tribune AJE: L’industrie pétrolière doit être transparente sur ses objectifs climatiques 


La 28e conférence des Etats parties à la convention onusienne sur le changement climatique (COP 28, du 30 novembre au 12 décembre) est accueillie par un pays pétrolier. Elle sera présidée par celui qui est également le dirigeant d’une compagnie pétrolière. Nul doute qu’à Dubaï, l’industrie pétrogazière sera sous les feux de la rampe et ses engagements en faveur du climat particulièrement attendus.

Malgré l’essor des renouvelables, le pétrole et le gaz assurent aujourd’hui 53 % de la consommation énergétique mondiale alors qu’il faut, tout comme pour le charbon (26 %), ramener à zéro leur impact climatique au cours des vingt-cinq prochaines années.

De plus en plus d’entreprises du secteur prennent des engagements pour contenir le réchauffement global. Les grandes majors occidentales (Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP, Shell et Eni), qui ne représentent que 15 % de la production mondiale de pétrole et de gaz, s’affichent en tête de ce mouvement. Elles souscrivent à l’objectif international du 1,5 °C et se sont engagées à être « ZEN » (zéro émissions nettes) en 2050.

Cependant, chacune de ces compagnies retient sa propre définition de la neutralité carbone. Chacune a sa propre méthode de comptage de ses émissions de gaz à effet de serre. Chacune choisit ses propres indicateurs de progrès. Si bien qu’il est très difficile, que l’on soit décideur politique, investisseur responsable, militant associatif, chercheur, journaliste ou simple consommateur concerné, d’établir un classement entre les plus et les moins efficaces, de distinguer entre éco- blanchiment et véritable engagement.

Pour les majors américaines, le périmètre des émissions à neutraliser s’arrête aux activités de production, de l’extraction au raffinage. Il serait alors possible d’être ZEN en stoppant les fuites de méthane à la sortie des puits et en électrifiant les opérations industrielles. Or dans un litre de pétrole ou un mètre cube de gaz, l’essentiel des émissions provient évidemment des combustions au niveau des usages finaux : essence des voitures, chauffage des maisons, installations industrielles…

Les compagnies européennes ont une approche plus cohérente, puisqu’elles incluent dans leur objectif ZEN les émissions liées à la consommation finale de leurs produits, reconnaissant ainsi leur responsabilité vis-à-vis de ce qu’elles mettent sur le marché. Cependant, le diable se cache dans les détails de la comptabilité carbone des compagnies pétrolières(1) et plusieurs procédés peuvent être utilisés pour échapper en partie à leurs responsabilités.

Les périmètres pris en compte par ces entreprises sont en règle générale restreints aux unités industrielles qu’elles exploitent directement et n’incluent pas celles qu’elles détiennent mais qui sont opérées par des tiers. Or l’écart peut être

important.

Des compagnies considèrent également que les plastiques issus de leurs pétroles sont, comme les arbres, des « puits de carbone ». Or l’incinération des déchets plastiques renvoie ce carbone stocké dans l’atmosphère.

Une autre pratique consiste à ne comptabiliser comme ventes que ce qui correspond aux volumes extraits ou raffinés par l’entreprise, alors que celle-ci, via ses activités de trading, peut commercialiser beaucoup plus de pétrole ou de gaz qu’elle n’en a elle-même produit. Les différentes compagnies pétrolières ont des pratiques différentes sur ce sujet qui donne lieu à des polémiques. Il est par exemple au cœur du conflit entre Greenpeace et TotalEnergies, qui met surtout en évidence la nécessité de disposer de règles communes et reconnues par l’ensemble des parties(2).

Pour ne rien arranger, les compagnies pétrolières expriment souvent leurs objectifs à 2050 non en valeur absolue (la réduction du volume de leurs émissions), mais en valeur relative (les émissions de CO2 générées par la combustion d’un litre de pétrole), ce qui ouvre la porte à des effets rebond. Et comme rien n’est simple, les méthodes de calcul de cette valeur diffèrent d’une compagnie à l’autre.

Last but not least, on ne peut pas se contenter d’annoncer des objectifs à 2050. Cet horizon lointain n’engage ni les actionnaires, ni les dirigeants et les objectifs pris sont invérifiables en pratique. Plus que jamais chaque année compte et des engagements pour l’année 2024 et les suivantes sont attendus. Non seulement ils devraient être exprimés selon une métrique transparente, être vérifiables, mais ils devraient aussi chiffrer les moyens prévus pour tenir les engagements annoncés,

A l’heure où les compagnies pétrolières sont poussées par les opinions et par les Etats à agir pour le climat à la hauteur de leur responsabilités, et à l’heure où certaines d’entre elles disent être déjà alignées sur l’objectif 1,5 °C, il importe, pour commencer, que leurs annonces soient lisibles et comparables, de manière à ce qu’on puisse juger de leur pertinence et de leur crédibilité.

Cela implique qu’elles soient formulées sur la base de critères simples, homogènes et acceptés. Ce qui implique que ces critères soient, non pas définis par elles- mêmes, mais validés par des institutions publiques et légitimes, par exemple la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, suivant le principe simple et robuste qu’on ne peut être juge et partie. Cette démarche vaut bien entendu pour toutes les énergies fossiles.

Association des journalistes de l’environnement (AJE)

Association des journalistes de l’énergie (AJDE)

(1) « La comptabilité carbone des compagnies pétrolières », Stéphane His, webinaire pour l’Association des journalistes de l’environnement, 18 octobre 2023.
(2) « TotalEnergies vs. Greenpeace : comptabilité carbone, une affaire de périmètre et de méthode », Carbone 4, 13 décembre 2022.

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