Renoncer aux pesticides c’est garantir la santé de tous

Pourtant s’opposer à la réduction des pesticides c’est compromettre l’avenir de l’agriculture, pour défendre les intérêts à court terme d’une minorité de gros exploitants agricoles, alors qu’une majorité s’efforce de les réduire.  9% des exploitations ont augmenté leur consommation de pesticides de 55% en 10 ans. Ce sont celles qui se sont le plus agrandies, au détriment de l’installation de jeunes. [1] En maraîchage, les exploitations de plus de 3 salariés utilisent 7 fois plus de pesticides par hectare que les exploitations dites « familiales ». [2] 

L’agriculture ne pourra survivre avec des ressources naturelles effondrées, des sols morts, des pollinisateurs décimés. Le Vice-président européen en charge du Green Deal s’en désolait : « La sur-utilisation des pesticides tue une grande partie de notre biodiversité. À long terme c’est une menace directe pour le monde agricole, c’est une menace existentielle sur notre capacité à produire de la nourriture ».

• La santé des agriculteurs et des salariés agricoles en premier lieu (environ un million de personnes)

La porte-parole du gouvernement parle d’ « écologie punitive » à propos du plan Ecophyto, pourtant défendu par tous les gouvernements successifs depuis 2008… Mais les premiers punis par les politiques actuelles ce sont les agriculteurs !

Du fait de leur mode d’action, aucun pesticide n’est anodin pour la santé. L’interdiction des pesticides les plus dangereux est très lente à se mette en place. Il a fallu plus de 10 ans après leur interdiction théorique pour que les cancérogènes avérés soient en grande partie interdits… Et la dangerosité de ces molécules est largement sous-estimée, les agences n’ayant pas les moyens humains de vérifier les données fournies par les industriels.

Les agriculteurs sont très insuffisamment protégés : « Depuis 15 ans un groupe de chercheurs alerte en vain les autorités sur l’inefficacité des équipements censés protéger la santé des agriculteurs. Les normes, co-écrites par les industriels, ignorent autant la réalité des pratiques du métier que les données scientifiques »[3] 

La Commission nationale de déontologie et des alertes en santé publique et environnement s’est demandé « Comment il était possible qu’avec autant de données disponibles dans la littérature on fasse si peu pour protéger la santé des travailleurs agricoles… Dès 2012 un rapport du Sénat avait évoqué une « urgence sanitaire pour les utilisateurs de pesticides » … »  Une expertise demandée par l’ANSES avait déjà fait les mêmes constats en 2016, sans déboucher sur des décisions importantes.

L’IGAS évaluait en 2018 à environ 10 000 les nombres d‘agriculteurs touchés par la maladie de Parkinson du fait de leur exposition professionnelle, à 2300 le nombre de lymphomes non hodgkiniens, maladie spécifiquement liée aux pesticides. [4] S’y ajoutent plusieurs autres pathologies listées par la très rigoureuse expertise de l’INSERM de 2021.

Les enfants des agriculteurs peuvent également être victimes de l’exposition de leurs parents, de la mère pendant la grossesse ou du père pendant les 6 mois précédant la naissance. Le CHU d’Amiens a ouvert une première consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques ». Les agriculteurs sont peu informés de ce risque.

La FNSEA s’est opposée à la reconnaissance du lymphome comme maladie professionnelle et n’apporte guère de soutien aux victimes de pesticides dans leur difficile combat pour faire reconnaître leurs droits.

Défendrait-elle plus la santé financière des industriels des phytos que la santé de ses agriculteurs ?

• La santé des consommateurs est aussi mise en danger dans un contexte de très forte augmentation des maladies chroniques et notamment de doublement du nombre de cancers en 30 ans…

Ceux-ci sont théoriquement protégés par la norme LMR (limite maximale de résidus). Mais celle-ci ne tient pas compte des données scientifiques récentes comme l’effet cocktail, objectivé notamment par l’équipe Toxalim (INRA Toulouse) depuis 2009 : des mélanges de pesticides aux doses trouvées dans l’alimentation s’avèrent avoir un effet toxique alors que chacun est en dessous de la LMR. Ces mélanges peuvent notamment provoquer une obésité et un diabète chez la souris mâle (INRA-INSERM, 2018).

La LMR ne tient pas compte non plus de l’effet à faible dose des perturbateurs endocriniens. Or une petite moitié des pesticides sont des perturbateurs endocriniens, ils peuvent être à l’origine de pathologies multiples, notamment lors de l’exposition des fœtus et des jeunes enfants qui y sont particulièrement sensibles. [5] 

Les études BioNutriNet, menées sur une cohorte importante depuis 2017, sont très mal connues alors qu’elles apportent un niveau de preuve écrasant : elles montrent chez les gros consommateurs d’alimentation biologique :

– une diminution du risque d’obésité de 31%.

– une diminution du risque de cancer de 25% en moyenne, mais jusqu’à -76% pour les lymphomes non hodgkiniens, cancers sur-représentés chez les agriculteurs exposés aux pesticides.

Or le Plan National Nutrition Santé nous recommande d’augmenter notre consommation de fruits et légumes, et donc celle de pesticides. Une étude récente de l’université de Harvard, sur une population importante, suggère que l’exposition aux résidus de pesticides alimentaires pourrait annuler l’effet bénéfique de la consommation de fruits et légumes. De ce fait, seule la généralisation d’une agriculture à faible niveau d’intrants permettrait d’avoir une politique de santé publique cohérente et de protéger toute la population et notamment toutes les femmes enceintes : c’est une exigence de justice sociale.

La pollution de l’eau est préoccupante pour la santé publique mais aussi pour les finances des collectivités locales, car elle entraîne des coûts supplémentaires importants pour la dépollution de l’eau. En 2023, sur 20% des réseaux, l’ANSES dénombrait 7 molécules dépassant la limite de qualité de l’eau.

• Concernant les riverains d’épandages:  

La suppression des zones de non-traitement serait une véritable déclaration de guerre, car ces zones s’avèrent déjà très insuffisamment protectrices. Certaines études étrangères montrent un risque d’autisme suite à l’exposition des femmes enceintes. L’étude Géocapagri évoque un lien entre la leucémie aigüe de l’enfant et la densité des vignes (qui sont parmi les cultures les plus traitées) à proximité. Des médecins du Limousin, inquiets de la fréquence des symptômes observés chez leurs patients à la suite d’épandages sur les pommeraies notamment, se sont constitués en une association devenue nationale. [6] 

Nier la nécessité de réduire les pesticides c’est témoigner d’une immense désinvolture vis-à-vis du travail des scientifiques qui alertent sur l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé.  Nous sommes atterrés d’observer le fossé qui se creuse entre les données scientifiques qui s’accumulent et les décisions politiques. Eux aussi se sentent méprisés : pour la première fois en 2023, des scientifiques désespérés de ne pas être écoutés manifestaient pendant le Salon de l’agriculture, avec des panneaux « Les pesticides tuent » … Et la volonté du gouvernement de vouloir mettre sous contrôle l’expertise scientifique indépendante de l’ANSES est extrêmement inquiétante.

Le coût sanitaire et environnemental des pesticides est finalement supérieur au gain économique de l’agriculture intensive.

À qui profitent les pesticides ? Certainement pas à la majorité des agriculteurs et des salariés agricoles qui ont la double peine : un risque accru de maladies et un revenu insuffisant. Quatre multinationales se partagent 70% des bénéfices : comment parler de souveraineté alimentaire dans ces conditions ?

Selon le bureau d’études Basic, les pesticides coûtent bien plus cher à la société que ce qu’ils rapportent aux industriels : le coût minimal est estimé à 2,3 milliards d’euros. « La profitabilité du secteur n’est rendue possible que par les subventions publiques et la prise en charge collective des conséquences négatives des pesticides »[7] Selon l’INRAE, la mise en œuvre de la stratégie européenne pour tripler les fermes bio d’ici 2030 coûterait 1,85 milliard d’euros par an soit moins que les coûts sociétaux estimés des pesticides.

En conclusion, nous assistons à un marché de dupes : les mesures prises ne s’attaquent pas à la racine des problèmes pour les agriculteurs et sont délétères pour notre santé à tous. Faut-il attendre que les pesticides deviennent « le prochain scandale de santé publique » selon un ancien directeur d’ARS ?  [8]

Nous appelons tous les agriculteurs à ne pas se tromper d’adversaire :  les difficultés qu’ils subissent ne sont en rien liés aux  « normes environnementales » même si des améliorations sont nécessaires dans leur mise en œuvre, mais aux prédateurs qui ont transformé une majorité d’exploitants agricoles en « exploités agricoles » : l’agro-industrie mondialisée et la grande distribution, qui ont été l’objet d’une grande bienveillance des responsables politiques et risquent fort de l’être encore si nous ne nous mobilisons pas…Le Réseau Environnement Santé fait partie du collectif Nourrir qui a publié une tribune dans le Monde le 6 février 2024 pour une réorientation de la politique européenne et nationale. Nous appelons les citoyens, les associations, les scientifiques, les agriculteurs non encore signataires, les professionnels de la santé et de l’environnement, à se regrouper dans cet objectif essentiel pour la survie de l’agriculture avec de (vrais) agriculteurs bien rémunérés, et pour notre santé à tous.

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