La recherche face aux défis des territoires ultramarins

14 juin 2023CNRS: Une déclaration que l’on aimerait voir porter ses fruits…Travaillant depuis plus de vingt ans sur les recherches menées dans les territoire ultramarins j’ai souvent fait le constat qu’il s’agissait souvent de financer des projets de recherches qui finalement profiteraient à la France continentale et ne réussirait pas in fine à produire filières et richesses pour les territoires. Une remarque valable pour le CNRS, le CIRAD et dans une moindre mesure Pour l’IRD et l’INRA

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Entre belles réussites et ambitions, le CNRS souhaite développer son action au sein de la France ultramarine pour répondre aux enjeux géostratégiques majeurs de ces territoires. L’organisme dévoile sa feuille de route.

A une distance comprise entre 7 000 et 17 000 km de Paris, les territoires d’outre-mer qui constituent « l’archipel France », représentent 97 % de la Zone économique exclusive française. La Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, la Guyane, mais également Saint-Pierre et Miquelon ou encore la Polynésie française… Tous portent des enjeux géostratégiques majeurs pour la France présente dans les trois océans.

Ces territoires sont considérés comme très vulnérables et comme des sentinelles « marqueurs » des impacts du changement global sur les questions de préservation et d’adaptation de la biodiversité, de préservation des ressources naturelles et des risques naturels – sismiques, volcaniques ou climatiques, montée de la mer – mais également des maladies émergentes.

« Les outre-mer englobent des enjeux majeurs pour notre avenir », souligne Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. « Et les sujets sont variés, allant de la prévision des impacts du changement climatique, à l’accompagnement de l’adaptation et du futur des populations, en particulier des citoyens des milieux insulaires, mais également à des enjeux d’éducation, de transition énergétique, d’innovation, de cultures, ou encore de conflits d’usages exacerbés notamment en zone littorale ».

Mais si le CNRS est le 1er organisme de recherche national dans l’hexagone, ce n’est pas le cas dans les territoires ultramarins, où il ne représente que 9 % des scientifiques permanents sur les six organismes de recherche nationaux les plus présents sur les Départements ou Régions français d’Outre-Mer (DROM) et les Collectivités d’Outre-Mer (COM). Car en effet, si le CNRS a développé une stratégie affirmée dans l’hexagone, elle l’a peu déployée en outre-mer. Une problématique à laquelle le CNRS souhaite remédier notamment par la publication d’une feuille de route qui appuiera une stratégie future interdisciplinaire. « Cette feuille de route suit trois ambitions majeures : protéger et étudier le patrimoine naturel, favoriser les sciences avec et pour les sociétés ultramarines et développer le rayonnement international sur les bassins régionaux des outre-mer », explique Anne Renault, chargée de mission Outre-mer auprès de la direction du CNRS et pilote de cette feuille de route qui va maintenant se décliner au travers d’actions coconstruites avec les acteurs des territoires.

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Prélèvement et identification de termites dans le Laboratoire des Nouragues. (Station des Nouragues, Guyane française). La station est implantée au cœur de la Réserve Naturelle des Nouragues, en Guyane française. Elle est organisée en deux camps de séjour, distants de 8 kilomètres et ouverts à l’année : le camp Inselberg et le camp de Saut-Pararé. Sa mission est de promouvoir la recherche scientifique en forêt tropicale humide, dans un site aussi éloigné que possible de l’influence directe des activités humaines. © Nicolas CEGALERBA/CNRS Images

Être au plus proche pour étudier le patrimoine naturel

«Certains territoires aux écosystèmes exceptionnels ont conduit le CNRS et ses partenaires à faire le choix d’installer une Infrastructure ou une station d’observation pour améliorer la connaissance en structurant la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche », rapporte Anne Renault. Cela se traduit par une visibilité nationale et internationale attractive et des liens forts avec la collectivité territoriale. Trois exemples illustrent cette réussite : la station des Nouragues et la plateforme d’écologie expérimentale Amazonienne en Guyane autour de la forêt amazonienne et de sa biodiversité, le Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE) autour du lagon polynésien et de sa biodiversité ou encore la chaine d’observations de l’Observatoire des sciences de l’Univers à La Réunion autour d’un écosystème insulaire unique continuum Atmosphère, Forêt Humide, Bassin versant et Lagon.

« La première ambition de cette feuille de route cible la résilience et l’adaptation des socio-écosystèmes intertropicaux insulaires ou amazoniens au changement global », indiqueAnne Renault. Les enjeux consisteront à aborder les grands défis de demain de ces territoires en améliorant la connaissance, mais également de renforcer les infrastructures existantes ou expérimentales d’observations pour mieux comprendre cette adaptation.

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Élevage de grenouilles dendrobates, dans une serre de la Plateforme d’étude expérimentale amazonienne (PLEEA), sur le site de Montabo, à Cayenne en Guyane. La mission de la plateforme PLEEA est d’héberger deux modèles d’études privilégiés : amphibiens et papillons. Ces modèles sont le support de travaux sur les processus de polymorphisme et de diversité chimique. Trois serres sont déjà en fonctionnement sur le site de Montabo, occupant une surface de 300 m². La plateforme PLEEA est adossée à un laboratoire de biologie moléculaire et à une plateforme de chimie analytique sur le campus de Montabo. © Thibaut VERGOZ / LEEISA / CNRS Images

Les sciences avec et pour les sociétés ultramarines

Seconde ambition du CNRS : favoriser le partage et la confiance avec les sociétés ultramarines pour mieux appréhender et construire leur futur. Pour ce faire, il faudra encourager le transfert des connaissances vers le grand public—notamment les plus jeunes— mais aussi saisir les opportunités en matière d’innovation (comme autour des énergies renouvelables, des substances naturelles), ou encore sensibiliser en hexagone à l’histoire et au patrimoine naturel de territoires d’outre-mer.

Un exemple à l’ordre du jour : la cellule Energie du CNRS1  qui coconstruit un projet en Polynésie française pour sa transition énergétique. « La Polynésie française souffre de l’approvisionnement en source d’énergie primaire et de son stockage. En effet, l’archipel est dépendant à 94 % de l’importation des hydrocarbures, et les distances qui composent ce grand territoire sont énormes (des îles reparties sur 2 000 km) et rendent très difficile la distribution de ces énergies fossiles », décrit Abdelilah Slaoui, directeur de la cellule Energie du CNRS. Le CNRS s’est allié avec l’Université de Polynésie française en 2021 – suite à une demande du pays – et a réuni sous forme d’ateliers plusieurs experts académiques et industriels dans le domaine de l’énergie et de visites locales pour proposer une feuille de route de la transition. « L’objectif à terme est de déployer des productions d’énergies renouvelables transposables sur le territoire : du photovoltaïque associé avec du stockage via l’hydrogène ou des batteries électrochimique ou la production de nouveaux carburants via par exemple un type d’algue locale qui pourrait être énergétiquement très intéressante », ajoute-il.

Des scientifiques du CNRS développent également des actions de partage des connaissances. C’est le cas du chercheur Damien Chevallier2 , responsable d’un programme de recherche sur les tortues marines en Guyane et aux Antilles. Depuis 10 ans, il forme des jeunes martiniquais à l’étude des tortues marines et des écosystèmes marins, à l’apnée et à la plongée sous-marine. « Pour préserver ce patrimoine, il faut donner la priorité au local, à ceux qui sont présents sur du long terme », confie-t-il. « Les populations de territoires Outre-mer et les directions de l’État ont un besoin crucial de partage de connaissances et d’un pacte de confiance avec les scientifiques pour mieux appréhender et construire leur futur », précise Anne Renault.

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Pause d’une caméra sous-marine sur une tortue marine en Martinique. Depuis 10 ans, le chercheur Damien Chevallier forme des jeunes martiniquais à l’étude des tortues marines et des écosystèmes marins, à l’apnée et à la plongée sous-marine. © Fabien Lefebvre / CNRS

Un rayonnement international sur les bassins régionaux des outre-mer

Enfin, alors que les territoires d’outre-mer sont situés dans des bassins océaniques où se trouvent plusieurs bureaux3  de représentation du CNRS, l’organisme souhaite une meilleure articulation entre ces acteurs. Car les défis y sont souvent partagés, comme par exemple les « radeaux de sargasses4  » aux Antilles qui affectent de nombreux pays voisins.

« Via ses bureaux à l’étranger, le CNRS peut jouer un rôle essentiel en facilitant la mise en œuvre de collaborations plus affirmées », affirme Christelle Roy, directrice de la Direction Europe et International du CNRS, soulignant le potentiel des thématiques outre-mer pour structurer les recherches et également dynamiser encore davantage l’obtention de projets européens au CNRS.

En effet, les laboratoires d’outre-mer disposent d’une dimension internationale stratégique par leur positionnement géographique. La Réunion, se trouvant dans des zones indopacifiques stratégiques, est directement concernée par des défis géopolitiques qu’adresse notamment le PEPR Bridges – dont l’objectif est de mieux organiser la gouvernance des communs pour réduire les conflits en zones côtières. « Le CNRS veut être force de proposition pour faciliter les dialogues et développer des dispositifs de coopération adaptés à chaque zone. »

Autre exemple au Brésil, où la création récente du Centre d’études pour une Amazonie durable5  au sein de l’Université de São Paulo permet de coordonner le travail d’équipes de recherche françaises de Guyane et de métropole qui ciblent les mêmes problématiques. Les projets pourraient trouver un soutien dans le cadre défini par le futur Centre international de recherche qui se construit entre l’Université de Saõ Paolo et le CNRS. Côté Australie – qui partage avec l’outre-mer français deux océans majeurs—Pacifique et Indien—les collaborations les plus visibles impliquent la Polynésie française (le CRIOBE avec l’Université James Cook) et la Nouvelle Calédonie (Laboratoire Écologie marine tropicale des Océans Pacifique et Indien6 ) autour des recherches sur les récifs coralliens et leur adaptation au changement climatique. « Un fort potentiel de développement existe sur d’autres thématiques dans l’océan Pacifique comme l’archéologie et l’ethnologie, la préservation de la biodiversité, les maladies tropicales et l’astronomie », décrit Christelle Roy.

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Premier système de pépinière de coraux utilisé au CRIOBE à Moorea, en Polynésie française, pour élever des coraux. Le CRIOBE est un laboratoire mondialement reconnu pour ses travaux de recherche sur les récifs coralliens. Il étudie l’origine et le maintien de la biodiversité, l’écologie chimique, la chimie de l’environnement, la caractérisation et les activités biologiques de nouveaux métabolites ainsi que le fonctionnement de l’écosystème. © Yannick CHANCERELLE / CRIOBE / CNRS Images

Joindre les forces avec l’État

Pour relever ces défis, le CNRS devra lier sa stratégie aux nombreux dispositifs étatiques de recherche : PIA4 d’ExcellencES7 ,Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) du plan d’investissement de France 2030 ou Plan Innovation outre-mer (PIOM)8  du secrétariat général pour l’investissement (SGPI). Le CNRS copilote actuellement plusieurs PEPR et Programme prioritaire de recherche (PPR) au volet ultramarin9 , participe à quatre PIOM, et est partenaire sur deux projets ExcellencES et deux autres à venir. « Il faudra veiller à une bonne articulation entre tous ces dispositifs car un risque d’éparpillement des forces existe et conduirait à un échec », met en garde Anne Renault.

D’où l’importance de développer une stratégie partagée avec l’État. « L’État s’interroge sur les impacts du changement climatique dans les territoires français d’outre-mer tant sur les écosystèmes et sur les usages qui en sont fait, que sur les populations humaines qui y vivent et sur les solutions pour accompagner la résilience de ces territoires », analyse Alain Schuhl. Car « les impacts du changement climatique dans ces territoires vigies – regroupant 80 % de la biodiversité française – se font à 360° », détaille Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer au Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer (MIOM). « Ils entrainent une plus grande fragilité des écosystèmes, menacent la pérennité de certaines activités humaines, notamment économiques, entraînant, en chaîne, par exemple, des habitats plus précaires, des problématiques de santé plus marquées ». Pour en savoir plus sur l’impact du changement climatique, le MIOM a d’ailleurs signé une convention avec le CNRS pour faire un état des lieux de la connaissance sur ces territoires. Un chargé de mission sera positionné à la Réunion à l’Observatoire des Sciences de l’Univers (OSU). Il collaborera avec des chercheurs basés dans l’hexagone et dans l’ensemble des territoires ultra-marins, et regroupera, au travers de déplacements, les données des autres territoires outre-mer (Atlantique et Pacifique Sud).  « L’objectif est de réaliser un travail de compilation de la connaissance et de repérer les lacunes pour aller, en étroite collaboration avec les collectivités territoriales, vers une programmation pluriannuelle cohérente des projets », souligne Sophie Brocas.

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Caméras installées sur le toit de l’observatoire du Maïdo (faisant partie de l’OSU-R), situé à 2 200 m d’altitude sur la côte ouest de l’île de La Réunion. Premier OSU de France à l’outremer et actif depuis 2010, l’OSU-Réunion (Université de la Réunion/CNRS) s’est d’abord construit sur les observations de l’atmosphère tropicale avant d’étendre ses services d’observation à l’écologie marine et forestière, à la géologie et l’hydrologie. Il fédère 8 laboratoires qui allient des compétences en sciences de la Terre et de l’atmosphère, en écologie marine et forestière pour l’environnement, en dynamiques spatiales caractérisant les éco-socio systèmes, en énergies durables, et en informatique. © Thibaut VERGOZ/OSU – Réunion / CNRS Images

Et l’État« se réjouit » de la stratégie outre-mer à venir du CNRS. « C’est un très bon signal, à beaucoup d’égards, car l’outre-mer ne doit pas rester le parent pauvre de la recherche » et le CNRS peut être un facteur de « décloisonnement », souligne la directrice générale des outre-mer dont le ministère s’est rapproché du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour favoriser un dialogue entre scientifiques, collectivités et État pour « sortir les outre-mer de cette invisibilité dans laquelle ils se trouvent. »

Suite à ces nombreux éléments, la mise en œuvre de cette stratégie outre-mer du CNRS devrait commencer fin 2023 avec la construction avec les territoires, d’actions adossées à la feuille de route. Alain Schuhl s’en réjouit. « Le CNRS a légitimité, en tant que premier organisme national de recherche, à être force de proposition et intégrateur des efforts de recherche pour faire émerger des projets ambitieux transdisciplinaires en lien avec les territoires ultramarins et nos partenaires académiques »

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