La guerre mondiale des vaccins n‘aura pas lieu mais la spéculation financière est déjà débridée

ÉCONOMIE

un remarquable papier de jM Sylvestre (à lire avant de rêver au père Noël)

Il y a plus de quinze ans, le grand patron français d’une grande entreprise pharmaceutique devenue multinationale expliquait que la préoccupation de la planète toute entière était de trouver des remèdes au virus du sida. « Nous mettrons beaucoup de temps à trouver un vaccin, mais nous réussirons à trouver des traitements ».

Aujourd‘hui, quinze plus tard et 38 millions de victimes dans le monde, l’industrie pharmaceutique a découvert des traitements qui garantissent qu’un malade infecté du virus HIV ne pourra pas mourir du sida… mais la même industrie n’a toujours pas découvert un vaccin.

Le vaccin, dans la gamme des produits de santé, est un des produits les plus difficiles à mettre au point et à commercialiser parce que le vaccin est finalement beaucoup moins rentable pour l’industrie que le traitement.

Le vaccin, s‘il est bon, c’est une dose, une injection et le patient sera protégé toute sa vie. Alors que le traitement, il faut le prendre toute sa vie durant une fois par jour, parfois plus.

Avec le Covid-19, il y a fâcheusement un grand risque qu’il se passe ce qu’il s’est passé avec le sida il y a quinze ans. Beaucoup de communication, beaucoup de spéculation financière et au final, assez peu de résultat.

Ce qui s’est joué cette semaine donne un aperçu des enjeux et des montages plus ou moins responsables que les grands labos et les Etats préparent pour répondre à l’inquiétude populaire.

On a vu cette semaine un laboratoire américain, Moderna, commencer les premiers tests de validation pour un vaccin qui pourrait être mis à la disposition des systèmes de santé vers la fin de l’année. Du coup, l’action de la société a grimpé de 20% en quelques heures alors qu’elle était déjà orientée à la hausse depuis le début de l’épidémie. Ses trois animateurs, chercheurs et fondateurs, ont engrangé plus d’un milliard de dollars chacun.

Mais cette semaine, on a aussi appris que l’Amérique de Donald Trump avait préacheté les vaccins que Sanofi a promis de sortir dans les six mois. Devant l’émotion suscitée en France et l’onde de choc dans les milieux politiques, les dirigeants de Sanofi ont démenti l’information en disant que tout le monde serait servi équitablement, mais personne ne les a crus quand on a su que la recherche avait été principalement financée par des fonds américains.

Cette semaine encore, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont annoncé ensemble leur intention commune de créer une industrie du médicament à l’échelle européenne.

Quant aux Chinois, ils ont essayé de se situer au-dessus de la mêlée en affirmant haut et fort qu’ils donneront au monde entier l’accès à leurs vaccins. Il faut croire qu‘ils ont beaucoup de choses à se faire pardonner pour faire preuve d’une telle mansuétude.

Pour terminer, on a compris que Donald Trump menaçait de couper les vivres à l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, si cette institution internationale ne parvenait pas à découvrir les origines du Covid-19 et surtout, à confondre les coupables qui, pour lui, sont forcément chinois.

Difficile de ne pas penser que tous ces protagonistes ne préparent pas une guerre mondiale du vaccin.

D’autant que l’enjeu sanitaire est évident parce que si les pays déconfinent progressivement aujourd’hui, le virus n’a pas disparu pour autant et va nous obliger à se protéger tant qu’on n’aura pas de traitement efficace ou mieux, un vaccin. Cette pandémie étant mondiale, plus de 7 milliards d’êtres humains vont avoir besoin de se protéger. Avec des milliards de doses. L’enjeu sanitaire a donc engendré un enjeu économique et financier considérable, sans parler de l’enjeu politique.  Le pays qui aura le vaccin le premier verra son crédit politique grimper à l’échelle planétaire.

 Cette partie de Monopoly industriel et financier risque quand même de se transformer en partie de poker menteur.

La mise au point d’un vaccin coute extrêmement cher :  au bas mot 2 milliards de dollars. Parce que la mise au point, la validation du vaccin et sa fabrication demandent des armées de chercheurs pendant plusieurs années. Parce qu’il faut être absolument sûr qu’il fonctionne. Et s’il fonctionne bien, on ne vendra qu‘une injection par personne.

Pour tous les labos du monde, il y a des médicaments beaucoup plus rentables. Tout ce qui touche aux maladies cardio-vasculaires par exemple, ou à la lutte contre le cancer.

Plus qu’avec le sida, le Covid-19 fait courir d’immenses risques financiers aux industriels, aux investisseurs et Etats qui sont appelés à l’aide pour le financement. En plus, le grand gagnant sera le premier, à condition que le virus ne disparaisse pas (or ça peut arriver). On a plein d’exemples. Il faut aussi que le virus ne mute pas sinon le vaccin ne marche plus.

A la table de poker, il y aurait actuellement plus de 100 entreprises ou laboratoires qui auraient déclaré vouloir développer des projets. En dehors de Moderna, américain qui a pris tout le monde de court cette semaine en expliquant que les équipes étaient quasiment prêtes à sortir le vaccin, les très gros labos qui sont dans la course, sont aussi les plus connus :

Glaxo un champion de l’antibiotique, le Clamoxil c’est lui.

Merckx, un allemand.

Pfizer un américain installé dans le monde entier, très en pointe sur les anticancéreux mais aussi le fabricant du viagra entre autres

Johnson et Johnson, américain et Sanofi-pasteur d’origine française

Dans les très gros, des américains, des anglais, un français et un allemand. Et par ailleurs trois laboratoires chinois.

Alors dans la perspective de cette bataille, on sait qu‘il y a eu des alliances scientifiques et financières (par exemple entre Sanofi et des laboratoires américains) mais ce qui est intéressant, c’est que la course se déroule sur des terrains différents

1er terrain : celui de la recherche, il y a une assez bonne solidarité des chercheurs du monde entier. Les gouvernements n’en parlent pas parce qu’ils veulent se réserver le bon rôle, mais il existe une internationale de la recherche scientifique en matière de santé. C’est une valeur commune.  Ça veut dire que tout le monde va trouver au même moment. Mais ça ne signifie pas que les résultats financiers seront partagés, ni même que les tous les pays seront servis équitablement.

2e terrain de compétition, très réelle cette fois, qui porte sur la concurrence pour trouver des capitaux, et comme a priori, le vaccin est mal aimé des analystes financiers qui considèrent qu‘il est moins rentable qu‘un traitement, il faut que chacun aille chercher des investisseurs. Et du coup, on va chercher des fonds publics.

3e terrain, très politique : si on va chercher des fonds publics, on active de fait une compétition entre les Etats pour disposer du vaccin en premier, d’où le travail au niveau européen qui démarre mais avec du retard. D’où l’annonce des Chinois qui donneraient au monde leurs vaccins. D’où l’arrogance américaine qui explique que « si je paie, j’en profite ».

Au total, le marché des vaccins dont beaucoup pensent que c’est un eldorado, apparaît très souvent comme un champ de mines où on peut aussi se ruiner. Enjeu sanitaire, oui, mais enjeu financier risqué, enjeu industriel risqué parce qu’il faudra fabriquer les milliards de doses et par conséquent, enjeu stratégique. Chaque Etat aurait intérêt à être équipé en masques, en tests et en vaccins. Mais chaque Etat n’en a pas forcément les moyens.

Aujourd’hui, alors que le virus continue de circuler, les populations attendent bien évidemment le vaccin parce que c’est le seul moyen de se protéger définitivement de ce type de contagion, mais comme souvent une partie non négligeable s’en méfie.  Et c’est d’ailleurs un problème très français. 

La France est le pays au monde où la population se méfie le plus des vaccins et refuse. Entre 25 et 30% renoncent à la vaccination, ce qui fait que depuis trois ans maintenant, on connait une reprise des infections de rougeole et de variole qui est redoutable, au point où il a fallu imposer aux parents la vaccination de leurs enfants, sinon ils ne rentraient pas à l’école maternelle. C’est une question de santé publique. Mais c’est une question compliquée à résoudre dans des pays où la liberté individuelle est sacrée. Où la parole de l’expert n’est pas toujours écoutée. Elle est suspecte. C’est une question de confiance dans le système. Or, les Français ont perdu depuis l’arrivée du coronavirus une grande partie de la confiance qu’ils avaient dans le système de santé. Ils préfèrent se tourner vers les médecines douces, naturelles plutôt que d’accepter les antibiotiques ou les vaccins. Dans la même logique, la même société française oubliera les mesures élémentaires d’hygiène, les gestes barrières, et le port du masque.

Et comme les Français ne sont pas à une contradiction près, ils se méfient des vaccins mais ne comprennent pas pourquoi une entreprise française ne serait pas tenue de servir en premier son pays. Beaucoup ont critiqué et même vilipendé le gouvernement de ne pas avoir constitué des stocks stratégiques en masques et en tests, et sans doute avaient-ils raison. Mais les mêmes refuseront aujourd’hui de les porter alors qu’ils sont disponibles, comme ils oublieront de respecter les distanciations. Et demain encore, les mêmes refuseront que le vaccin soit obligatoire, et oublieront de se faire vacciner.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *