Alors on devrait être content? 2M de signatures pour cela !
Certes le Conseil constitutionnel vient de condamner l’article 2 , c’est à dire le retour de l’acetamipride. Mais y a t il de quoi se réjouir?
Obstruction parlementaire, absence de débat, soutien parfois violent des syndicats agricoles, plus de deux millions de pétitionnaires pour dire leur désaccords, des tribunes de médecins, de scientifiques ou de grands chefs…
La loi Duplomb censée « simplifier » la vie des agriculteurs a connu un parcours mouvementé, et une opposition populaire inédite. Erigé en juge de paix, le Conseil constitutionnel a tranché ce jeudi soir dans une décision très attendue: la loi Duplomb est validée, à l’exception de son article le plus controversé sur la réautorisation d’un néonicotinoïde, l’acétamipride, et de réserves quant aux bassines. La loi sera maintenant rapidement promulguée a promis Emmanuel Macron. Alors que certains militants écologistes crient victoires, d’autres sont beaucoup plus nuancés. La droite, elle, hurle au déni démocratique.
Challenges – Comment le Conseil constitutionnel a-t-il justifié sa décision de censurer l’article 2 sur l’acétamipride ? pour Corinne Lepage, « les Sages ont censuré l’acétamipride et limité les bassines, mais validé d’autres reculs environnementaux »
Corinne Lepage – Cette décision est en réalité beaucoup plus mesurée que ce qu’on dit depuis hier soir. Le Conseil constitutionnel a censuré en considérant que l’article méconnaissait des dispositions de la charte de l’environnement (en préambule de la Constitution ndlr) : le droit de vivre dans un environnement sain, le principe de précaution et le principe de préservation de l’environnement. Mais il ne s’agit pas d’une censure absolue. Le Conseil constitutionnel ne ferme pas la porte à toute réautorisation. Il considère que l’article tel qu’il était rédigé, sans limitation dans le temps, sans précision des activités agricoles concernées était trop large.
Si le gouvernement ou le Parlement voulait introduire une mesure de réautorisation uniquement de deux ans pour la culture de la noisette par exemple, elle passerait sans doute. Mais je pense que les choses vont évoluer au niveau européen. Contrairement à ce qu’on a entendu, l’Efsa (L’Autorité européenne de sécurité des aliments ndr) n’a jamais dit que l’acétamipride n’était pas toxique. Elle a simplement appliqué l’exact opposé du principe de précaution : on ne sait pas donc on autorise. La France pourrait demander à la Commission de revoir sa position pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence.Lire aussi« Est-ce que la loi va répondre à la colère agricole ? La réponse est non » : ces agriculteurs qui ne veulent pas de la loi Duplomb
Est-ce courant que le Conseil constitutionnel s’appuie sur la charte de l’environnement ?
Oui, cette décision n’est pas la première. Le Conseil constitutionnel a par exemple reconnu un droit des générations futures il y a un an et demi. En 2020, les Sages avaent aussi validé l’interdiction d’exportation de produits interdits en France – il s’agissait déjà de pesticide – sur la base de la charte de l’environnement, considérant que la liberté de commerce n’était pas absolue.
« La décision du Conseil constitutionnel est très importante concernant les bassines agricoles »
Outre l’acétamipride, le Conseil émet également deux réserves d’interprétation concernant le stockage d’eau agricole, qu’est-ce que cela signifie ?
Sur les bassines, la décision est très importante. La loi avait prévu une automaticité du stockage de l’eau par les agriculteurs, sans contestation possible. Le Conseil pose deux réserves majeures. Il interdit de puiser dans les nappes phréatiques pour ces stockages, (comme c’est le cas à Sainte-Soline ndlr), seulement de stocker l’eau de pluie. Et ces stockages doivent être non pas automatiques mais au cas par cas, il faut que les gens puissent les contester. Les recours contre les bassines seront donc recevables, ce qui n’était pas possible dans la loi. C’est très important, et ici la porte est fermée, il ne sera pas possible de revenir dessus. Donc cette décision est beaucoup plus prégnante pour l’avenir que celle sur les néonicotinoïdes, même s’il sera très compliqué politiquement de revenir sur l’acétamipride.Tout le monde est focalisé sur les néonicotinoïdes, mais la décision fait quand même 34 pages. Effectivement tout le reste a été validé, y compris les mesures de simplifications qui consistent à baisser les seuils pour les élevages, qui ne seront quasiment plus soumis aux autorisations des installations classées pour la protection de l’environnement, mais plutôt à une simple déclaration voire un agrément. Le conseil a également validé le mélange des genres entre la vente de pesticides et le conseil aux agriculteurs. Donc oui, les Sages ont validé des reculs du droit de l’environnement. Le conseil n’a de toute façon jamais voulu reconnaître le principe de non-régression, qui est un principe législatif appliqué de manière très variable par le Conseil d’Etat.
De manière générale, le Conseil constitutionnel n’a pas considéré qu’il n’y avait eu un problème démocratique avec la procédure d’adoption de la loi ?
C’est quelque chose de très important. Le Conseil avait une option qui était de dire que la procédure n’était pas conforme. Les promoteurs de la loi ont fait voter une motion de rejet pour qu’il n’y ait pas de débat à l’Assemblée, ce qui est très discutable, mais le Conseil constitutionnel considère que le droit a été respecté. Je ne suis pas vraiment convaincue. Entre l’obstruction de l’opposition et l’absence de débat, il y avait un juste milieu à trouver.
Vous avez vous-même attaqué un décret pris par le gouvernement le 8 juillet qui limite l’indépendance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’agence qui autorise entre autres les pesticides. Cette disposition était à l’origine prévue dans la proposition de loi Duplomb mais n’avait finalement pas été votée, qu’en est-il ?
J’ai attaqué ce décret pour l’association Agir pour l’environnement. Le gouvernement s’est autorisé à prendre par décret ce que le parlement avait refusé de faire – la mesure avait été retirée de la loi Duplomb en commission mixte paritaire – c’est intolérable. Mais ce recours n’a pas de lien avec la décision d’hier, il a lieu devant le Conseil d’Etat comme il s’agit d’un décret. Le Gouvernement doit apporter sa réponse fin septembre, pour un jugement normalement au premier semestre 2026.
IT réalisé par Agathe Beaumont