Régies et SEM de l’eau : des gestionnaires publics plongés dans leur avenir

Publié le 6 Octobre 2020 par Morgan Boëdec / MCM Presse pour Localtis

C’est sur fond de crises successives – confinement durant lequel il a fallu maintenir à flot les services, puis sécheresse estivale suivie de « joutes capitalistiques » entre Veolia et Suez – que les gestionnaires publics de l’eau ont tenu début octobre leurs premières rencontres nationales. Outre valoriser l’alternative que les régies publiques, mais aussi les sociétés d’économie mixte ou sociétés publiques locales de l’eau, incarnent face aux majors et délégataires du secteur, ils ont tenu à rappeler que l’eau n’est pas un bien comme les autres et qu’eux « n’ont rien à vendre et agissent au coeur d’un maillage partenarial étroit qui leur permet de s’adapter aux enjeux locaux ». Il fut aussi question de solidarité et d’animation territoriales, de prospective et de la place des usagers dans cette gestion devant devenir, comme le défend France Eau publique, à l’initiative de l’événement, « une cause nationale ». 
Rencontres nationales de l’eau publique

 France Eau Publique

Le souvenir, encore vif, de l’épisode de sécheresse estivale était palpable parmi les 250 participants ayant assisté, à la fois en présentiel et à distance, à la première édition des rencontres nationales de l’eau publique qui s’est tenue le 1eroctobre à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), à Paris. « Dans mon département et dans d’autres, la sécheresse a fait souffrir les cours d’eau », relate Christophe Lime, président du réseau de collectivités et d’opérateurs publics de l’eau France Eau publique (FEP), qui a organisé l’événement. Cet adjoint au maire de Besançon (Doubs), en charge depuis vingt ans du sujet, parle volontiers en d’autres occasions de sa ville reconnue pour avoir su protéger en amont les cinq sources (un affleurement, trois puits, un prélèvement dans la rivière la Loue) qui alimentent en eau, après traitement, ses habitants. Des ressources désormais interconnectées, si une pollution advient ou en cas de rupture du réseau, la précieuse manne ne serait pas interrompue : rééquilibrage et secours sont possibles. « C’est que l’eau est bien un levier de cohésion entre les territoires, qui emporte des enjeux de partage et de gouvernance », est intervenue en vidéo la ministre Jacqueline Gourault.

Projections d’eau

La politique de l’eau touche à l’environnement, à l’agriculture, à l’aménagement du territoire… « Sa gestion publique répond au besoin d’un sens commun, de se projeter sur cinq, dix voire quinze ans. En la matière, il faut se donner le temps de bien faire les choses. Et, à plus court terme, réfléchir aux bonnes pratiques nées de la crise sanitaire qui sont à pérenniser », ajoute Christophe Lime. « Cette gestion publique de l’eau nécessite de se projeter, d’où la stratégie 2100 suivie dans l’Aube par notre syndicat. Car aujourd’hui c’est une chose, mais demain, comment s’adapter au changement climatique et garantir avec des interconnexions cet approvisionnement en eau ? », rebondit Nicolas Juliet, maire de Saint-Lupien et président du syndicat SDDEA. 

Solidarités et gouvernance

Autour de l’eau, les exemples de solidarités territoriales et mutualisation des moyens ne manquent pas. Dans cerecueil (téléchargeable en bas de page), des membres du réseau FEP livrent des illustrations de ce que ces notions recouvrent. Outre les 49 communes de la métropole niçoise, la régie Eau d’Azur, qui a progressivement élargi son périmètre à la faveur des échéances de délégations de service public, alimente ainsi en eau traitée la principauté de Monaco, « jusqu’aux deux tiers de sa consommation en plein pic estival », illustre son président Hervé Paul, par ailleurs maire de Saint-Martin-du-Var. Pour approvisionner les citadins, l’eau souterraine peut être puisée jusqu’à 150-200 km des villes. C’est le cas à Paris, où la plus grande régie publique de l’eau de France est implantée sur cinq régions et plus de 300 communes, avec qui il faut nourrir un dialogue et des coopérations constantes. De même dans le département du Nord où un syndicat intercommunal couvre 750 communes et s’apprête à voter en décembre son budget en associant au mieux leurs élus. Un sens de la gouvernance qui force le respect ! 

Des atouts à valoriser

« Entretenir ces liens de proximité avec l’échelon communal, innover dans la gouvernance pour que chacun trouve sa place dans une gestion à l’écoute des besoins des territoires, telle est la ligne de conduite de notre syndicat mixte qui a bien grandi en cinq ans », appuie Jacques Sabourin, vice-président de Eaux de Vienne-Siveer (7 EPCI et une centaine de collectivités adhérentes). Des orientations, des constats qui semblent contredire le reproche, souvent entendu, d’une rigidité de fonctionnement propre aux régies. « Pour sortir de cette étiquette « plan-plan », nous devons être encore plus exigeants, valoriser notre atout d’une vision à long terme, d’un projet d’investissement pour les territoires au croisement des enjeux d’agriculture, de biodiversité et de coopération territoriale », conseille Hervé Paul. 

Associer l’usager

Cette recherche de souplesse, sur le plan juridique, était au cœur des discussions qui ont nourri il y a dix ans la loi pour le développement des sociétés publiques locales (SPL). Entre régie et délégataire, une troisième voie est en effet possible, les sociétés d’économie mixte (SEM) ou SPL de l’eau. L’une des pionnières est Eau du Ponant, créée par Brest Métropole (Finistère) et trois syndicats d’eau à la faveur de la fin de leurs contrats de délégation respectifs. Cette SPL vante l’intérêt qu’il y a d’élaborer un schéma directeur, en y associant de nombreux acteurs locaux publics et privés, pour faire rentrer la problématique de l’eau dans celle de l’aménagement urbain, du tourisme, etc. Pour faire participer la société civile à sa gouvernance, elle a mis en place un conseil de l’eau. Eau de Paris envisage également un tel dispositif, un comité des usagers « intégré au processus d’élaboration des décisions ». Un budget participatif eau y est aussi à l’étude.  Un tournant à ne pas rater : « Car tout porte à croire que l’eau change de statut, elle se transforme, se pare d’une valeur sociétale. Plus qu’un partenariat, c’est de la coopération qu’il faut et intégrer les entreprises, les associations et les usagers dans la mise en oeuvre mais aussi dans la conception des services eau », conclut Emmanuel Dupont, expert en transformation de l’action publique à l’ANCT. 

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