Ce que la mort de l’opposant Alexeï Navalny signifie pour la Russie et le monde

Par The Economist le 20.02.2024 à 06h30

EDITORIAL – La peur et l’appât du gain sont les moteurs du régime russe. Décédé vendredi 16 février dans sa prison en Sibérie, le chef de file de l’opposition s’en prenait aux deux. Pour qu’il ne soit pas mort pour rien, l’Occident doit s’inspirer de son courage et assurer la victoire de l’Ukraine.

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L’ambassade russe à Londres a été couverte d’hommages à l’opposant Alexeï Navalny ce week-end, après l’annonce de sa mort survenue vendredi 16 février.SOPA IMAGES/SIPA

Alexeï Navalny aimait les films hollywoodiens dans lesquels les héros vainquent les méchants. Depuis sa colonie pénitentiaire arctique, ce fan de la Guerre des étoiles décrivait son calvaire en termes lyriques : « La prison existe dans l’esprit de chacun. Je ne suis pas en prison mais en voyage dans l’espace vers un nouveau monde merveilleux. » Ce voyage s’est achevé le 16 février. Vladimir Poutine, qui l’a enfermé et soumis à l’isolement, l’a tué. On se souviendra du parcours de martyr de Navalny pour ce qu’il présage pour la Russie et ce qu’il exige du monde.

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Vers une répression encore plus dure en Russie

Le flamboyant opposant avait identifié les deux fondements sur lesquels le président russe a bâti son pouvoir : la peur et la cupidité. Sa croisade anti-corruption a été dévastatrice, avec ses vidéos YouTube montrant les yachts, villas, avions des dirigeants russes, jusqu’au palais présidentiel de la Mer Noire, de 1 milliard de dollars, visionnée 130 millions de fois. Et Navalny n’a jamais cessé de défier son adversaire, au mépris de sa politique de la terreur.

Poutine avait déjà tenté de le tuer par empoisonnement en 2020. Miraculé, soigné en Allemagne, il n’a pas hésité à revenir à Moscou, en sachant qu’il serait arrêté. Et à son procès, en 2021, il se moquait encore du maître du Kremlin : « Je l’ai mortellement offensé en survivant. » Condamné à 19 ans de prison pour extrémisme, il affichait son sourire chaque fois qu’il s’est présenté aux audiences du tribunal par vidéo. Poutine a dû aller jusqu’au bout pour effacer ce sourire. Sa mort laisse présager une aggravation de la répression en Russie.

Les prochaines cibles pourraient être Ilya Yashin, un politicien courageux qui a suivi Navalny en prison, et Vladimir Kara-Murza, journaliste et politicien condamné à 25 ans de prison pour trahison pour s’être exprimé contre la guerre. Les avocats et militants qui défendent ces dissidents sont en danger. Les Russes ordinaires sont aussi toujours plus réprimés. Depuis le retour de Poutine à la présidence en 2012, le nombre de prisonniers a été multiplié par 15. Il tirera sur la foule s’il le faut.

L’Occident doit passer à l’action

Pour l’Occident, la mort de Navalny est un appel à l’action. Le chef de l’Etat russe considère ses dirigeants trop faibles et décadents pour lui résister. Et, longtemps, les hommes politiques et d’affaires occidentaux ont prouvé que la peur et la cupidité fonctionnent également à l’Ouest. Lorsque Poutine a pilonné la Tchétchénie dans les années 2000, ils ont fermé les yeux. Lorsqu’il a assassiné ses opposants à Moscou et annexé la Crimée en 2014, ils lui ont tapé sur les doigts. Après l’invasion de l’Ukraine en 2022, ils ont hésité à fournir assez d’armes pour que la Russie soit vaincue. Et chaque fois que le Congrès américain vote contre l’aide à l’Ukraine, Poutine fait un pas en avant.

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« Tout ce qu’il faut pour que le mal triomphe, c’est l’inaction des bonnes personnes », répétait Navalny. Les dirigeants réunis à la conférence de Munich sur la sécurité, qui ont entendu sa veuve, Yulia, parler de justice pour la mort de son mari, doivent s’inspirer de son courage. Car sans détermination, la supériorité militaire et économique occidentale ne sert à rien.

©The Economist

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