Tribune de l’INRAe guadeloupe

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Les soutiens inégalitaires de la PAC limitent le développement de la petite agriculture des Outre-mer

Cette tribune alerte sur la nécessaire réorientation des soutiens à l’agriculture dans les régions d’Outre-mer. L’objectif est d’assurer une meilleure autonomie alimentaire de ces territoires tout en favorisant l’emploi et la transition agroécologique des systèmes de production. Elle est issue des analyses et des propositions d’un groupe de travail sur les agricultures ultramarines mené dans le cadre de l’Académie d’Agriculture de France.

Depuis 1981, la PAC (Politique Agricole Commune) s’applique selon des modalités particulières dans les régions ultrapériphériques communautaires (Guadeloupe, Guyane, Martinique, la Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère). Le 1er pilier de la PAC qui regroupe les aides au revenu agricole, couplées et découplées, est remplacé par le POSEI (Programme d’Options Spécifiques à l’Eloignement et à l’Insularité) censé répondre aux contraintes économiques et environnementales spécifiques de ces régions. Doté d’une enveloppe annuelle d’environ 320 millions d’euros, le POSEI français est alimenté à hauteur de 280 millions d’euros par le Fonds Européen Agricole de Garantie et de 40 millions d’euros par le budget national. Comparativement le 2ème pilier de la PAC qui vise à améliorer la compétitivité du secteur agricole, à préserver l’environnement et à favoriser la diversification de l’économie rurale est doté d’une enveloppe de 101 millions d’euros.

Fruit de l’histoire des organisations de marché européennes, les aides communautaires et nationales bénéficient aujourd’hui principalement aux filières d’exportation (banane et canne à sucre). A titre indicatif, en 2020, la filière banane mobilise pour la Guadeloupe et la Martinique respectivement 45% et 80% du POSEI, tandis que la filière canne-sucre-rhum concentre 46% de l’enveloppe à la Réunion. Les 349 producteurs de banane de la Martinique ne représentent que 13% des agriculteurs pour un soutien à la filière estimé à 97 millions d’euros ! Ces filières en difficulté du fait notamment de l’ouverture des marchés communautaires de la banane et du sucre à la concurrence des Pays tiers, demandent régulièrement une augmentation des soutiens des politiques agricoles. Paradoxalement, les producteurs travaillant pour les filières alimentaires locales sont les parents pauvres de la PAC, alors que le degré d’autonomie alimentaire tend à se dégrader dans de nombreuses régions d’Outre-mer et que le prix des denrées importées explose.

Les très petits producteurs familiaux sont la très grande majorité des 26 600 agriculteurs des Outre-mer (la superficie moyenne des exploitations est comprise entre 4 et 8 hectares contre 69 hectares dans la métropole en 2020). La plupart d’entre eux ne bénéficient pas du POSEI car ils ne sont pas structurés dans des organisations de producteurs et l’accès aux aides du 2ème pilier (installation, mesures agri environnementales…) leur est très difficile.

La réforme de la PAC 2023-2027 devrait être l’occasion de réorienter une partie des aides du POSEI vers les filières de diversification animales et végétales, principalement gérées par des agriculteurs familiaux, avec l’objectif d’améliorer l’approvisionnement alimentaire des Outre-mer et d’assurer la transition agroécologique. Le groupe de travail de l’Académie propose des mesures portant une attention accrue à la petite agriculture familiale, dénommée « Agriculture de Petite Échelle Bioéconomique et Agroécologique » (APEBA). Elles nécessitent relativement peu de financements nouveaux, mais reposent principalement sur des redéploiements et une simplification des modalités d’attribution, traduisant une inflexion forte des orientations stratégiques.

Nous suggérons principalement de :

  • Accorder une aide forfaitaire annuelle accessible à toutes les exploitations, y compris les plus petites, ce qui est possible dans le cadre de la nouvelle PAC,
  • Soutenir les marchés de producteurs pour accompagner l’écoulement des produits,
  • Mettre enfin en œuvre le principe de la « fongibilité » entre les enveloppes d’aides afin d’équilibrer leur répartition entre productions et territoires,
  • Instaurer un tutorat « cédant/entrant » dans la transmission des exploitations,
  • Créer un contrat de transition agroécologique sur 5 ans combinant des aides à l’investissement et des soutiens agri environnementaux applicables à toutes les exploitations, et surtout accessible aux plus petites,
  • Appuyer ces contrats de transition agroécologiques par des programmes adaptés de recherche, de formation et de conseil,
  • Financer une communication collective en faveur des produits locaux.

Il s’agit de soutenir également les nombreuses initiatives économiques et politiques allant dans le sens de davantage de soutiens à la petite agriculture familiale (APEBA) qui se mettent en place dans les Outre-Mer :

  • En Guadeloupe :
    • Plan Stratégique Régional pour la Transition Agroécologique (2020)
  • En Martinique :
    • Document de stratégie Agricole de la Collectivité Territoriale (2022)
  • En Guyane :
    • Feuille de route pour la transition agroécologique
  • A Mayotte :
    • Mesure APEBA / DAAF
  • A La Réunion
    • Conseil Départemental : mesures en faveur de l’APEBA
  • En Polynésie
    • Document stratégique (2022) « La transition agroécologique : un levier pour l’adaptation au changement climatique et la souveraineté alimentaire en Polynésie Française »

Face à une situation économique et sociale de plus en plus difficile dans les Outre-mer, les enjeux du développement de la petite agriculture familiale en termes d’emplois, d’autonomie et de prix alimentaires, de diversification des productions et de transition agroécologique, sont fondamentaux pour assurer des perspectives dans ces territoires. La refondation des politiques agricoles est plus que jamais indispensable dans les régions d’Outre-mer.

Signataires : Jean-Pierre Bastié, Gilles Bazin, Harry Ozier-Lafontaine, Michel Rieu, Jacques Brulhet, membres de l’Académie d’Agriculture de France, Nicaise Monrose, directeur de la Chambre d’agriculture de la Martinique en charge des politiques agricoles à la Collectivité Territoriale de  Martinique.

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