Notre cerveau, responsable de notre perte?

Des associations se regroupent pour positionner un remède à l’anxiété dans le monde de ouf qui nous attend Par un festival FESTIVAL 2030 d’un nouveau genre qui se déroulera du 26 Juin au 2 juillet , elles espèrent trouver bras et remèdes à l’eco anxiété: demain s’imagine aujourd’hui (une formule que nous avions à peu près choisi dans notre lettre mensuelle : demain c’est aujourd’hui et qui nous semble correspondre davantage à ce qui se passe puisque les technologies que nous ne voulons pas s’implantent déjà) IL ne s’agit cependant pas de tomber dans le déni. Jusqu’en 2030 il faudrait réussir à écrire le monde que nous voulons et pas seulement celui dont nous ne voulons pas . Cette démarche avait déjà été entreprise par Bruno Latour mais sa mort nous a laissé sans réponse. Le neurologue Sébastien Bolher (voir plus bas) a réfléchi à notre incapacité de réagir aux risques qui se profilent. Toutes ces démarches ont un point commun: notre cerveau a besoin de plaisir , de »sucre » diront les uns, de « dopamine » dira l’autre. La grande originalité du Festival 2030 est de s’inscrire dans la durée avec huit éditions. Tous les ans jusqu’en 2030, année qui clôturera l’horizon des Objectifs de Développement Durable, une édition thématisée viendra faire vibrer la ville. DMF

A suivre : Divergence FM  » nous n’avons qu’une terre«  Vendredi 23 Juin à 12h David Coste, cofondateur de the Island

SEBASTIEN BOHLER:

Docteur en neurosciences, Sébastien Bohler s’est plongé dans les méandres de notre cerveau pour trouver des réponses à notre incapacité à changer nos comportements face au réchauffement climatique. Son dernier livre, Human Psycho (Bouquins, 2022), explore les ressorts collectifs de notre inaction.

IT conduite par La Tribune

Qu’est-ce qui vous a poussé à chercher une explication à l’incohérence entre la vision claire des conséquences du réchauffement climatique et la faiblesse de nos actions pour le limiter ?

Cette incapacité à empêcher quelque chose dont nous sommes responsables me préoccupe depuis des années. Je relevais sans cesse les incohérences de nos comportements, comme lorsqu’à la radio, un reportage sur la météo catastrophique est suivi, comme si de rien n’était, d’un autre sur les projections de doublement des capacités du transport aérien d’ici à 2050… Cet été, en pleine canicule, on a beaucoup parlé du réchauffement climatique. Mais quand le tour du France a été interrompu par une manifestation d’activistes pour le climat, il était uniquement question de savoir si cela allait pénaliser le maillot jaune, comment les temps allaient être répartis entre les différentes équipes… Le véritable problème était complètement éclipsé. Cette schizophrénie incroyable avait forcément une explication.

Et vous l’avez trouvée dans notre cerveau

Lorsque l’on prend conscience des impacts présents et futurs du changement climatique, c’est la partie « intelligente » de notre cerveau qui entre en jeu : le cortex cérébral, c’est-à-dire la partie externe plissée qui s’est beaucoup développée depuis 200.000 ans environ. C’est grâce au cortex cérébral, qui déborde d’ingéniosité, de pouvoirs d’abstraction, de planification et de coopération, que nous avons pu inventer des outils, des machines, des avions, des téléphones, etc. Mais, quand nous passons à l’acte, ce sont des zones plus profondes du cerveau qui s’activent, gouvernant la motivation et le désir, notamment le striatum, placé au coeur de ce qu’on appelle le circuit de la récompense. Ce circuit nous récompense avec de la dopamine quand on adopte certains types de comportements qui se trouvent être ceux nous ayant permis de survivre pendant des centaines de milliers d’années : manger, se reproduire, avoir un statut social important et chercher les comportements les plus économes en énergie.
En quoi le striatum nous entraîne-t-il dans une course infinie dans un monde fini ?

 Cette structure cérébrale, extrêmement robuste puisqu’elle a traversé des centaines de millions d’années (elle est présente chez les primates et les rongeurs), est toujours à l’oeuvre dans le cerveau de n’importe quel être humain sur Terre. Si quelqu’un adopte un comportement de modération visant à limiter sa consommation et son impact, le striatum va libérer moins de dopamine . C’est l’habituation hédonique : quelque chose qui vous fait plaisir un jour ne vous fait plus rien au bout de quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. La seule solution pour avoir de nouveau de la dopamine est d’en avoir plus. Il y a donc un principe de croissance au coeur même du cerveau humain qui explique pourquoi les humains ne se sont jamais satisfaits de ce qu’ils avaient, ont toujours repoussé les limites et ont été une espèce migrante, conquérante, invasive. Nous sommes des êtres taillés pour la croissance : cela nous a aidés à nous développer dans un milieu hostile paléolithique mais aujourd’hui, dans un monde où nous possédons des outils hyperperfectionnés et où presque tous les désirs peuvent être satisfaits, cela se retourne contre nous.

Est-ce ainsi que nous sommes devenus « l’espèce la plus dangereuse de la planète », comme vous l’écrivez dans votre dernier livre ?

 De nombreuses personnes ayant lu Le Bug humain (1) ont décidé de ne plus être à la merci de leur striatum, de surmonter les déterminismes de leur cerveau et de changer leurs comportements. Mais des mois après, elles revenaient vers moi, découragées, se sentant impuissantes… J’ai alors compris que l’individu n’était pas tout et que quelque chose au-dessus de nous prenait le pas sur nos actions personnelles. On retrouve là la notion de « propriétés émergentes » connues des physiciens et des entomologistes, selon laquelle les propriétés d’un système peuvent être différentes de celles de ses composantes. C’est valable pour un groupe de particules, d’insectes mais aussi d’humains. Nous avons ainsi donné naissance à un superorganisme humain hyperconnecté par des milliers de satellites, des milliards de terminaux informatiques et des transports aériens et maritimes qui sillonnent la planète en tous sens. C’est un être à grande échelle dont la structure informationnelle est proche de celle du cerveau humain : l’équivalent de dix fois le contenu de l’encyclopédie Wikipédia en langue anglaise s’échange à chaque seconde à la surface de la Terre. 

Ce superorganisme n’a selon vous rien à envier aux pires psychopathes. Il semblerait que nous soyons tout aussi « mal câblés » au niveau collectif qu’au niveau individuel…

 Mon approche fut celle du neuropsychiatre face à un individu dont il ignore la nature psychique : quelles sont ses grandes caractéristiques sur le plan du langage, de la cognition, de l’émotion et de l’action ? Depuis qu’elle a pu s’exprimer par écrit, l’humanité pose un langage vis-à-vis d’elle-même et du vivant que l’on qualifierait de narcissique en psychiatrie. C’est une vision grandiose où l’homme est décrit comme supérieur aux autres espèces vivantes. Sur le plan de la cognition, ce superorganisme pense le monde comme quelque chose à modeler, à transformer. Son rapport à la matière inanimée, aux animaux et à la nature est marqué par l’exploitation, l’utilisation et la manipulation. La troisième caractéristique de ce superorganisme est son absence d’empathie, frappante devant les destructions continues opérées par l’humanité sur la planète. Enfin, sur le plan de l’action, l’humanité se caractérise par son impulsivité et son incapacité à intégrer les conséquences de ses actes, en somme son irresponsabilité. Ces quatre caractéristiques – l’ego surdimensionné, la manipulation, le manque d’empathie et l’irresponsabilité – sont exactement celles du psychopathe.

L’empathie, une vertu à géométrie variable

L’absence d’empathie est ce qui est le plus grave chez un psychopathe. Est-ce aussi le cas pour l’humanité ?

 Les humains pratiquent une empathie préférentielle qui s’applique prioritairement aux individus qui leur ressemblent. Une empathie sans préférence n’aurait d’ailleurs guère eu de chance de se maintenir au fil de l’évolution. L’empathie préférentielle est à la fois quelque chose de merveilleux et de terrible car elle fait toujours la distinction entre ceux que l’on va aider et ceux que l’on va rejeter. S’est ainsi dessinée au fil des siècles une montée globale de l’empathie à l’intérieur de l’humanité, avec une baisse de la violence sous toutes ses formes dans les communautés humaines bien décrite par le psychologue Steven Pinker dans son ouvrage La part d’ange en nous. Mais, parallèlement, l’empathie s’est effondrée envers tout ce qui n’est pas humain et la violence exercée par l’humanité sur le monde vivant a explosé. Des chercheurs du Muséum d’histoire naturelle ont d’ailleurs montré que le score d’empathie se révèle inversement proportionnel à la distance phylogénétique qui sépare l’homme d’une espèce. L’histoire de l’émergence de l’homme est donc celle d’une perte progressive d’empathie pour les autres formes de vie.Est-ce que nous, individus, pouvons encore avoir prise sur le comportement global de ce « superorganisme psychopathe » ?Le diagnostic de psychopathie permet de cadrer l’action curative, avec un traitement en quatre phases correspondant aux quatre caractéristiques. Pour contrer l’ego surdimensionné, il faut admettre que l’humain est la pire espèce de la planète, même si cela peut paraître difficile. Je le vois comme le coup de grâce porté à notre ego, après les trois premières brèches qui ont été historiquement la découverte par Copernic du fait que la Terre n’occupe pas le centre de l’Univers, celle de Darwin montrant que l’homme n’a pas été créé par Dieu, et la révolution freudienne indiquant que l’homme n’est même pas maître de son propre esprit. Pour empêcher l’exploitation de l’environnement, il faut construire une structure mondiale pouvant jouer un rôle semblable à celui de notre cortex, afin d’imposer que les écosystèmes ne soient plus des moyens mais des fins. La meilleure solution au problème d’empathie me semble être de faire des écosystèmes des sujets de droit. Il y a déjà quelques exemples dans le monde. Récemment, une lagune en Espagne, la Mar Menor, a obtenu une personnalité juridique pour la première fois dans l’Union européenne. Le droit est vraiment une voie privilégiée car des textes rédigés en quelques mois peuvent changer complètement les rapports entre les humains et les non-humains.
Et pour remédier à l’impulsivité et l’irresponsabilité ?

 Il nous faudra intégrer une fonction « anticipation » à toutes nos structures économiques et sociales : entreprises, institutions, corpus de loi, universités, moyens de télécommunications, procédés industriels, etc. C’est la chose la plus concrète du monde et sans doute la plus rapidement réalisable, la puissance de calcul des logiciels de prédiction permettant aujourd’hui de déterminer de manière quasi instantanée les conséquences à long terme. Un article paru récemment dans la revue Nature montrait que pour avoir une petite chance de tenir les objectifs des accords de Paris, il faudrait renoncer à exploiter 90 % des gisements d’énergies fossiles actuellement connus. L’intelligence artificielle pourrait nous aider à surmonter ce genre de dilemme de partage des ressources, d’autant qu’elle est potentiellement fiable, impartiale et rationnelle.

Que peut-on faire au niveau individuel pour dépasser nos déterminismes cérébraux ?

Nous possédons une parade au striatum, c’est la partie la plus antérieure de notre cerveau, que l’on appelle le cortex préfrontal. Grâce à lui nous pouvons nous tempérer, nous modérer, poser des limites et résister aux pulsions du striatum qui en veut toujours plus. Un enfant n’est que pur striatum et intègre au fur et à mesure de son éducation les limites et les contraintes, notamment sociales. Face à la nature, c’est plus compliqué car elle n’a pas le pouvoir d’opposition qu’ont les autres individus ou la société. Cela changera si on utilise le droit pour faire des écosystèmes des sujets de droit. En attendant, il ne faut jamais oublier que nous avons cette capacité de mobiliser notre cortex préfrontal pour limiter notre propre puissance, même quand il n’y a personne en face pour nous dire « non ».

L’avenir est-il condamné selon vous ?

 Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, car l’un comme l’autre sont des palliatifs à la lucidité. Il est clair que nous allons vers des temps très difficiles. Il y a un mécanisme thermodynamique qui est lancé, le réchauffement de l’atmosphère, dont les conséquences ne peuvent être que néfastes, nous amenant vers des difficultés d’approvisionnement et des points de rupture de nos systèmes technologiques. Objectivement, un monde à +3ºC. est un monde en guerre. On ne peut pas écarter l’infime chance d’un miracle énergétique et technologique, comme la fusion nucléaire contrôlée. Mais je n’y crois pas beaucoup, sans compter que la technologie peut résoudre les problèmes à condition qu’on se pose dès le départ la question des limites de son utilisation… L’autre singularité qui pourrait se produire serait une rupture anthropologique majeure : quitter le modèle dominant des sociétés humaines depuis 10.000 ans, celui d’un individualisme croissant et de la création de richesses par la croissance, l’accumulation et les inégalités, pour aller vers un modèle alternatif basé sur la coopération et l’altruisme. Je pense que les chances sont minces mais n’oublions pas que la coopération et l’altruisme sont deux grandes potentialités du cerveau humain.

(1) «Le Bug humain», Robert Laffont, 2019. Et voir 2022 HUMAIN (Robert Laffont)

Pour aller plus loin● A lire : la bande dessinée « Le monde sans fin » (Dargaud, 2021) de l’ingénieur, consultant et lanceur d’alerte Jean-Marc Jancovici et du dessinateur Christophe Blain sur les enjeux économiques, énergétiques, écologiques et sociétaux du changement climatique.● A écouter : la série de cours de l’économiste Christian Gollier, titulaire de la chaire « Avenir Commun Durable » du Collège de France en 2021-2022, intitulée « Fin du mois et fin du monde : comment concilier économie et écologie ? », qui éclaire par la science économique les différents débats sur la lutte et l’adaptation au changement climatique. Disponible sur le podcast « Les cours du Collège de France » de France Culture.● A visionner : le film « Don’t Look Up » (2021), comédie satirique d’Adam McKay avec Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence, métaphore de la crise climatique en cours. Disponible sur Netflix.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *