AU GUYANA ET AU SURINAME, LE « DILEMME » DU PÉTROLE

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Economie | Santé / Environnement | Série : les effets du changement climatique |  Publié le 25/10/2022 à 11H00 |  Mis à jour le 25/10/2022 à 11H31  |  Par : Helene Ferrarini

Au Guyana et au Suriname, le « dilemme » du pétrole

SÉRIE : LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Quatrième volet de notre série sur le dérèglement climatique. Au Guyana et au Suriname, l’exploitation des réserves pétrolières offshore par des multinationales participe au réchauffement climatique en émettant des gaz à effet de serre, alors même que ces deux pays sont particulièrement exposés à la montée des eaux.

Depuis les premières découvertes pétrolières datant de 2015 au Guyana, les réserves ne cessent d’augmenter : de nouvelles explorations ont porté le potentiel récupérable de pétrole et de gaz à près de 11 milliards de barils dans ce pays d’à peine 800 000 habitant.es. La compagnie étasunienne Exxon Mobil a commencé l’exploitation en décembre 2019. Avec ses partenaires – la société Hess basée à New York et la China National Offshore Oil Corp – elles espèrent extraire 1,2 millions de barils de pétrole et gaz par jour à l’horizon 2027, soit un peu plus d’un pour cent de la production mondiale quotidienne actuelle.

Mais cette exploitation génère d’importantes quantités de CO2. D’après un article du Guardian« le résultat des activités d’ExxonMobil – du forage du pétrole à sa combustion dans des voitures – serait le rejet de 125 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an de 2025 à 2040 ». Soit l’équivalent de 15 centrales à charbon, précise Mark Chernaik, un scientifique joint par le média britannique.

Ces données ont poussé deux citoyens du Guyana – Quadad de Freitas, un jeune guide touristique autochtone de la région de Rupununi, et le Dr Troy Thomas, universitaire engagé dans la lutte contre la corruption – à saisir la cour constitutionnelle de leur pays. Selon eux, les permis d’exploration délivrés par le gouvernement guyanien violent leur droit et celui des générations futures à vivre dans un environnement sain.

Risque de submersion

Pour les plaignants, le carbone émis par l’exploitation pétrolière va participer du dérèglement climatique, de l’acidification des océans et de la montée du niveau de la mer. Le Guyana est dès à présent protégé par une digue qui court sur la quasi intégralité de sa façade littorale, dont des parties conséquentes se trouvent sous le niveau de la mer. Le pays est donc particulièrement sensible aux risques de submersion venus de l’océan.

La cour constitutionnelle du Guyana n’a pas encore rendu son avis. Quel qu’en sera le dénouement, cette affaire constitue le premier cas de justice climatique à s’attaquer à l’industrie des énergies fossiles disputé devant une cour constitutionnelle dans la région caribéenne. S’ajoutent à ce dossier d’autres affaires en cours devant la justice guyanienne : pour dénoncer le fait qu’ExxonMobil brûle du gaz associé au pétrole, en pure perte, plutôt que de le réinjecter comme prévu ; pour s’insurger contre les exemptions fiscales accordées à la compagnie pétrolière par le gouvernement…

Au Guyana, pays parmi les plus pauvres du continent américain, la découverte de larges réserves de pétrole en mer a fait figure d’aubaine économique. Mais totalement inexpérimenté face aux majors pétrolières, le gouvernement a signé un contrat particulièrement avantageux pour ExxonMobil. Au large du pays, l’hydrocarbure est extrait à un coût inférieur à la moyenne mondiale, pour des raisons techniques mais aussi parce que le gouvernement guyanien reçoit des royalties relativement faibles. Après un peu plus de deux ans d’exploitation, Georgetown a commencé à toucher les revenus du pétrole : 600 millions de dollars.

Total énergies investit au Suriname

Au Suriname, l’exploitation offshore de pétrole n’est pas encore assurée. Les principales multinationales du secteur – ExxonMobil, Shell, Total énergies – mènent des recherches, épaulées par des sociétés telles que Apache, Petronas, Tullow, Kosmos.

Le Suriname et ses près de 600 000 habitant.es fait aujourd’hui partie des quelques pays au monde qui stockent plus de carbone qu’ils n’en émettent. Mais, « le jour où nous commencerons à envoyer du pétrole vers les pays riches où il va être utilisé sous forme d’énergies fossiles pour les véhicules, les avions, les bateaux…, le Suriname deviendra une bombe carbone » alerte le militant écologiste Erlan Sleur, faisant ainsi référence aux massives émissions de CO2 que génèrerait l’extraction pétrolière. « Nous allons devenir une partie du problème », s’alarme-t-il. 

Plus de la moitié du terrain de cet agriculteur du Suriname se trouve désormais sous l’eau.

Depuis 2021, l’Agence internationale de l’énergie exhorte à la fin immédiate de tout investissement dans les énergies fossiles. Même son de cloche du côté de l’ONU : son secrétaire général Antonio Guteres déclarait en avril dernier que « investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles est une folie morale et économique ». Une recommandation qui est loin d’être entendue : d’après Mediapart« Total prévoit d’allouer 70 % de ses dépenses d’investissement dans le gaz et le pétrole, y compris pour développer de nouveaux projets. » Notamment au Suriname.

Une récente annonce de Total énergies évoquant un report de son calendrier prévisionnel a certes fait l’effet d’une douche froide sur le gouvernement surinamais qui compte sur les pétrodollars pour rembourser les dettes du pays. Mais les premiers résultats restent prometteurs.

Restaurer la mangrove…

Le littoral surinamais est particulièrement fragile face à la montée des eaux. A quelques kilomètres de Paramaribo, M. Ganpath a vu sa petite propriété être dévorée par l’océan au fil des ans. De la bande de terrain de 600 mètres de long qu’il avait acquise dans les années 1990, alors séparée de l’océan par un épais mur de mangrove, il ne reste plus qu’une petite moitié. Le reste appartient désormais à la houle marine. Une butte de terre argileuse d’un mètre de hauteur fait figure de maigre muraille pour protéger les terres. En 2015, une vague avait submergé une précédente digue aujourd’hui disparue, emportant les poulets et les chèvres que M. Ganpath élevait pour vivre. « Quand je vois la mer aussi proche, je n’ai pas envie d’améliorer ma maison car tout pourrait être détruit du jour au lendemain », se lamente aujourd’hui M. Ganpath. 

Tout comme en Guyane française, la dynamique du littoral est très forte au Suriname. « Il y a des phénomènes naturels », reconnaît Erlan Sleur, « mais les effets humains créent encore plus de problèmes » souligne-t-il. « Si le niveau de la mer monte, tout Paramaribo et la zone littorale seront inondés », martèle Erlan Sleur. « Je trouve que c’est tout bonnement irresponsable de la part de mon gouvernement, mais aussi de tous ces pays riches qui envoient leurs multinationales. »

Le professeur Naipal de l’université du Suriname œuvre à la restauration de la mangrove aujourd’hui disparue. Le projet est financé par … des sociétés qui fouillent les fonds à la recherche du brut, en l’occurrence Tullow et Kosmos. « Ces compagnies ont une sorte d’accord avec la société nationale Staatsolie selon lequel toutes les compagnies pétrolières qui investissent au Suriname doivent aussi investir dans l’environnement », explique l’universitaire.

… avec l’argent du pétrole

« Je soutiens le fait que plus rapidement on stoppera l’extraction des hydrocarbures, meilleur ce sera pour le monde, et pour le Suriname aussi », affirme le chercheur qui se dit tout à fait conscient que « la moindre petite goutte de carbone que nous extrayons sera brûlée et ira dans l’atmosphère ». « Mais nous ne recevons pas de soutien par ailleurs pour mener ce travail [de restauration de la mangrove], alors nous sommes face à une sorte de dilemme », résume le Pr Naipal.

Le Pr Naipal de l’université du Suriname tente de restaurer la mangrove

Ce « dilemme » a aussi été celui de Conservation international, une ONG environnementale dont le siège se trouve aux États-Unis. En 2018, son antenne au Guyana a accepté dix millions de dollars de la part de la compagnie pétrolière ExxonMobil pour développer une formation aux métiers du développement durable en partenariat avec l’université du Guyana, avant de finalement renoncer à cet argent trois ans plus tard.

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