Échouages massifs de dauphins : les associations réclament des suspensions de pêche

  • 22/02/2023
  • Par Aurélie Delmas

captures et cran. Plusieurs associations françaises se mobilisent cette semaine pour mettre fin aux échouages massifs de cétacés sur la côte atlantique. Leur demande : que certaines méthodes de pêche soient suspendues localement pendant plusieurs mois chaque année.

Cet hiver, 395 petits cétacés ont été retrouvés morts sur la façade Atlantique et près de 40 autres sur le littoral de la Manche. 90% de ces animaux étaient des dauphins communs, considérés comme protégés. Et c’est sans compter le pic d’échouage habituellement observé au mois de février. «Ce nombre anormalement élevé nous inquiète, indique à Vert Cédric Marteau, directeur du Pôle Protection de la nature à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Et il nous fait dire que rien n’est réglé au large».

Cette situation critique pour les cétacés remonte à plusieurs années. L’observatoire des mammifères et oiseaux marins du CNRS, Pelagis, observe une augmentation des échouages depuis 2015 et fait état d’un «épisode intense de mortalité» cet hiver. L’an passé, selon son rapport, 612 petits cétacés, dont 80% de dauphins, ont été retrouvés échoués le long des côtes atlantiques entre les mois de novembre 2021 et mai 2022. Ces chiffres ne représentent qu’une partie des dauphins morts dont les corps ont plutôt tendance à être mangés, à couler ou à se détériorer en mer. La LPO considère que 8 000 à 10 000 dauphins pourraient ainsi être décimés au large des côtes françaises chaque année.

Caméras et répulsifs

Causes naturelles, prédations, pollutions, raréfaction de la nourriture, dérèglement climatique, collisions avec des bateaux… si le phénomène a sans doute plusieurs raisons, il est clair pour les scientifiques de Pelagis que les captures accidentelles par les pêcheurs sont «la principale cause de mortalité observée». Les dauphins échoués sont autopsiés, «on regarde leur âge, leur sexe s’ils étaient en bonne santé et on observe souvent des stries des filets, des morceaux de filets, des nageoires sectionnées… qui montrent bien qu’il y a eu une intervention humaine», explique Cédric Marteau. Pêche au chalut (un filet remorqué en forme d’entonnoir), filets maillants (panneaux verticaux disposés en ligne) et autres trémails (constitués de trois nappes de maille) ; ces méthodes de pêche trop peu sélectives ont un très lourd impact sur la biodiversité, estiment scientifiques et associations. Les dauphins seraient ainsi capturés puis remis à l’eau par des équipages de pêcheurs sans que ces événements ne soient déclarés, contrairement à ce qu’impose la loi.

Un plan visant à enregistrer des données a été mis en place par l’État en 2019 et musclé fin 2022. Il repose essentiellement sur l’installation de caméras à bord des bateaux et de répulsifs acoustiques, dits pingers, destinés à éloigner les dauphins. «Mais il y a tellement d’interactions entre les zones de pêches et les zones d’alimentation des cétacés qu’à un moment donné il y a des captures», précise Cédric Marteau.

«C’est la vie de milliers de dauphins qui est en jeu»

La défense des mammifères marins se joue désormais de plus en plus dans les prétoires. La France a déjà été condamnée à ce sujet par le tribunal administratif en 2020, puis mise en demeure par la Commission européenne après la plainte de 26 ONG en 2019. En juillet dernier, la Commission a estimé que la réponse de l’Etat français était insuffisante et a annoncé qu’elle pourrait saisir la Cour de justice européenne, poussant la France à renforcer son plan. Ce vendredi 24 février 2023, le Conseil d’État tiendra une nouvelle audience faisant suite à un recours en justice déposé en 2021 par France Nature Environnement (FNE).

«Ce qui se joue, c’est une fermeture des pêcheries, pour l’hiver prochain, on l’espère. C’est donc la vie de milliers de dauphins qui est en jeu devant le conseil d’Etat, explique à Vert Jérôme Graefe, juriste de FNE. Une décision allant dans notre sens serait une première étape décisive pour la biodiversité. Encore faut-il qu’après, l’Etat veuille bien exécuter les décisions de justice prises à son encontre le cas échéant», met-il en garde. «Si la justice nous donne raison, ajoute-t-il, nous attendons que les ministres concernés reçoivent dans le mois qui suit l’ensemble des parties prenantes afin d’organiser dès maintenant les fermetures spatio-temporelles».

Le 22 février, la Ligue de protection des oiseaux a exposé 400 portraits de dauphins sur l’esplanade des Invalides, à Paris. © LPO

La réponse du Conseil d’Etat sera connue d’ici quelques semaines. Mais elle ne signera pas un point final, car de nombreux autres recours d’associations sont en cours. Ce mercredi 22 février, la LPO organise un rassemblement à Paris pour présenter deux nouvelles actions en justice : l’une auprès de la Commission européenne et un recours gracieux auprès du secrétaire d’Etat chargé de la Mer, Hervé Berville. «Nous disons au gouvernement : il y a des solutions, prenez les mesures !», réclame Cédric Marteau dont l’association a rendu publique fin janvier une lettre adressée à Emmanuel Macron et signée par 45 000 personnes. «Il suffirait de suspendre les pratiques de pêche en cause pendant plusieurs semaines dans le Golfe de Gascogne pour épargner la grande majorité des dauphins», estime la LPO.

Dans un avis récent, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) préconisait «une combinaison de fermetures temporelles de tous les métiers concernés et l’application d’émetteurs d’ultrasons». Autrement dit, il s’agirait de suspendre localement et temporairement certains types de pêche jugés trop dangereux pour les cétacés. Une fermeture qui «permettrait d’indemniser les pêcheurs par l’intermédiaire d’un fonds européen spécifiquement prévu pour cela, précise Jérôme Graefe, juriste à FNE. Ce type de mesure permet aux espèces de se reposer et de se reproduire. Et, in fine, aux pêcheurs d’avoir des efforts de pêche moindres à fournir pour aller chercher le poisson». «Ce n’est pas un monde contre un autre, l’économie contre la nature, d’ailleurs ce sont les pêcheurs aussi qui ont la solution, complète Cédric Marteau. Mais il faut que les choses changent».

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