour de la centrale.

Des incendies qui pourraient augmenter les taux de radioactivité

En 2020, plus de 66.000 hectares de terres – soit un quart de la zone d’exclusion – dont 42.000 ha de forêts ont été ravagés par des incendies d’une ampleur inédite. Encouragés par des vents violents et une météo inhabituellement sèche, les feux ont duré jusqu’à la mi-mai, s’étendant jusqu’à moins de deux kilomètres du sarcophage du réacteur accidenté, d’après Greenpeace.

Avec de nouveaux feux et en l’absence d’intervention, « les niveaux de radiation dans la zone d’exclusion et au-delà […], pourraient s’aggraver significativement« , a alerté Energoatom. Un risque confirmé par le Dr. William Keeton, professeur en écologie forestière de l’université du Vermont aux Etats-Unis qui a travaillé en Ukraine.

« Au-delà de la centrale nucléaire, les forêts autour de Tchernobyl présentent un risque« , a-t-il appuyé. « Ces forêts ont absorbé des quantités phénoménales de radiation durant la catastrophe de 1986, et les arbres et le sol recèlent encore des radiations significatives – sous la forme de grandes quantités d’éléments radioactifs appelés radionucléides« .

« Si un feu de forêt se produit – à cause d’une bombe, d’une explosion ou d’un incendie – ces radiations pourraient être libérées dans l’atmosphère« , a-t-il prévenu. Les incendies de 2020 avaient, de cette même façon, laissé craindre une hausse de la radioactivité mais ils avaient pu être stoppés avant d’atteindre les zones les plus contaminées.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *