Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado est mort à 81 ans

Par  Valérie Duponchelle L

Le photographe, éternel voyageur qui a collaboré avec les agences Sygma, Gamma et Magnum, témoignait de la nécessité de vivre au quotidien dans des pays aussi divers qu’éloignés pour mieux en témoigner.P

Le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado est mort vendredi à 81 ans à l’Hôpital américain, a annoncé l’Académie des Beaux-Arts française, dont il était membre depuis 2016, « grand témoin de la condition humaine et de l’état de la planète ».À découvrir

Il y avait un tel charme dans la mélancolie chantante de Sebastião Salgado que la tristesse semblait toujours irréelle, comme un voyage qu’il ne voulait pas faire. Il y a un mois, le plus célèbre des photographes brésiliens, le plus célèbre des photographes tout court, prenait son téléphone pour promouvoir, avec chaleur et tendresse, le projet de son fils cadet, Rodrigo, 45 ans, né avec une trisomie 21. Rodrigo, une vie d’artiste doit révéler son long travail de peinture et de vitrail, la semaine prochaine, au sein de l’ancienne église du Sacré-Cœur de Reims, aujourd’hui désacralisée.

La voix vite brisée par l’émotion, Sebastião Salgado parlait de ce fils dont la naissance a changé sa vie dès qu’il a vu la ligne de vie dessinée dans sa main. Il évoquait ses propres problèmes de santé, cette faiblesse physique qui lui était inhabituelle, mais presque par inadvertance. « Un lien très fort lie Sebastião Salgado et Rodrigo, relate Cyril Drouhet, directeur photo du Figaro Magazine. Il se faisait une joie d’aller à Reims, expliquant qu’après sa mort, dans cinquante ans, il ne restera plus rien de son œuvre, “alors que Rodrigo, à travers ses vitraux, sera là pour l’éternité”. »

« À travers l’objectif de son appareil, Sebastião s’est battu sans relâche pour un monde plus juste, plus humain et plus écologique, écrit pour sa part sa famille. Photographe parcourant le monde sans arrêt, il a contracté une forme particulière de malaria en 2010, en Indonésie, dans le cadre de son projet Genesis. Quinze ans plus tard, les complications de cette maladie se sont transformées en une leucémie sévère, qui a eu raison de lui. » « Outre son épouse Lélia, Sebastião laisse ses fils Juliano et Rodrigo, ainsi que ses petits-enfants Flávio et Nara », précisent encore ses proches.

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L’écouter raconter les mille histoires de ses périples

Comme les grands artistes, on parlait de lui par son seul patronyme, Salgado, un nom qui veut dite « salé » et qui racontait déjà le périple de ses ancêtres à travers l’Europe depuis l’Ukraine. Né le 8 février 1944 à Aimorés, dans l’État de Minas Gerais, au Brésil, ce rouquin au teint de lait a imposé au fil des ans et du succès son profil devenu presque ascétique de bonze ou de guerrier, crâne chauve, œil bleu, sourcils broussailleux et blancs, sourire presque permanent. La joie était sa nature ou sa politesse.

Le rencontrer dans son agence au bord du Canal Saint-Martin, à Paris, c’était s’arrêter au fil du temps. Regarder avec lui ses tirages somptueux, de l’Amazonie (Amazônia) à l’Alaska (Genesis). L’écouter raconter joyeusement les mille histoires de ses périples, souvent extrêmes, qui ont mis la condition humaine du côté de la mythologie, des esclaves des mines d’or (Gold) aux réfugiés de notre monde (Exodes). Dans son objectif, la beauté ne se faisait pas oublier, des feux de la guerre comparables à l’Enfer, au monde premier de la jungle amazonienne, avec ses belles comme des nus de Gauguin.

« Il n’a cessé de parcourir le monde »

À la suite d’études en économie à l’Université de São Paulo puis à la Vanderbilt University aux États-Unis, Sebastião Salgado avait intégré l’Organisation internationale du café (OIC). Dans le cadre de ses missions, il voyagea partout et commença à photographier avec cette envergure qui est devenue sa signature plastique. Cette rigueur des faits et de l’observation est très présente dans son travail d’artiste qui paraît balayé d’un souffle hugolien. En 1973, il quitte son travail et inverse sa perspective sur le monde. « Depuis, il n’a cessé de parcourir le monde pour dénicher et capturer en images les plus beaux endroits de la planète. Jusqu’en 1994, il collabore avec les agences Sygma, Gamma et Magnum Photos puis il fonde avec son épouse, Lélia Wanick Salgado, l’agence de presse Amazonas Images », rappelle la galerie Polka, son alliée historique à Paris, qui vient de montrer ses sublimes tirages platinum à Photo London. Lorsque l’on visitait son studio, il aimait montrer les photos de leur jeune couple au Brésil, radieux, nu et libre.

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De 1977 à 1984, Salgado a parcouru l’Amérique latine, visitant les villages montagnards les plus inaccessibles. Les photographies prises au cours de ce périple sont publiées dans le livre Autres Amériques (Other Americas), en 1986. Cette même année, Salgado entreprit un autre projet consacré au système de production mondial qui le mène dans vingt-six pays. Il s’intéresse à l’évolution du travail manuel : La Main de l’homme, l’ouvrage rassemblant le fruit de ces voyages sera publié en 1993. L’année suivante, Salgado s’intéresse à la multiplication des migrations humaines causée par les événements politiques de l’époque. Il effectue trente-six reportages sur cette question, ne ménageant jamais ses forces, dépassant sans cesse ses propres limites. Exodes, le livre qui les rassemble, paraît en 2000 ainsi que Les Enfants de l’exode qui décrit le sort des enfants de ces populations déplacées. Salgado, adoré du public, fit aussi le bonheur des éditeurs, à commencer par Benedikt Taschen.

Ses reportages ont reçu de nombreuses récompenses dont le prix W. Eugene Smith pour la photographie humaniste en 1982, le World Press Photo en 1985 et le Visa d’or à Visa pour l’Image en 1990.

« Son épouse a toujours veillé à tout »

L’amour de la nature dans son échelle presque inhumaine, son admiration pour la faune sauvage synonyme d’un monde premier parfait, voire d’un paradis perdu – une panthère qui vient boire au fleuve et qui fixe l’objectif, la main de l’iguane qui ressemble à celle de l’homme -, son regard porté sur son prochain, parfois le plus lointain, ont façonné une œuvre au noir et blanc somptueux, au message humaniste qui a fait mouche. L’immense succès de Sebastião Salgado tient dans cette alliance du sensible et du professionnel, de l’étranger et du familier, de l’exotique et de l’universel, du détail et de l’ensemble, du vide extrême d’un paysage et de la concentration dantesque d’une mine. Malgré la brutalité du monde, son œuvre photographique en traduit d’abord la beauté qu’il faut voir, rechercher et protéger.

À ce titre, Sebastião Salgado était fier de la forêt qu’il avait fait renaître avec son épouse Lélia Wanick Salgado sur une terre dévastée par l’exploitation humaine. Celle qui se tenait à ses côtés, et non derrière lui, comme il aimait à le dire, était une partie intégrante de la carrière du photographe. « Elle a toujours veillé à tout, aux tirages, eux expositions, aux éditions », raconte Cyril Drouhet, directeur photo du Figaro Magazine. En 1998, Salgado et sa femme avaient créé ensemble l’institut Terra, une expérience évolutive dont le but initial est de replanter les arbres de la vallée du Rio Doce au Brésil et qui a pour objectif de replanter la forêt atlantique, qui y exista jadis. Il montrait les photos avant/après de son royaume, hier pelé et jaune, désormais vert et peuplé d’animaux, comme le symbole de sa réussite sur Terre.

Il n’avait pas oublié le langage de l’économiste pour défendre son projet. Plutôt que de regarder le coût des arbres mis à terre, il faudrait plutôt prêter attention à celui des arbres à replanter, expliqua-t-il à l’Agence française pour le développement. « Il faut au moins 2 000 euros pour refaire un hectare de forêt, qu’il faut ensuite multiplier par les millions d’hectares abattus. » En 2016, Sebastião Salgado avait rejoint l’Académie des beaux-arts de Paris dans la section Photographie et a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur. Jamais l’habit vert ne fut plus mérité.

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