Emmanuel Macron entre panique et faute politique (et institutionnelle?)

avec Vincent Tournier

Atlantico : Emmanuel Macron s’est exprimé pour la première fois depuis le second tour des législatives. L’objectif était de répondre aux résultats des urnes ne lui ayant pas donné de majorité absolue. Sa volonté de montrer qu’il maîtrisait la situation prouve-t-elle au contraire une certaine panique à L’Elysée ?

Vincent Tournier : C’est en effet une intervention assez curieuse. On comprend quel était le souci du président : apaiser les inquiétudes au sortir d’une élection où personne n’a vraiment gagné, et qui bruisse de rumeurs (le pays est-il devenu ingouvernable ? va-t-on vers un changement de premier ministre ? un gouvernement d’union nationale ? une dissolution ?). Mais en voulant montrer qu’il contrôle la situation, il a finalement laissé entendre le contraire.

L’intervention a d’abord été très courte, environ 7 minutes, ce qui a pu donner le sentiment qu’elle a été improvisée dans l’urgence. Sur le fond, le président n’a quasiment abordé que les questions que l’on classe habituellement dans la rubrique « politique politicienne », à savoir les tractations pour constituer une majorité parlementaire et désigner le gouvernement. La constitution du gouvernement est évidemment un sujet important mais il est curieux que le président n’ait pas cherché à enrober ce point dans une série de considérations plus larges qui lui auraient permis de rappeler qu’il est au-dessus de la mêlée. Il aurait pu par exemple dire un mot sur la guerre en Ukraine puisqu’il revient tout juste de Kiev et qu’il n’a toujours pas pris la peine d’en faire un compte-rendu aux Français. Ici, il a plutôt fait l’inverse : il ne mentionne l’Ukraine que de manière très fugace, à la toute fin de son intervention, presque avec regret. 

Et si la France était beaucoup moins bloquée qu’on le croit même avec une Assemblée qui, elle, le serait…?

En centrant son propos sur les enjeux politiques, le président court donc le risque de se situer au ras des pâquerettes, mais aussi de laisser entendre qu’il est dépassé par la situation. Pourquoi par exemple évoque-t-il l’idée d’une union nationale ? Non seulement c’est une expression que l’on réserve aux crises majeures, ce qui revient à dramatiser considérablement la situation, mais de plus lui et ses soutiens n’ont pas cessé ces dernières semaines de condamner radicalement les deux principaux partis d’opposition que sont le RN et LFI, ce qui parait totalement contradictoire avec l’option d’une union nationale.

Par ailleurs, pourquoi a-t-il parlé dans son allocution de la « volonté de changement que le pays a clairement exprimée », alors que justement cette volonté de changement est tout sauf claire, puisque le RN et LFI entendent aller dans des directions totalement opposées ?

La seule explication à une telle confusion, c’est que le président a été pris de court par le résultat des législatives. Trop confiant dans ses propres capacités, il n’a visiblement pas anticipé un tel échec. Il a sans doute cru, après son succès à l’élection présidentielle, que les législatives ne seraient qu’une formalité et que, même sans avoir un véritable programme et sans faire campagne, il était facile de susciter un ralliement à son fanion par rejet des autres partis. Or, les résultats de dimanche montrent que lui aussi fait l’objet d’un profond rejet. Le « tout sauf Macron » atteint un seuil très élevé, ce qui ne lui permet plus de miser sur un soutien automatique de la part des électeurs. Là se trouve pour lui le constat le plus inquiétant. Quand on se rappelle qu’en 2017, la légitimité dont il bénéficiait ne l’a pas empêché de se retrouver avec une crise majeure sur les bras, celle des Gilets jaunes, on peut comprendre que l’inquiétude gagne son camp aujourd’hui.

Guerre des nerfs : qui de Macron ou de ses oppositions se mettra le premier en faute ?

Le président n’a à aucun moment cité Elisabeth Borne, sa première ministre qui est normalement la cheffe de la majorité. Ne commet-il pas une erreur à la fois politique et institutionnelle en se positionnant à la fois en chef de l’Etat, « garant des institutions”, et, de facto, en chef de la majorité par son implication dans ce qu’il se passe à l’Assemblée nationale ?

On éprouve presque de la sympathie pour cette pauvre Elisabeth Borne tant elle semble transparente aux yeux du président, lequel entend rester le chef omnipotent et exclusif de la majorité. Pas un mot donc à son égard : elle ne doit pas s’attendre à la moindre onction présidentielle. Ce silence présidentiel confirme au passage que le choix du premier ministre se fait d’abord sur des critères négatifs : moins vous avez de charisme, de personnalité, de talent oratoire ou même de convictions fortes, et plus vous avez de chance d’être nommé premier ministre. Emmanuel Macron a dû se dire qu’il avait commis une erreur avec Edouard Philippe, qui s’est révélé bien plus charismatique et tacticien que prévu, mais il s’est rattrapé avec Jean Castex, et plus encore avec Elisabeth Borne, ce qui, soi-dit en passant, n’est pas très encourageant pour la cause des femmes. Personne n’a d’ailleurs osé reprendre la phrase d’Éric Zemmour selon laquelle le pouvoir s’évapore avec les femmes. C’est une formule éminemment discutable, mais dans le cas présent, on peut se demander si le fait d’opter pour une femme technocrate ne vise pas précisément à obtenir ce résultat.

Plus fondamentalement, si Emmanuel Macron n’a pas mentionné Elisabeth Borne, c’est probablement parce qu’il se réserve encore la possibilité de la remplacer dans les jours ou semaines qui viennent, au gré de l’évolution des tractations avec les autres partis. Une autre raison est qu’il envisage certainement de passer des alliances avec LR pour voter les lois à l’Assemblée. Or, Elisabeth Borne vient plutôt du centre-gauche. Dès lors, si elle doit rester à la tête du gouvernement, il vaut mieux ne pas trop la mettre en avant, en tout cas pas avant de savoir si la ligne du gouvernement doit se droitiser pour séduire LR. Rappelons qu’un ralliement de LR n’est pas exclu à ce stade, même s’il reste peu probable puisque Christian Jacob a annoncé que son parti était dans l’opposition. On peut s’attendre à ce que le discours de politique générale d’Elisabeth Borne contienne une bonne dose d’appels du pied à LR tout en évitant de se brouiller trop fortement avec le PS ou les Verts, histoire de laisser ouvertes quelques passerelles.

Emmanuel Macron : le discours d’un Moi 

En procédant à un discours pour indiquer qu’il entend la volonté de changement et appeler à une nouvelle méthode au regard de la majorité relative, tout en continuant d’incarner l’hyper-président, le chef de l’Etat prouve-t-il qu’il n’entend pas le rejet de sa manière de gouverner très verticale ?

Emmanuel Macron doit éprouver une cruelle déception : après avoir voulu incarner une présidence gaullienne, il se trouve dans la situation de celui qui remet au goût du jour la IVème République, c’est-à-dire un régime où l’Assemblée est fragmentée en une kyrielle de partis autour d’un bloc central, et qui doit vivre au rythme des alliances et des tractations entre les chefs de partis, voire des débauchages individuels, dans le but d’obtenir des majorités au cas par cas. Notons au passage que la fragmentation actuelle de l’Assemblée donne un avant-goût de ce que pourrait donner un scrutin proportionnel, avec le risque d’avoir un pouvoir sinon impuissant (la Constitution donne des moyens d’action à l’exécutif) du moins plus fragile, davantage soumis aux demandes de quelques micro-partis. On imagine que cette situation doive être difficile à vivre pour Emmanuel Macron : il annonçait un nouveau monde et il nous fait revenir soixante ans en arrière.

Un autre point qui doit tourmenter le président est la place du Rassemblement national. Alors qu’il n’a cessé de présenter le RN comme un parti infréquentable, Emmanuel Macron semble tout faire maintenant pour lui donner une nouvelle légitimité : d’abord en évoquant l’option d’un gouvernement d’union nationale, ce qui sous-entend que le RN aurait pu en faire partie, ensuite en se félicitant que tous les partis se soient engagés à respecter les institutions, ce qui revient à dire que le RN (comme LFI) est aussi dans ce cas, donc qu’il fait partie de « l’arc républicain » dont parle Olivier Véran.

Finalement, avec cette allocution, le président semble surtout vouloir prendre date. En annonçant qu’il compte « légiférer autrement » par la recherche de majorités de circonstances pour chaque loi, il tente de se positionner comme un président pragmatique prêt à faire des compromis dans l’intérêt du pays.

C’est une stratégie astucieuse : soit les autres partis vont effectivement accepter de voter certaines lois, et dans ce cas le président pourra en tirer profit en disant qu’il a su gérer une situation difficile ; soit les partis refuseront toute alliance même ponctuelle, et le président pourra alors les accuser de bloquer le pays, ce qui lui fournira un très bon argument pour dissoudre l’Assemblée nationale. Il pourra dire aux électeurs : vous voyez bien que ces gens-là sont irresponsables puisqu’ils refusent toute démarche constructive. Il se placera alors dans la position du recours pour demander aux Français de lui donner une majorité claire afin d’éviter le chaos ou l’immobilisme. Son allocution est donc une tentative assez sophistiquée, mais risquée, de préserver une porte de sortie dans les six ou douze mois qui viennent, en misant sur une dégradation de la situation à l’Assemblée.

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