la banque mondiale propose de reformer le système agricole

« Le système alimentaire mondial doit être réparé parce qu’il rend la planète malade. » Ce constat, s’il émanait d’associations ou de groupes politiques écologistes, n’étonnerait guère. Mais il est formulé ici par la Banque mondiale, dans un rapport publié mardi 7 mai, intitulé « Recette pour un monde vivable ». Dans cette analyse de plusieurs centaines de pages, la banque multilatérale de développement, qui s’est engagée sous la présidence de l’Américain Ajay Banga, nommé en mai 2023, à consacrer 45 % de ses financements aux enjeux climatiques, reconnaît la nécessité « de réorienter drastiquement le modèle agroalimentaire mondial, dont la forme actuelle pousse la planète au-delà de ses limites opérationnelles ». Mais les « recettes » proposées par l’institution sont loin de convaincre les experts de la transition agricole.

Le secteur représente un tiers des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, mais il a longtemps été relégué à l’arrière-plan de l’agenda climatique par rapport aux enjeux d’énergie, d’industrie ou de transport, pour lesquels « le développement de quelques technologies-clés peut réduire amplement les émissions », observe la Banque mondiale. En revanche, « tant qu’il a pu, le monde a évité de s’attaquer aux émissions agroalimentaires, en raison de leur étendue et complexité », poursuit-elle.

Au niveau des financements climat, seuls 4,3 % sont dédiés à l’agriculture et à l’alimentation, et si l’on prend les sommes consacrées à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la disproportion est encore plus flagrante, le secteur ne recevant que 2,4 % des montants engagés – un effort que l’institution qualifie d’« anémique ». A elles seules pourtant, les émissions liées à l’alimentation pourraient faire échouer à atteindre l’objectif fixé dans l’accord de Paris de 2015 de limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Multiplier par dix-huit les financements climat

La Banque mondiale souligne que pour atteindre la neutralité carbone du secteur à l’horizon 2050, il faudrait multiplier par dix-huit les investissements annuels pour le climat dans le domaine agricole et alimentaire, pour atteindre 260 milliards de dollars (240 milliards d’euros) par an. Mais la bonne nouvelle, selon l’institution, est que l’argent est là – la somme à investir représente moins de la moitié des subventions publiques au secteur agricole. « Les subventions pour l’agriculture font clairement partie de la réponse, et leur réorientation ne signifie pas leur suppression mais de les dépenser de façon plus efficiente, de façon à augmenter la productivité », précise Alexander Lotsch, coauteur de ce rapport.

L’autre bonne nouvelle, souligne la Banque mondiale, est que les bénéfices générés par ces investissements sont bien supérieurs aux coûts estimés : en termes d’emplois, de santé, de biodiversité, de sécurité alimentaire accrue, le retour sur investissement est évalué à
seize pour un en 2030.

La Banque mondiale promeut une approche différenciée selon les capacités financières des Etats. Pour les pays riches, l’enjeu est notamment de faire évoluer les régimes alimentaires des populations, dont la consommation de protéines d’origine animale surpasse de très loin la moyenne mondiale. Pour y parvenir, la Banque mondiale suggère de promouvoir davantage les protéines végétales et d’intégrer, dans le prix des produits d’origine animale, leur coût environnemental.

Pour les pays à fibles et moyens revenus – ces derniers représentant à eux seuls les trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l’agriculture –, l’enjeu se situe surtout dans la préservation et la restauration des forêts, grignotées au profit de terres agricoles et de pâturage, estime la banque multilatérale. Pour stopper l’hémorragie forestière tout en augmentant la productivité agricole, l’institution appelle à développer l’agroforesterie.

« Des évolutions progressives et marginales »

Mais la solution proposée est jugée insuffisante par Emile Frison, membre fondateur du Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) : « Rien ne montre dans ce rapport que la Banque mondiale promeut une diversification des cultures, qui est au cœur de l’approche agroécologique. Le fait que la Banque mondiale appelle à un changement est positif, mais les solutions proposées – efficacité dans l’utilisation des engrais, utilisation d’énergie verte, agriculture de précision… – ne sont que des évolutions progressives et marginales, qui ne remettent pas en question l’intensification de
l’agriculture. »

Ces deux dernières années, les enjeux agricoles et alimentaires ont pris une place plus importante dans l’agenda climatique. Lors de la dernière Conférence internationale pour le climat (COP), à Dubaï, en décembre 2023, 160 Etats se sont engagés à inclure les systèmes alimentaires dans leurs plans climat nationaux et les Nations unies pressent pour établir un bilan de leurs actions lors de la COP30, au Brésil, à la fin de 2025. « On voit qu’il existe un élan, estime Alexander Lotsch. La transformation des systèmes alimentaires est urgente, nécessaire, et surtout, elle est abordable. » Mais maintenant que le constat est unanimement partagé, il reste à trouver un consensus sur la recette à appliquer.

Mathilde Gérard

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