Concentrée en Ukraine, la Russie céderait progressivement son extrême-orient à la Chine (GEO)

Marie Lombard 12/12/2025, 9:58 Géopolitique

Soutenue en Ukraine grâce aux armes chinoises et nord-coréennes, la Russie pourrait être contrainte d’accepter un afflux croissant de capitaux et de main-d’œuvre venant de Pékin et Pyongyang dans ses régions orientales.

Partiellement privée des ressources occidentales, la Russie a eu tôt fait de demander l’aide de ses alliés stratégiques et économiques orientaux pour soutenir sa guerre en Ukraine.

Un pari gagnant pour Moscou, dans un premier temps : les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine ont atteint en 2023 le chiffre record de 240 milliards de dollars (221,78 milliards d’euros), selon Reuters qui reprend les bilans de Pékin.

« En peu de temps, la Chine a remplacé l’Union européenne en tant que premier acheteur d’énergie et fournisseur de biens de la Russie, donnant à cette dernière à la fois des liquidités et les produits manufacturés dont elle a besoin pour survivre », pointaient en février les analystes Yanmei Xie et Thomas Gatley, dans une note pour la société d’études économiques Gavekal reprise par GEO.

Un partage d’influence à l’Est

Mais les alliés de Moscou se montrent de plus en plus gourmands, et leur aide stratégico-militaire se paie cher, très cher. C’est en tout cas la conclusion à laquelle est parvenu le Service de renseignement extérieur ukrainien, qui observe une perte progressive de contrôle de la Russie sur son Extrême-Orient, au profit de la Chine et de la Corée du Nord. Une évolution préoccupante pour le Kremlin qui, selon Kiev, transforme cette région stratégique en zone d’influence partagée entre deux puissances nucléaires.

Privé des moyens nécessaires pour développer efficacement son plus vaste territoire administratif – le District fédéral de l’Extrême-Orient – le Kremlin multiplierait donc les compromis avec ses alliés asiatiques. Pékin y étend son empreinte économique de façon spectaculaire. D’après les estimations ukrainiennes, les investissements chinois dans la région pourraient atteindre 1 billion de roubles d’ici fin 2025, bien que la majorité des accords se concentrent sur le commerce plutôt que sur des infrastructures structurantes.

À titre d’exemple, le commerce bilatéral entre la Chine et l’oblast de Khabarovsk a augmenté de 5,5 millions de tonnes en 2024, et encore de 36 % au premier semestre 2025 selon le sénateur russe Viktor Kalachnikov, cité par Defense Express.

Et cette liaison fatale va au-delà de l’économie, bouleversant les perspectives d’une Russie en pleine crise démographique. Près de deux millions de citoyens chinois résident désormais entre l’orientale Vladivostok et l’Oural, une présence facilitée par un régime de visas assoupli et les avantages accordés dans les Territoires de développement avancé (TDA). Dans certaines zones, les enclaves chinoises dominent le tissu économique local, reléguant les travailleurs russes à un rôle marginal.

La Russie, vassale de Pékin ?

Parallèlement, la Russie a ouvert la porte à une main-d’œuvre bon marché, cette fois venue de Corée du Nord. Officiellement, 15 000 travailleurs nord-coréens ont été envoyés dans l’Extrême-Orient russe au cours des douze derniers mois. Officieusement, ils seraient près de 50 000, avec des demandes de contrats supplémentaires atteignant 153 000 postes. Ces travailleurs sont rémunérés au minimum légal, tandis que Pyongyang perçoit jusqu’à 500 millions de dollars par an dans le cadre de ce programme d’exportation de main-d’œuvre, selon le rapport ukrainien.

Le risque qui guette Moscou est celui de la perte de souveraineté sur ces territoires, avec la crainte ultime de Pékin consolide une forme de vassalisation économique, pendant que Pyongyang établit une relation de dépendance sociale et productive. L’un exploite les leviers du capital, l’autre, ceux du travail. L’enjeu est grand : ce sont près de 40 % du territoire russe — soit environ 7 millions de kilomètres carrés — qui pourrait devenir le terrain de jeu d’acteurs étrangers aux ambitions bien distinctes de celles du Kremlin.

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