Retraites: Analyse de JM Sylvestre: Macron joue son avenir, les syndicats leur survie

Manifestation contre la réforme des retraites, le 29 septembre 2022 à Paris.

©STEPHANE DE SAKUTIN AFP

En ouvrant une semaine d’agitations autour du projet de réforme retraites, tous les acteurs sociopolitiques jouent très gros. Emmanuel Macron joue son avenir, mais les syndicats jouent aussi leur survie. Quant à l’économie qui a besoin de stabilité, ça n’est pas gagné.Jean-Marc Sylvestre

La semaine de tous les dangers. Tout est possible au point où certains subodorent un accord secret entre Macron et les chefs syndicaux, un peu comme en mai 1968. Parce que les uns (les politiques) comme les autres (les syndicats), ont objectivement intérêt à ce qu’une réforme des retraites soit engagée, que la pédagogie sur les enjeux soit faite avec crise ou pas. Mais chacun a surtout intérêt à éviter la chienlit, type gilet jaunes, comme disait le général de Gaulle qui avait ramené l’ordre en mai 1968, en dépêchant un jeune énarque pour négocier secrètement avec les syndicats. Le jeune énarque en question était Jacques Chirac

Tous les acteurs politiques jouent extrêmement gros dans cette semaine qui s’ouvre lundi. Le président de la République joue l’avenir de son quinquennat, le gouvernement aussi, la majorité également, y compris les républicains qui vont appuyer le projet gouvernemental. Mais les syndicats jouent également leur survie parce que si le mouvement leur échappe et ne calme pas les colères et les frustrations qui agitent la société française, les courants révolutionnaires ou gilets jaunes reprendront la main et à ce moment-là, c’est effectivement le modèle français et la démocratie qui seraient en risque.

Emmanuel Macron joue son quinquennat et sans doute son avenir. Pourquoi? Parce que la réforme des retraites est la plus importante et la plus difficile qu’il se soit, dès le départ, engagé à faire. Dès le début du premier quinquennat, il avait ouvert un chantier très ambitieux. Il s’agissait de remettre à plat tout le système, avec des réformes de structure, plus que paramétriques. Bref, il s’agissait, avec le principe d’universalité, de ramener les régimes spéciaux dans le droit commun des salariés du privé, et avec l’instauration d’une retraite par points. Il s’agissait de laisser aux salariés et aux entreprises le soin d’organiser leur retraite en fonction de leursobjectifs et de leurs moyens.Peu de contraintes, et beaucoup de liberté individuelle.

Ce projet allait évidemment trop loin, trop fort et trop vite. Le Premier ministre, Edouard Philippe, ne se sentait pas en capacité de le défendre jusqu’au bout, peut être aussi n’était-il pas assez soutenu. Ce projet a été abandonné. Concession énorme qui a été vécue comme une marque de faiblesse de la gouvernance à partir de laquelle on a vu éclore quantité de revendications qui, à la première étincelle politique, pouvaient exploser… Ce qui s’est passé avec les gilets jaunes. Mouvements importants mais incompréhensibles aux yeux des responsables politiques et sociaux.

Emmanuel Macron est revenu sur la question des retraites avec un projet plus modeste dans sa conception, moins transgressif, avec un mix assez habile de « paramétrique et de structurel ». Pour une grande majorité d’économistes et d’analystes politiques,Emmanuel Macron fait ainsi le job parce qu’il amorce un rééquilibrage des comptes du régime général en reculant l’âge de départ et en accroissant le nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein. Cet objectif de rééquilibrage était indispensable parce que la France vit à crédit. Elle avait besoin, dès cette année, de donner des gages aux marchés financiers, aux agences de notation, et à nos partenaires européens pour continuer de trouver des financements acceptables à des taux modérés. (Notre endettement global dépasse des 3000 milliards d’euros si on prend un point de taux en plus (1%) ça représente 30 milliards de cout supplémentaires de la charge de la dette).

Cet équilibrage était indispensable pour garantir la survie du régime par répartition qui est construit sur une logique assurancielle (les actifs paient pour les inactifs) Pareillement à cet effort, il poursuit la marche annoncée vers l’universalité du régime, c’est-à-dire la suppression progressive des régimes spéciaux. Mais de façon très prudente comme il restera prudent sur l’âge légal de départ.

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Alors certains «  maçonniques »pensent qu’il ne va pas assez loin tout en reconnaissant qu’il existe des contraintes politiques infranchissables.
Le choix final a donc été de présenter un projet qui limite les risques politiques. Pour ce faire, les seuls vrais risques qu’il a pris sont économiques, parce que les hypothèses de croissance et d’emplois retenues sont un peu ambitieuses par rapport à une conjoncture actuelle incertaine. Ceci étant, comment pouvait-il faire autrement pour marier les contraintes politiques et les difficultés économiques? Sa majorité suivra. Et elle sera donc épaulée par le vote du groupe des républicains d’Éric Ciotti qui a joué la cohérence sur un projet qui ressemble beaucoup à celui qu’il défendait lors de la dernière présidentielle.

Emmanuel Macron joue donc très gros :

– Où ça passe et il laissera son nom dans l’Histoire comme le président qui a essayé de remettre la France en état de marche.

-Ou alors casse et ça se passe très mal. Le bilan du quinquennat sera compliqué à présenter. Pour lui qui ne pourra pas se représenter, cette affaire va hypothéquer un peu son destin, quant a sa majorité, elle aura du mal à lui trouver un successeur.

Alors la semaine va être importante pour une autre raison: parce que les syndicats vont eux aussi jouer leur survie, les chefs syndicaux vont jouer leur avenir. Les syndicats sont socialement et économiquement incontournables.C’est le contre-pouvoir dans la sphère économique, ils sont au cœur du système social paritaire. Ils produisent du droit social. Avec d’un coté, le système capitaliste, et de l’autre, le modèle social dont on est si fiers. Le logiciel de la maison France abesoin de syndicats très forts, ils sont une composante indispensable au fonctionnement de la démocratie.

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Or, les syndicats en France sont peu implantés, ils sont donc assez peu représentatifs. Quand tout va bien, cette sous-représentation n’est pas inquiétante. Quand le système fonctionne mal, c’est plus inquiétant parce que le contre-pouvoir est essentiellement porteur d’une force d’opposition systématique et souvent, cette opposition se transforme en colère, en manifestations de rue et les syndicats ne contrôlent plus rien. Ils sont obligés de suivre les courants les plus radicaux. Et ça ne débouche sur aucune proposition responsable et applicable. Le mouvement des gilets jaunes a décontenancé le pouvoir politique mais il a aussi mis par terre les syndicats. La représentativité est ridicule.

Face au projet de retraites, si les syndicats se retrouvent ensemble sur la ligne de front, ce qui est très nouveau, s’ils fonctionnent désormais en intersyndicale, ils ont une chance de reconstruire leur crédibilité et donc leur influence. Si en plus, ils réussissent leurs manifestations, s’ils mobilisent plus d’un million de salariés dans l’ordre et sans violence, ils vont acquérir ou retrouver une responsabilité perdue et une force de proposition qui sera au final très utile au pouvoir politique et à la démocratie.

Cette semaine est donc très compliquée.Si les syndicats gagnent la partie par une manifestation forte mais sous contrôle, Emmanuel Macron n’aura pas tout perdu. Au contraire. Le projet de retraites devra être amendé au parlement, évidemment. Mais la gouvernance comme le parlement ne seront plus sous la menace d’un risque gilets jaunes. Le pouvoir saura à qui parler.

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