Au Giec, les pays pauvres ont toujours du mal à faire entendre leurs voix

Fini les rapports mais le GIEC poursuit son travail . Si toutes les prévisions climat sont « dans les clous » , l’analyse des effets et les manifestations extrêmes nécessitent encore beaucoup de travail . Par ailleurs , il faudrait que l’on puisse entendre davantage désormais les chercheurs en sciences cognitives et sociales. Si le déni a pratiquement disparu , la compréhension des phénomènes intègre mal les dimensions statistiques, géographiques, globales…. On reste sur une lecture linéaire et cumulative , localisée à son propre territoire. Or l’effort doit impérativement se développer du côté des pays pauvres . La COP 28 qui se déroulera en Arabie Saoudite ne semble pas en prendre la mesure

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) lance en ce mois de juillet 2023 un nouveau cycle de travail. Parmi les défis que celui-ci devra relever : la meilleure intégration des pays pauvres qui, bien qu’étant les premières victimes du réchauffement climatique, ont toutes les peines du monde à peser au sein de l’institution.

LIre ci dessous une excellente – et rare- analyse de notre confrère pour OUEST FRANCE:

« Le processus inclusif n’a pas lieu »

Longue et intense, la journée du samedi ne permet toutefois pas de venir à bout de l’ordre du jour. Les participants prennent alors date pour le dimanche. Mais pourtant, en soirée, plusieurs délégués quittent les lieux. Ce sont en majorité des représentants des pays en développement. Ils n’ont pas les moyens de rester plus longtemps. Alors, ils rentrent chez eux. Les débats continueront sans eux.

Des délégations politiques faméliques

L’épisode suisse en est l’illustration : ces difficultés des pays du Sud, elles sont d’abord liées à un manque de moyens. Cela a donc une influence sur la présence de leurs délégués dans certaines réunions, mais pas seulement. Car, faute de subsides, les délégations politiques des pays en développement envoient aux réunions d’approbation des rapports sont également réduites à la portion congrue.

En mars 2022, le Mali, le Burundi, la Gambie ou la Sierra Leone n’ont envoyé qu’un seul représentant à la session qui a vu l’adoption du rapport du groupe 3 (celui étudiant les moyens de lutter contre le réchauffement). Les États-Unis, eux, en avaient envoyé 29 quand la Corée du Sud avait mandaté 26 délégués, l’Arabie saoudite 11 et la France 10.

La capacité à influencer ou suivre tout ce qui se joue n’est pas la même— Céline Guivarch, économiste, membre du Giec

Si une seule personne suffit à représenter son pays lors du vote, « les pays qui n’ont les moyens d’envoyer qu’une personne aux assemblées ne peuvent pas avoir la même influence que ceux qui envoient une délégation très nombreuse », regrette Céline Guivarch, économiste membre du Giec. « La capacité à influencer ou suivre tout ce qui se joue n’est pas la même ». De fait, les pays en développement « ont plus de difficultés à voir leurs voix prises en compte dans les rapports et les résumés pour les décideurs », résume Kari de Pryck, chercheuse spécialisée dans le suivi des institutions climatiques.

Des chercheurs peu aidés

Ces difficultés financières ont également pour conséquences de réduire les cohortes de chercheurs venus des pays du Sud, ou, tout du moins, de décourager leur intégration au Giec.

« Pour les chercheurs des pays du nord, ce sont souvent les pays ou les institutions de recherches qui organisent les déplacements aux réunions du Giec, mais c ’est beaucoup moins le cas pour les chercheurs des pays en développement », explique Kari de Pryck. Si certains peuvent compter sur le soutien du Giec, les scientifiques des pays du Sud voient donc les contraintes pécuniaires s’imposer à eux plus souvent qu’à leur tour.

Durant la pandémie de Covid-19, lorsque les travaux avaient lieu en distanciel, ce manque latent de moyens s’est également matérialisé par les difficultés de connexion subies par certains représentants des pays pauvres. « On avait parfois des auteurs et des délégués qui disparaissaient parce que leurs connexions étaient mauvaises », se souvient Kari De Pryck.

Une communauté scientifique plus restreinte

À cette logistique défaillante, très marquée dans le cas des pays africains, s’ajoute la faiblesse des tissus universitaires locaux, qui rend mécaniquement le nombre de candidats au Giec moins important.

« Avoir à la fois des spécialistes d’atténuation et d’adaptation, ce n’est pas évident », note Céline Guivarch. « Certaines ONG essayent de monter des réseaux d’expertises mais, pour l’instant, on est loin du compte. » « Dans certains domaines qui demandent énormément de financement, comme celui des modèles climatiques, on voit moins de scientifiques des pays en développement », ajoute Kari de Pryck.

Le monde universitaire africain n’est pas suffisamment dense— Jean Jouzel, ancien membre du bureau du Giec

De plus, le contexte des pays en développement n’encourage qu’assez peu leurs cerveaux à rejoindre le Giec. « Pour de nombreux chercheurs du Sud, c’est beaucoup plus important d’avoir des réseaux nationaux », explique Kari de Pryck. « On les pousse donc moins à s’impliquer au niveau international, car cela a un impact modeste sur leur carrière ». À l’inverse, dans les pays développés, avoir participé à un rapport du Giec représente une vraie plus-value dans la carrière d’un scientifique.

« On voit bien les difficultés qu’on a à entraîner le monde universitaire africain, qui n’est pas suffisamment dense », résume Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe 1 du Giec.

Nord ou Sud ?

Par ailleurs, parmi les scientifiques du Sud qui, malgré tout, participent aux travaux du Giec, nombreux sont ceux qui le font en étant employés par des instituts basés dans le pays du Nord. « Des scientifiques africains s’impliquent mais ce sont souvent des chercheurs passés par les États-Unis », précise Jean Jouzel. « Peut-on dire qu’ils représentent les perspectives des pays du Sud ? », s’interroge à leur sujet Kari de Pryck. Difficile d’en être certain.

Au final, parce que les chercheurs de ces pays sont peu nombreux ou installés dans les pays riches, « la majeure partie des preuves scientifiques utilisées dans les évaluations du GIEC proviennent des pays du Nord », relève le Bulletin sur les discussions climatiques.

Un défi connu

Les instances du Giec sont tout à fait conscientes du problème, pour partie structurel. « Ce sur quoi nous devons nous concentrer pour le prochain cycle de travaux, c’est sur l’amélioration de la part des chercheurs des pays en développement au sein du Giec », indiquait, en mars dernier, Abdallah Mokssit, le secrétaire de l’institution, lors de la présentation du rapport discuté à Interlaken. « On n’a qu’une envie, c’est d’avoir des auteurs de tous les continents », rappelle de son côté Jean Jouzel.

Candidat à la présidence du Giec, le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele a confié à Reporterre qu’il voulait lui-aussi « une participation plus étendue des scientifiques issus des pays en développement ».

Le 6e cycle d’évaluation était vraiment intéressant sur cette question— Kari de Pryck, chercheuse spécialisée dans les institutions climatiques

Et, en la matière, « il y a encore beaucoup de travail », résume Kari de Pryck. « Mais le 6e cycle (2015-2023) était vraiment intéressant sur cette question », nuance-t-elle. « Ça s’améliore, mais peut-être trop lentement », confirme Jean Jouzel.

Le dernier cycle a effectivement vu le nombre de pays en développement participant aux sessions d’approbation des rapports continuer à croître. « On avait commencé avec 60 pays en développement, maintenant on arrive à 120 », rappelait en mars à Ouest-France Abdallah Mokssit.

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