La SNBC 3 veut faire rimer électrification et réindustrialisation
Le ministère de la Transition écologique vient de rendre sa copie sur la troisième version de sa Stratégie nationale bas-carbone en portant un message contrant le « backlash écologique » ambiant. Gouvernance | 12.12.2025 | F. Roussel , Actu environnement

L’occasion était trop belle. Le jour de l’anniversaire de l’adoption de l’Accord de Pariset au lendemain de l’inauguration de l’usine de batteries automobiles Verkor, le Gouvernement met sur la table son projet de stratégie bas-carbone (1) , troisième édition. Un travail de longue haleine, en cours depuis trois ans et émaillé de consultations diverses, de nombreuses modélisations, de négociations européennes et de compilation d’études, notamment le bilan électrique de RTE. « Cette stratégie est en quelque sorte la réponse au constat de RTE », ose d’ailleurs l’entourage de la ministre de la Transition écologique.
Cette SNBC 3 (2) est en effet bien plus complète que la version précédente de 2020 et ne se contente pas de fixer des budgets carbone par secteur. « Ce n’est pas seulement une trajectoire, c’est un business plan, compatible avec le pouvoir d’achat des Français, notre capacité industrielle et la trajectoire de redressement des finances publiques », selon le ministère. « Cette stratégie dessine un chemin concret vers une France qui aura réussi sa transition écologique en 2050 », a résumé Monique Barbut, ministre de la Transition écologique, en visite chez Verkor.
L’électrification en première ligne dans le bâtiment et les transports

Évolution des budgets carbone par secteur d’activité© Ministère de la Transition écologiqueLa SNBC 3 fixe des budgets carbone ambitieux par secteur d’ici à 2040 (cf. schéma ci-contre). Les respecter signifiera baisser les émissions nationales de gaz à effet de serre de 5 % par an en moyenne sur chaque période, sans recourir aux crédits carbone internationaux, alors que le rythme actuel est bien inférieur (-1,8 % en 2024). Pour y arriver, la SNBC préconise d’actionner les leviers les plus efficaces en tonnes de CO2évitées par euro investi. À ce jeu, les véhicules électriques et les pompes à chaleur sortent gagnantes. La SNBC mise d’ici à 2030 sur une part de 66 % des véhicules électriques neuves dans les ventes et l’installation de 8,8 millions de pompes à chaleur (PAC) dans le résidentiel.
« Ces technologies sont disponibles et rentables. On a choisi de maximiser les leviers avec des bénéfices à court terme. La SNBC est à 80 % une stratégie d’électrification », justifie le ministère de la Transition écologique. L’isolation des logements, et plus globalement les scénarios de sobriété sont prudents. La SNBC ne va pas au-delà de l’objectif des 700 000 logements par an en moyenne, dont 250 000 rénovations d’ampleur, le maximum de ce qu’est capable d’absorber la filière. Le ministère de la Transition écologique voit donc dans cette SNBC 3 une stratégie de réindustrialisation verte, en poussant par divers moyens la fabrication des PAC et des véhicules électriques en France, ou au moins en Europe. Un angle renforcé par une nouveauté : l’intégration de l’empreinte carbone.
L’empreinte carbone fait son apparition
Outre l’incorporation du principe de conditionner les subventions à l’achat d’équipements européens, la SNBC 3 fixe pour la première fois des objectifs en empreinte carbone, c’est-à-dire qu’elle intègre les émissions liées aux importations. En 2024, celle de la France était de 563 Mt CO₂, soit 8,2 tCO₂e par habitant. Elle devra être réduite de -38 % à -43 % en 2030 (soit entre 426 et 464 Mt) et de -71 % à -79 % en 2050 (soit entre 160 et 215 Mt) par rapport à 2010 (749 Mt).“ Cette stratégie dessine un chemin concret vers une France qui aura réussi sa transition écologique en 2050 ”Monique Barbut, ministre de la Transition écologiquePour atteindre ces résultats, les leviers sont listés, mais pas chiffrés : promouvoir l’écoconception de biens durables et la réparation ; développer le réemploi, la réutilisation, le tri et le recyclage ; encourager une consommation plus responsable et limiter la surconsommation ; encourager la sobriété matière ou encore favoriser l’utilisation de matériaux et composants bas carbone.
Statu quo pour d’autres secteurs
Pour les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et des déchets, la SNBC 3 ne change pas fondamentalement la donne. La filière des déchets devra réduire ses émissions de 28 % en 2030 (12 Mt) et de 55 % en 2050 (8 Mt) par rapport à leur niveau de 1990 (17 Mt). Les leviers à actionner restent les mêmes : réduire la production de déchets, diminuer l’enfouissement ou encore encourager la valorisation matière.
Les baisses d’émissions attendues dans l’industrie suivent le rythme des décennies précédentes, portées par les politiques de décarbonation enclenchées par les filières et les 50 sites les plus émetteurs.
Prochaines étapes
La présente version de la SNBC 3 est une version « projet », ayant pour but de servir de socle aux consultations des instances obligatoires (Conseil national de la transition écologique, Haut conseil pour le climat, Conseil national d’évaluation des normes, Collectivités d’Outre-mer et Corse, Autorité environnementale).
Après la prise en compte des avis, la SNBC 3 devra être soumise à une consultation du public par voie dématérialisée, avant son adoption par décret au printemps 2026.La SNBC 3 évite le sujet sensible de la place de la viande dans l’alimentation, laissant le soin à la Stratégie nationale pour l’alimentaiton, la nutrition et le climat (Snanc) ou au Plan national nutrition santé d’évoquer le sujet. L’agriculture devra bien diminuer ses émissions de 28 % d’ici à 2030 (67 Mt) et de 54 % d’ici à 2050 (43 Mt) par rapport à 1990 (93 Mt). Mais la SNBC mise surtout sur la réduction de l’usage des engrais azotés, de l’importation de soja pour le bétail, du gaspillage alimentaire ou encore le développement de l’agriculture biologique. « L’agriculture a un statut particulier dans la SNBC car une partie de ses émissions sont incompressibles, car liées à la manière dont fonctionne le monde agricole et l’écosystème sol, justifie l’entourage de la ministre. Seule, elle ne peut pas atteindre le zéro émission. Le puits de carbone sera là pour capter les émissions résiduelles. »
À ce sujet, la SNBC 3 réajuste le rôle du puits de carbone des terres et des forêts, dont la capacité d’absorption est à la baisse depuis 2013. La SNBC mise sur l’évolution des pratiques forestières pour stabiliser le puits à un niveau proche de -25 Mt, en 2030, et -24 Mt, en 2050, contre -37 Mt en 2023. Elle réduit également la sollicitation de la biomasse, car il n’y en aura pas suffisamment pour tous les usages : « Il va falloir réorienter les politiques publiques vers les usages prioritaires », précise le ministère. La SNBC donne la priorité ainsi aux usages non énergétiques, puis à l’industrie pour ses besoins en haute température et, enfin, aux réseaux de chaleur. « Nous n’avons pas choisi d’hypothèses optimistes, mais des scénarios réalistes », explique le ministère, qui veut convaincre qu’une transition écologique « sans révolution », « sans marche forcée », est possible, mais « avec de nouveaux financements ». Encore faut-il que la représentation nationale s’en saisisse et en donne les moyens.
