Pourquoi l’adhésion de la Finlande à l’Otan représente un « bouleversement stratégique »matinale Ouest France

Les dirigeants de la Finlande ont fait connaître leur choix jeudi 12 mai 2022 de proposer l’adhésion de leur pays à l’Otan. Ce basculement s’explique en partie par la guerre en Ukraine, selon François Heisbourg, expert des questions de géopolitiques, mais aussi par la volonté de Vladimir Poutine d’empêcher les Finlandais de rejoindre un jour l’organisation militaire occidentale.

La Finlande, pays frontalier de la Russie, semble décidée à rejoindre l’alliance militaire occidentale, l’Otan. Ce jeudi 12 mai 2022, le président finlandais et la Première ministre du pays se sont dits favorables à une adhésion sans délai de leur pays en raison des changements géostratégiques liés à la guerre en Ukraine.

L’adhésion de la Finlande à l’Otan serait assurément une menace pour la Russie, a estimé ce jeudi 12 mai le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Le voisin russe avait imposé jusqu’à présent à son voisin une stricte neutralité depuis la Guerre d’Hiver et de continuation entre 1939 et 1945.

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Pour François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, cette décision d’Helsinki est d’un changement stratégique majeur.

Pourquoi l’adhésion de la Finlande à l’Otan représente un changement historique ?

Pour ce pays voisin de la Russie, qui possède une frontière de plus de 1 340 kilomètres, ce n’est pas rien. Historiquement, la Finlande a vécu pendant très longtemps sous un statut de neutralité. À la fin des années 1940, l’Union soviétique n’avait ni envahi ni satellisé la Finlande, mais avait obtenu en contrepartie dans les traités que ce pays soit strictement neutre. C’est ce qu’on a appelé la finlandisation pendant la Guerre froide.

Ce statut de neutralité, on a tendance à l’oublier, avait déjà pris fin il y a déjà une trentaine d’années avec la chute de l’Union soviétique. La Finlande avait alors rejoint en 1995 l’Union européenne, dont elle est un membre plein, et en souscrivant aux clauses de sécurité du traité de l’UE.

Mais la Finlande avait alors fait le choix, tout comme la Suède, de ne pas rejoindre l’Otan…

C’était un choix librement assumé : la Russie ne paraissait pas à l’époque avoir de desseins stratégique et politique néfastes vis-à-vis de la Finlande. Les relations économiques étaient denses, tout comme les relations humaines, avec la proximité de Saint-Pétersbourg. Ne pas faire partie de l’Otan était considéré comme une attitude stratégiquement satisfaisante, à la fois pour les Finlandais et pour les Russes qui évitait ainsi d’avoir l’Otan chez un voisin ayant une si grande frontière commune.

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Il s’agit donc d’une évolution majeure pour la Finlande…

C’est un bouleversement stratégique. La Russie paraissait s’accommoder de cette situation où la Finlande avait le libre exercice de l’adhésion éventuelle à l’Otan, mais choisissait de ne pas exercer cette option. Il y a six ans, j’avais participé à la réalisation d’un rapport pour le gouvernement finlandais précisément sur la question des conséquences que pourrait avoir une entrée de la Finlande dans l’Otan. Sa conclusion était que ce pays pouvait fort bien entrer dans l’Otan si elle le souhaitait, mais qu’il n’y avait pas pour autant en 2016 de raisons impérieuses d’exercer cette option. Peu après, Vladimir Poutine avait effectué un voyage officiel en Finlande. Tout en disant tout le mal qu’il pensait de l’Otan et de l’éventuelle entrée de la Finlande dans cette alliance, le président russe s’était gardé de procéder à des menaces qui auraient fait fi de la souveraineté finlandaise.

François Heisbourg, spécialiste du secteur de la défense. | OUEST FRANCE ARCHIVES

Tout change avec le sort réservé à l’Ukraine par l’armée russe, ce qui a entraîné le basculement massif, rapide et radical de l’opinion publique finlandaise. Mais d’autres faits ont aussi joué : en décembre 2021, Vladimir Poutine a remis aux Américains, par-dessus la tête des Européens, deux projets de traités prétendant réorganiser l’ordre de sécurité en Europe. Dedans, il y avait notamment l’interdiction faite de toute entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan. Autrement dit, ne pas entrer dans l’Otan n’était plus un choix, mais une limitation de souveraineté imposée par la Russie. C’est comme ça que ça a été pris à Helsinki.

Y a-t-il des conséquences pour l’Union européenne ?

Avant l’entrée effective de la Finlande dans l’Otan d’ici plusieurs mois, les pays candidats ne bénéficient pas de l’article 5 de cette alliance, la garantie de défense du traité de l’Otan.

Dans l’intervalle, il faut faire évidemment une garantie de substitution. Les pays membres de l’Union européenne considèrent que l’article 49-7 du traité de l’UE équivaut à cette garantie de défense. Les Britanniques et les Américains ont fait la même chose de manière bilatérale. L’entrée de la Finlande dans l’Otan s’accompagne d’un renforcement dans la pratique des articles des traités européens en matière de sécurité. L’Europe est donc l’un des co-bénéficiaires de ce qui est en train de se passer.

L’autre élément est que, avec l’entrée de la Finlande et la Suède, il y aura 23 sur 27 États membres de l’UE dans l’Otan (sauf Malte, Chypre, l’Autriche et l’Irlande). Le recouvrement entre le fait d’être membre à la fois de l’UE et de l’Otan sera quasi total. Cela va changer l’approche du concept d’autonomie stratégique. Avec la crise actuelle en Ukraine, on s’aperçoit aussi que l’Otan et l’Union européenne travaillent ensemble, dans une forme de complémentarité et non plus dans une forme d’opposition.

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