La stratégie d’influence chinoise : un réseau tentaculaire qui veut désormais s’imposer au reste du monde

France Culture

20/09/2021 (MIS À JOUR À 07:01)Par Olivier Poujade

La rédaction internationale de Radio France a pu se procurer une enquête exclusive de l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire). Ce rapport de 650 pages, rendu public aujourd’hui, passe au peigne fin les gigantesques moyens mis en œuvre par Pékin pour imposer son récit.

Difficile de ne pas être pris d’un profond vertige à la lecture de cette synthèse minutieuse et éclairante de plus de 640 pages et 3 000 notes, achevée par le sinologue Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le directeur de l’IRSEM, au terme de deux années de recherches. Pièce par pièce, les deux co-auteurs reconstituent la mosaïque destinée à projeter la nouvelle doctrine du Parti Communiste Chinois (PCC), qu’ils résument en citant Machiavel dans « Le Prince » : « Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». Et cette enquête sort au moment même où la crise des sous-marins avec l’Australie soulève la question du positionnement français vis-à-vis de la Chine et des États-Unis.

Cette politique d’influence, plus agressive, s’appuie sur un large spectre d’outils, allant de la traditionnelle diplomatie publique à des activités clandestines, et dispose de son propre centre opérationnel de commandement : la base 311. Situé dans la ville de Fuzhou, dirigé par un militaire et commissaire politique, ce quartier général de l’influence chinoise est chargé d’articuler la stratégie des « Trois Guerres « .

Guerre de l’opinion publique, guerre psychologique et guerre du droit

Le travail du Parti, de l’État, de l’APL (Armée Populaire de Libération) et des entreprises chinoises convergent vers ces trois objectifs. Plusieurs centaines de milliers de citoyens chinois ou sympathisants étrangers seraient mobilisés, en permanence, sur ces trois types d’affrontement fixés par Pékin dans le but, comme l’explique en détails ce rapport, de façonner et imposer un récit servant les intérêts du pays (guerre de opinion publique), dissuader voire terroriser les forces ennemies (guerre psychologique), et enfin d’utiliser la justice comme « arme de guerre », la guerre du droit pour attaquer contre attaquer ou sanctionner les individus ou les états considérés comme hostiles.

Sur ce dernier front, s’appuyant sur une interprétation révisionniste du droit de la mer, Pékin cherche à contraindre, explique les auteurs, « les État côtiers à renoncer à exercer leurs droits légitimes garantis par la Convention de l’ONU ». Les exemples se sont multipliés ces dernières années, pour répondre aux plaintes des États-Unis dans le cadre de la pandémie de Covid-19 ou bien sûr, dans le cadre de la loi de sécurité nationale de Hong Kong, en incluant son extraterritorialité et criminalisant ses violations par n’importe qui, n’importe où dans le monde.

Pékin se déploie tous azimuts, utilise tous les supports existants, les plus modernes comme les plus traditionnels. Ainsi, la propagande de terrain se fait également à travers la mobilisation des diasporas pour servir les intérêts du parti, on recense 60 millions de Chinois expatriés un peu partout dans le monde.

Et tout en haut de l’échelle, l’élite de la diplomatie chinoise mène une offensive sans relâche pour occuper des postes de hauts responsables dans les agences onusiennes. Quatre directions d’agence spécialisées productrices de normes sont aujourd’hui sous son contrôle : ONUDI, chargé du développement industriel, l’UIT, Union internationale des télécommunications, l’OACI, Organisation de l’aviation civile internationale, et enfin la FAO, Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Aucune autre puissance ne cumule aujourd’hui autant de postes à responsabilité à l’ONU.

Le spectre des moyens mis en œuvre est extrêmement large, allant de la traditionnelle diplomatie publique aux activités d’ingérence clandestines. Durant la dernière décennie, la Chine aurait tenté de s’ingérer dans au moins dix élections organisées dans sept pays étrangers.

La base militaire 311 et l’armée en ligne des 50 cents comme outils

La base 311 est aujourd’hui le seul lieu de propagation de l’influence chinoise identifié, sur le même modèle, d’autres “centres opérationnels de commandement” de ce type seraient en construction. Elle incarne l’organisation et la professionnalisation de l’initiative chinoise. « La base 311 opère en utilisant des entreprises qui constituent ses façades civiles, notamment la China Huayi Broadcasting Corporation (CHBC) ou la Voice of the Strait (VTS) » mentionne le rapport en évoquant l’existence de la maison d’édition Haïfeng, sorte de fabrique d’élaboration des contenus « capitalisée en 2019 à hauteur de 61 millions d’euros ».ÉcouterRéécouter Explications au sujet, notamment de la base 311, par Olivier Poujade.2 MINExplications au sujet, notamment de la base 311, par Olivier Poujade.

Le versant monumental de l’offensive chinoise se révèle à travers ses activités cyber, notamment celle de « l’armée des 50 cents » agissant en faveur du PCC et dont l’objectif consiste moins à intervenir sur les sujets de discorde qu’à allumer des contre feux en distrayant le public et en assurant la promotion de la Chine.À LIRE AUSSIACTUALITÉSArmée de trolls, « loups guerriers », web vitrines : plongée dans la nouvelle cyberpropagande chinoise

Ce rapport indique, par exemple, que 2 millions de citoyens chinois seraient payés à temps plein pour relayer la propagande de Pékin et 20 millions agiraient à temps partiel, à la demande, pour participer notamment à des actions d’astroturfing.

L’exercice consiste à occuper les réseaux et les inonder de messages pro Pékin tout en donnant l’illusion d’un soutien spontané ou d’un dénonciation populaire authentique pour dénoncer des discours hostiles au régime.

Externalisée notamment en Malaisie, l’APL tient à sa disposition une armée de pigistes prêts à diffuser cette désinformation et assurer la publicité de la Chine, avec une rémunération allant de 12,6 euros à 126 euros selon la longueur du message. Parmi ces web vitrines, la ferme de contenus KanWatch incite ses adhérents à partager ses contenus en échange de rémunération.

Une influence d’inspiration russe avec des moyens chinois

Ce rapport de 650 pages publié par l’IRSEM, organisme parapublic, s’appuie en intégralité sur des informations en open source (accessibles à tout le monde). Il décrit l’action gigantesque, protéiforme et agressive articulée par Pékin depuis quelques années pour imposer sa vision du monde, convaincre ou contraindre les populations du bien fondé et de la bienveillance de la politique chinoise.

Ce travail pharaonique insiste sur la russianisation de la méthode chinoise en matière d’influence. Des cyber techniques employées à la construction des récits. À l’instar de la Russie, suggèrent les auteurs, le Parti Communiste Chinois n’avance jamais lui-même ses arguments, il s’appuie sur une constellation de moyens indirects ou des “idiots utiles” pour donner une teinte de crédibilité à sa propagande.

L’histoire abracadabrantesque de Larry Romanoff en est un des exemples les plus saisissants. Ce mystérieux Canadien, auteur de plusieurs articles complotistes et utilisé par le pouvoir chinois, a joué un rôle crucial dans la guerre de désinformation que se sont livrés les États-Unis et la Chine durant la pandémie de Covid-19.

En réalité, rien de très neuf sous le soleil de l’influence internationale, russes et américains maîtrisent tout autant ces méthodes. La Chine leur donne une dimension monumentale en terme de moyens déployés, sans pour autant prouver que son opération soit plus efficace.

Avec la collaboration d’Éric ChaverouOlivier Poujade

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