PTSD (syndrome de Stress Post Traumatique) témoignage d’un de mes anciens réalisateurs .Le PTSD, situation qui mérite d’être prise en compte, surtout avec les atrocités guerrières en cours;

emmanuel.reau@free.fr

De la prévention et de la prise en charge des réalisateurs de reportages et de documentaires touchés par un PTSD (Syndrome de Stress Post traumatique)

Réalisateur de reportages et de documentaires télévisés depuis 1996, j’ai eu la chance d’arpenter 55 pays au cours de ma carrière. Sud Soudan, Irak, Darfour, Sibérie, Nicaragua, RDC, Mali… de l’Afrique à l’Amérique du Sud en passant par l’Asie, j’ai parcouru le monde avec passion pour différents magazines et différentes chaînes.

Lors de mes pérégrinations, comme beaucoup de collègues réalisateurs, journalistes, JRI, chefs opérateurs, ingénieurs du son ou encore fixeurs, ces locaux qui nous aident sur le terrain et qu’on laisse toujours derrière soi le cœur gros, j’ai parfois été confronté à l’horreur ou à des états d’hypervigilance. Mais à chaque fois que je rentrais chez moi, je retrouvais toujours avec délice les plaisirs simples de ma vie quotidienne sans aucune difficulté particulière.

Puis il y a eu ce tournage de trop. Il y a eu cette rencontre au cœur des ténèbres en février 2017. Il y a eu cette arme braquée dans ma direction, la résignation des villageois qui se sont mis à l’écart en baissant la tête, le regard froid et déterminé du militaire congolais qui se tenait 2 mètres face à moi et attendait l’autorisation de faire feu.

Une blessure difficile à détecter

Le PTSD ou syndrome de stress post traumatique est une blessure psychique qui peut apparaître des mois ou des années après avoir vécu un traumatisme. Contact avec la mort, agressions violentes, cette blessure du cerveau encore trop méconnue est difficile à détecter. On l’appelle blessure invisible, blessure de la honte ou encore souffle du canon. Insidieusement, elle détruit la vie professionnelle, sociale et affective. Elle isole, emprisonne. Elle se caractérise par des crises de colère, voir de rage, totalement incontrôlables. Le cerveau, en état d’hypervigilance permanente, pour qui toute intrusion dans sa zone de sécurité est vécue comme une agression, gère lui même les décharges hormonales pour se défendre d’un danger qui n’existe pas. Pour un blessé psychique, tout le monde est un ennemi potentiel.

À mon retour en France, je croyais avoir échappé au pire. Il était en fait face à moi.

Deux jours après mon retour, j’ai ressenti à la fois un vide énorme et une rage folle m’envahir. Fragile, à fleur de peau, parfois colérique, parfois totalement désemparé, je décidais de m’accrocher au sport et à mon travail pour aller mieux. Je pensais que j’étais face à une légère dépression, un mauvais passage dû à mon échec, celui de ne pas avoir finit le reportage qui m’avait été confié. Il y avait aussi cette culpabilité d’avoir abandonné les habitants de la forêt. Car les peuples autochtones, c’est à dire les pygmées que j’ai pu rencontrer sur place, étaient les premières victimes de l’exploitation illégale du bois congolais par des proches de Kabila.

Pensant qu’un retour à l’action me permettrait d’aller mieux, je décidais de faire une série documentaire en immersion au sein d’une unité de combat de l’armée française. Suite aux attentats, je voulais savoir qui étaient ces jeunes qui s’engageaient dans nos armées pour aller faire la guerre. Fin 2017 et début 2018, je me suis ainsi retrouvé en immersion totale au cœur d’un peloton de reconnaissance à Kidal, le poste avancé le plus exposé de l’opération Barkhane à l’époque. J’ai partagé leurs entrainements en France puis toutes leurs opérations au Mali. Attaques de la base, détonations des engins explosifs improvisés, rusticité de la vie en plein désert… Pendant 4 mois, j’ai vécu en première ligne et ai réalisé une série documentaire de 3X52 minutes intitulés « les soldats de novembre » qui a reçu le prix Pierre Schoendoerffer.

Lors de ce tournage, un officier qui avait été blessé en Centrafrique quelques années plus tôt fut le premier à m’alerter. Il avait été suivi pour un PTSD et guérît. Il me conseillait de m’intéresser à cette question. Je n’ai compris que deux ans plus tard son conseil amical…

Tous les blessés psychiques que j’ai croisé plus tard se reconnaissent entre eux !

Les deux ans qui ont suivi, j’ai enchainé les sujets dangereux. Je suis notamment retourné deux fois au Mali pour suivre des secouristes et médecins de guerre. Après la RDC, j’ai passé mon temps à me mettre en danger, à en avoir constamment besoin, comme quelque chose de vital… Je n’en ai pris conscience que lorsque le diagnostic est tombé.

Les familles, premières victimes du PTSD

Qu’ils soient en première ligne comme les militaires, les pompiers, les policiers, les soignants ou qu’ils soient simples passants ayant subit un attentat, un viol ou une agression, tous les blessés voient leur vie s’effondrer sans en comprendre la raison. Et les premières victimes de ce mal invisible, ce sont les familles. Un enfant de blessé psychique sur deux est en échec scolaire, huit blessés sur dix finissent par divorcer et se retrouvent en rupture familiale. La violence est réelle. Les dégâts sont irréversibles.

Côté vie privée, tout s’est effondré petit à petit. Je ne contrôlais plus mes crises de rage, de plus en plus fréquentes. Dans l’incompréhension face à mes accès de colère et mon manque de tendresse, mon épouse me disait ne plus reconnaître l’homme qu’elle avait aimé. Elle fut la première victime de ma blessure, elle est aussi mon plus grand soutien.

Le 16 mars 2020, j’obtiens une exclusivité. Le ministère de la défense me permet de suivre en immersion les équipes médicales du service de santé des armées qui partent aider dans l’urgence leurs collègues civils à Mulhouse. Alors que la France se confine pour tenter de freiner la première vague de COVID 19, j’embrasse ma femme et mon fils avant d’entrer dans un VTC. Pendant trois semaines, je vais ainsi vivre en première ligne, comme j’en ai l’habitude et comme je l’aime, une crise sans précédent.

Sous les tentes, le spectacle est hallucinant. Alors que le Président de la République intervient en direct devant l’hôpital de toiles dressé par l’armée, je filme juste derrière lui, sous ces mêmes tentes, les premiers patients transférés par les urgences de l’hôpital de Mulhouse. Ils sont alignés par travées de dix, entourés de soignants qui appliquent un protocole Ébola très strict. Je ne peux m’empêcher de penser au film virus. J’y passerai deux semaines.

Suite à Mulhouse, j’enchaine un mois au cœur du service de réanimation d’un hôpital parisien. Contrairement à Mulhouse où il y a eu très peu de décès, le balai des toilettes mortuaires et des sacs blancs est incessant dans ce service. À l’extérieur, un container frigorifique permet de stocker les corps. La morgue déborde. Les services funéraires sont saturés. Ces images ne seront jamais diffusées.

Je devais suivre les médecins militaires aux Antilles et à Mayotte, je devais suivre « la vague ». Mais face à la fermeture des frontières et à l’hostilité des populations insulaires, le tournage doit s’interrompre. Je me retrouve seul chez moi. Tous les reportages que je devais réaliser en 2020 et 2021 sont annulés. Les chaines paniquent et rompent tous les contrats de production à venir et en cours de signature.

C’est à ce moment là, au cours de l’été 2020, que la fissure est apparue.

L’isolement et le cycle de la violence

Pour venir en aide aux blessés psychiques, le ministère des armées a mis en place un parcours de soin dédié. Depuis 2012, année officielle de la reconnaissance de cette blessure, les militaires peuvent être pris en charge, médicalement et financièrement.

Pour tenter de parer au cycle de la violence qui touche en premier lieu la vie intra familiale, des associations comme AD AUGUSTA ont mis en place des stages pour les conjoints de blessés. Car lorsque la colère apparaît, lorsque la violence et la rage débordent, les familles ne comprennent pas. Alors face à cette blessure qui paraît dans un premier temps incompréhensible et ingérable, les conjoints préfèrent, et comment ne pas les comprendre, couper les ponts.

Tout ce que je croyais enfoui a ressurgi d’un seul coup. Une multitude d’images m’ont envahies ainsi qu’un son, un son très particulier, celui que fait une balle lorsqu’on est la cible. Un bruit de craquement de branche très sec. Cette blessure par balle à l’âge de 10 ans, ce gamin brûlé vif au Sud Soudan que je croyais mort et qui vivait encore, ce vieux bonhomme qui avait la cuisse trouée de part en part par une balle de kalach et me demandait de l’aide, cet esclave de 7 ans à qui le maître avait coupé les tendons pour qu’il ne s’enfuit pas, cet autre gamin passé sous les roues d’un 4X4 sous mes yeux au Niger, celui que j’ai extrait trop tard du sable après qu’un puits se soit effondré sur lui, cette femme qui flottait au large de l’île Dieu et qui venait de mettre fin à ses jours, ce jokey allongé sur le dos avec l’empreinte du fer de son cheval enfoncé dans la face… Toutes les images violentes de ma vie sont remontées à la surface sans que je ne puisse rien y faire, toutes….

Puis, insidieusement, alors que chaque jour ces pensées me hantaient sans que je ne puisse les chasser, j’ai commencé par boire un verre, puis deux… à fumer un joint de cannabis, puis 10… J’avais trouvé le moyen de calmer mes angoisses, de calmer ma rage. Je voulais chasser ces images qui revenaient en boucle. Mais cela n’a pas soulagé mon sentiment de vide, d’abandon. Petit à petit, j’ai sombré. Je me suis mis à dos tous mes proches par des remarques brutales et une tonalité sèche. Ma femme et mon fils se sont écartés de moi peu à peu pour échapper à mon état de stress et ma violence verbale.

Puis il y a eu ce matin où j’ai eu la peur de ma vie. Je tournais en rond comme d’habitude depuis deux mois dans mon jardin de 20 mètres carrés, un joint dans la bouche, un verre d’alcool à la main et un casque sur les oreilles avec AC/DC à fond. Du matin au soir je tournais ainsi, dès mon réveil. Ce matin là, ma femme m’a interpellé. N’en pouvant plus de ce spectacle affligeant, elle m’a demandé si j’étais fier de l’image que je renvoyais… J’ai vu ma main partir…

Je n’ai aucune forme de violence en moi, je n’en ai jamais ressentie. Mais pour la première fois de ma vie, j’ai cru que j’allais porter la main sur quelqu’un, de surcroit la femme que j’aime. Pour éviter que ma rage ne déborde de manière irréversible, j’ai enfilé un jean et ai quitté la maison. J’ai marché trois heures, ai passé un long moment sur un pont au-dessus de l’autoroute A6… J’avais besoin d’aide.

Diagnostic tardif et échec à la reprise du travail

Guérir d’un PTSD est possible. 30% des blessés psychiques peuvent retourner en « première ligne » effectuer leur métier. Mais pour cela, il faut être diagnostiqué le plus tôt possible pour bénéficier des soins appropriés. Et surtout, il ne faut pas avoir peur ou honte de demander de l’aide. Diagnostiqué trop tard, un PTSD reste une fragilité à vie.

Pour prévenir le risque de PTSD et venir en aide à ses blessés psychique, le ministère des armées a mis en place plusieurs dispositifs. De la prévention avant les opérations au SAS de décompression obligatoire après chaque retour de mission où des psychiatres sont présents, les militaires sont suivis, sensibilisés et informés sur ce risque. Des dispositifs inexistants pour d’autres métiers de première ligne comme les policiers, les pompiers, les soignants ou encore le monde des médias.

Je me suis rendu aux urgences psychiatriques de l’hôpital du Kremlin Bicêtre. Au bout d’une heure, alors que je ne m’arrêtais plus de parler, le diagnostic est tombé. Le praticien m’a donné deux numéros de psychiatres spécialisés en Stress Post Traumatique. Et c’est le 20 octobre 2020 que j’ai entamé un parcours de soins pour un PTSD.

Pendant plusieurs mois, le psychiatre qui m’a pris en charge a insisté pour que je prenne des médicaments, pour que j’accepte une hospitalisation. J’ai résisté. J’ai eu tort. En avril 2021, j’ai finalement accepté deux semaines d’hospitalisation. Cela m’a finalement fait le plus grand bien. J’ai mieux compris ce dont je souffrais, que la chimie était nécessaire dans mon état et qu’il me fallait la considérer comme une béquille, un soutien.

Plusieurs semaines après cette hospitalisation qui a permis de confirmer le diagnostic, j’ai été pris en charge par le centre de psycho traumatologie de Villejuif. J’y ai suivi des séances d’EMDR qui ont été magique. À la fin de l’été 2021, mes nuits n’étaient plus agitées, je faisais enfin des nuits quasi normales au lieu des 2 ou 3H00 habituelles rythmées par les cauchemars. Afin de retrouver la forme physique, je me remettais au sport et partais, avec l’accord de mes médecins, faire une expédition de 160 Km en Amazonie. Je me sentais remis en mouvement. Mes rapports familiaux s’apaisaient et je retrouvais avec mon épouse quelques gestes de tendresse. Il me restait à ré-enclencher ma vie professionnelle.

Fin 2021, je reprenais mon reportage sur les « médecins de guerre ». Fini le sujet sur le COVID, il fallait tout reprendre à zéro. Je suis donc parti 10 jours au Mali où j’ai filmé une équipe médicale sur la route la plus dangereuse de l’opération Barkhane, j’ai ensuite suivi des missions harpies au cœur de la forêt guyanaise, puis j’ai enchainé début 2022 en Estonie pour suivre des manœuvres de l’OTAN alors que les russes encerclaient l’Ukraine.

À mon retour, j’ai monté un sujet de 52 minutes pour le magazine «enquêtes exclusives ». La guerre en Ukraine a commencé, mon sujet a été mis en attente du fait de l’actualité… et après avoir livré ce film au printemps 2022, j’ai rechuté violemment.

Un enfer administratif délétère pour les blessés psychiques

Grâce à la mise en place de dispositifs de prévention et de reconnaissance du PTSD, les blessés psychiques du ministère des armées peuvent bénéficier de soins et d’un véritable suivi adapté à leur blessure si particulière.

Grâce au SAS de décompression obligatoire après un retour d’opération où ils voient des psychiatres, il existe une trace « administrative » de leur exposition à un éventuel risque de déclencher, plus tard, un PTSD. Sans cette trace administrative, sans visite médicale suite à un retour de zone de guerre ou à une agression, la reconnaissance de cette blessure et sa prise en charge par les administrations est un véritable parcours du combattant. Face à ces difficultés administratives, beaucoup de blessés abandonnent, s’isolent définitivement, et disparaissent…

Après un premier arrêt de travail de dix mois en 2021 où je n’ai touché qu’une quarantaine d’euros par jour de la CPAM, j’ai tenté de retravailler comme avant, je pensais m’en être sorti. Mais après ma rechute d’avril 2022, le psychiatre qui me suit m’a confirmé mon « invalidité », une chose que j’ai encore un mal de chien à digérer. Seuls les blessés psychiques pris en compte rapidement peuvent être soignés. Pour ma part, le diagnostic est tombé 4 ans trop tard. La fissure a eu lieu, une fragilité à vie…

Après des semaines passées à me morfondre en reprenant des médicaments que je croyais avoir laissés dernière moi, j’ai du me résoudre à me remettre en arrêt de travail sur les conseils de mon psychiatre le 1er juillet 2022. Depuis, je suis enfermé chez moi.

Suite à ce second arrêt, j’ai entamé, sur les conseils des spécialistes et associations qui m’entourent, une demande de reconnaissance d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Fin juillet, la CPAM me répondait que je n’avais aucun droit. Pour que l’accident du travail qui a eu lieu en RDC en 2017 soit reconnu, il aurait fallu que la société de production qui m’a employé à l’époque déclare ce qui m’était arrivé dans les 48 heures en établissant un formulaire d’accident du travail et en m’envoyant faire une visite à la médecine du travail pour qu’il y ait une trace administrative en cas de déclenchement ultérieur de PTSD.

La CPAM reconnaît en effet le PTSD dans les maladies professionnelles ou comme conséquence d’un accident du travail, mais pour cela, il faut que les producteurs respectent la réglementation de la CPAM, ce qu’ils ne font pas par une méconnaissance totale de ces procédures. Lors de nos échanges, le service risques professionnels de la CPAM m’a en effet informé que les producteurs ont l’obligation de remplir des formulaires d’accident du travail quand leurs équipes rentrent de zones rouges ou de zones de guerre. Car la particularité d’un PTSD, c’est qu’il peut se déclencher des mois, voir des années après l’événement traumatisant. Aucun des producteurs avec lesquels j’ai travaillé toute ma carrière ne connaît ces procédures.

Des délais et procédures administratives qui freinent ou empêchent toute possibilité de « reconstruction »

Le ministère des armées permet à ses blessés de suivre des stages où ils apprennent à mieux connaître, et donc à mieux gérer, leur blessure. Ils ont des stages de reconstruction par le sport, pas toujours adaptés du fait de l’esprit de compétition inhérent à cette activité. Le service de santé des armées, qui suit également les blessés psychiques des attentats du Bataclan ou de Nice, a déjà pu tester de nombreuses thérapies et une vaste étude de plusieurs années est en cours sur le sujet.

Mais ce qui fait la vraie force de la prise en charge des blessés psychiques des armées, c’est la prise de conscience générale, au sein de cette institution, des dégâts humains et donc des coûts sociaux que ces blessures engendrent.

C’est grâce à cette prise de conscience collective que les blessés ne sont plus abandonnés à leur sort. Que ce soit en terme de reconnaissance administrative, de soins, ou d’accompagnement vers une reconversion, les militaires blessés peuvent s’appuyer sur un tissu professionnel et associatif riche. Les Gueules cassées, Solidarité défense, AD AUGUSTA, l’ANFEM et bien d’autres associations viennent renforcer le dispositif du ministère.

Suite au refus de prise en charge de la CPAM, j’ai recontacté la société Pernel Média pour laquelle j’étais parti en RDC. Surpris d’apprendre l’existence d’un point de règlement de la CPAM qui lui était totalement inconnu, mon producteur remplissait alors, 5 ans après les faits, un formulaire d’accident du travail et une lettre expliquant pourquoi aucune déclaration n’avait été faite en 2017.

Lors de mes différents échanges avec la CPAM, mes interlocuteurs m’ont dit ne pas savoir si mon dossier serait accepté ou non. Et je ne sais toujours pas si la déclaration tardive de mon producteur et sa lettre explicative sur la méconnaissance totale de l’ensemble de la profession sur les règlements de la CPAM concernant les tournages en zones dangereuses seront prises en compte.

Depuis, j’attends que mon dossier soit instruit. Le service risque professionnel de la caisse du Val de Marne m’a informé que ma nouvelle demande de reconnaissance de maladie professionnelle ou d’accident du travail serait probablement traitée dans un délai de six mois… Ma vie est à l’arrêt, suspendue dans l’attente d’une décision administrative.

Le manque de prise de conscience générale ou comment avancer face au vide ?

1700 journalistes assassinés en 20 ans, mais combien de blessés? Témoigner en première ligne a toujours été dangereux. C’est devenu plus dangereux que jamais.

Pour le seul conflit syrien, 709 journalistes ont été tués et 1571 blessés. Mais rien sur les blessés psychiques. Aucun chiffre. Au sein des armées, l’unité qui compte le plus de blessés psychiques, 16%, est celle des soldats de l’image, les rédacteurs, caméramen et photographes militaires. Témoigner, c’est être exposé en permanence. Que l’on soit militaire ou civil. Pourtant, il n’existe rien en matière de prévention ou de suivi du PTSD pour de nombreuses professions exposées à ce risque.

Soutenu par l’association AD AUGUSTA dont les membres, exclusivement militaires, ont bien voulu m’accueillir, j’ai compris que je ne pourrais plus m’exposer au risque comme par le passé. Fini les zones dangereuses et tous ces pays que j’ai tant aimé arpenté. Fini les coulisses du monde… Mais impossible de poser ma caméra. Pour me reconstruire, j’ai mis mes compétences aux services d’associations. Ces derniers mois, j’ai fait ce que j’aime faire. Filmer, témoigner.

Depuis Septembre, j’ai ainsi réalisé bénévolement deux petits films sur les blessés. Cela m’a fait le plus grand bien et m’a permis de donner du sens à une vie entre parenthèse. Cela m’a surtout permis de sortir. J’ai ainsi pu recueillir des témoignages émouvants de blessés avec l’association AD AUGUSTA. Tous m’ont parlé sans fard face caméra. J’ai gardé les moments les moins intimes et les moins durs. Ces portraits rapidement brossés sont diffusés sur le site de l’association. Puis j’ai réalisé un sujet pour l’association Solidarité Défense qui vient de financer l’acquisition d’un exosquelette pour les blessés suivis par l’Institution Nationale des Invalides.

Lors de ces tournages, j’ai pu rencontrer Patrick Remm, président des gueules cassées, Jean Marie Bockel, ancien ministre et président de Solidarité Défense ainsi que différents acteurs qui interviennent au profit des militaires blessés. Tous ont été étonnés d’apprendre mon histoire, de constater mon isolement total et le manque total d’accompagnement, tant financier qu’administratif. Sans leur soutien et sans celui d’AD AUGUSTA dirigé par Thomas Janier, j’aurais sans doute disparu comme beaucoup avant moi. Je n’aurais jamais relancé une demande de reconnaissance auprès de la CPAM, je n’aurai pas recontacté mon producteur pour qu’il rédige, 5 ans après les faits, une déclaration d’accident du travail, je n’aurai pas fait ces deux petits films qui m’ont permis de sortir de mon isolement, de trouver un sens à mes journées. Grâce à leur bienveillance, j’ai pu enfin retrouver la sensation de me rendre utile !

Prévenir le PTSD chez les professionnels des médias pour éviter sa prise en charge tardive

Le risque de PTSD est méconnu dans de nombreuses rédactions et sociétés de production. L’AFP est sans doute l’une des rares agence à avoir mis en place un système de « détection » et d’accompagnement des journalistes qui rentrent de zones de guerre.

Le conflit en Ukraine, comme les précédents, a déjà fait des dégâts. Arpenter le monde aux côtés de la mort peut affecter profondément. Tous les professionnels des médias qui couvrent les zones dangereuses méritent être informés du risque et éventuellement suivis dès leur retour. Il existe des procédures, des solutions. Il manque leur mise en œuvre.

Ma famille n’a pas été épargnée. Mon couple ne sera plus jamais le même. Et je m’en veux. Je m’en veux de ne pas avoir compris plus tôt ce vide abyssal ressenti à mon retour de RDC. Je m’en veux de ne pas avoir compris pourquoi tous mes proches prenaient peu à peu leurs distances avec moi. Je m’en veux de ne pas avoir su lire plus tôt les signes avant coureur d’une fissure irréversible. Tous les indicateurs étaient au rouge. J’aurais pu, j’aurais dû savoir les lire.

Jamais trop tard pour bien faire

En découvrant cette blessure, j’ai découvert que de nombreuses solutions existaient déjà pour informer, prévenir, guérir, soutenir et reconvertir. Et c’est le service de santé des armées, le ministère des armées et les nombreuses associations s’occupant des blessés et de leurs familles qui les ont mises en place. Qui ose gagne. Pourquoi ne pas s’en inspirer et l’adapter à d’autres professions à risques ?

Il est possible d’éviter des drames humains, d’éviter les addictions, la violence intra familiale et l’isolement. Il est possible d’éviter de sombrer. Et lorsqu’on s’effondre malgré tout, il est possible de s’en sortir. Mais pour cela, il faut deux choses. Tout d’abord un accès à l’information qui ne peut passer que par une prévention ciblée. Ensuite, une prise en charge médicale et un accompagnement administratif et humain adapté à des blessés qui ont tendance à tout abandonner, à s’isoler, à se faire oublier, jusqu’à finir par s’effacer, par disparaître…

Dans l’espoir que cet exposé détaillé et intime saura vous alerter sur des drames qui peuvent, et doivent, être évités, veuillez agréer, Madame la Ministre, Messieurs les Ministres, Monsieur le directeur, mes salutations distinguées.

Emmanuel REAU

MERCI A EMMANUEL POUR CE TEMOIGNAGE qui j’éspère modifiera la nécessaire prise en charge

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