Nucléaire : ça bouge…..

Approvisionnement: nous ne sommes pas autonomes, ni indépendants

Guerre en Ukraine. Des pays commencent à investir pour se passer de l’uranium de Rosatom

Le contexte de guerre en Ukraine met en exergue la dépendance des pays à l’uranium enrichi du groupe nucléaire russe, qui détient 40 % du marché. S’en défaire sera long, mais possible. États-Unis, Canada, Royaume-Uni et quelques Européens mettent les premiers millions sur la table pour développer des alternatives.Un long rapport de Greenpeace, rendu public ce samedi 11 février, documente l’extrême dépendance des pays nucléaires aux services de Rosatom, le leader russe de l’uranium. Petit producteur, mais gros transformateur de l’élément radioactif en combustible, grâce à ce que le jargon nucléaire appelle  conversion  et  enrichissement ».

La Russie de Poutine ne fait pas fortune avec ce marché : ses exportations d’uranium d’enrichi lui rapportent environ un milliard d’euros par an, quand le pétrole et le gaz injectent 200 milliards dans son tiroir-caisse. Cependant, Rosatom commence à inquiéter : le groupe vend actuellement des centrales clés en main, telle celle d’Akkuyu en construction en Turquie ou Paks en Hongrie, et assujettit, par contrat, les pays acheteurs à ses services pour une durée très longue. Comptez huit décennies minimum, de la construction au démantèlement si l’exploitation des réacteurs est d’une quarantaine d’années.

 La Russie est actuellement le plus grand constructeur au monde avec vingt-six réacteurs en chantier dans dix pays (Russie incluse). Et pas toujours dans des États où la démocratie est solide ​, indiquait à Ouest-France l’expert indépendant Mycle Schneider, lors de la publication du Rapport mondial sur l’industrie nucléaire, le 6 février. Contacté sur ses activités à l’international, le groupe Rosatom indique :  Nous avons toujours travaillé et continuons de travailler à travers le monde de manière transparente, dans l’intérêt de nos partenaires et dans le strict respect des lois internationales et nationales. 

Cependant, personne ne sait rien du chargement russe de plutonium (autre élément radioactif qui, mixé avec de l’uranium appauvri, donne un nouveau combustible, le Mox) livré en décembre sur l’île chinoise de Changbiao, très surveillée par les Américains. Il peut tout à fait s’agir de combustible destiné au réacteur de l’île. Mais dans ce cas,  pourquoi la Chine a-t-elle cessé de déclarer séparément ses stocks de plutonium civil et militaire , s’inquiètent des experts des Nations unies.

Invasion de l’Ukraine, tensions sino-américaines… La diplomatie internationale avait des raisons de sanctionner Rosatom. Les dirigeants et la filière industrielle mondiale ont visiblement choisi une autre voie : investir pour se passer de l’uranium enrichi russe. Ou plutôt réinvestir, car la faible demande de nucléaire ces dernières années avait conduit des compagnies occidentales à fermer des mines et à jeter au rebut les centrifugeuses qui servent à convertir l’uranium en combustible.

Le Département américain de l’énergie (DOE) développe depuis quelques mois un programme doté de 75 millions de dollars spécial uranium maison et a ouvert un groupe de travail commun pour ses entreprises. Trois sénateurs démocrates et républicains l’ont jugé peu ambitieux et ont déposé, en février, un projet de loi prêt à dégainer 3,5 milliards de dollars. Il n’a pas encore été adopté, mais le démocrate Joe Manchin, président de la commission sénatoriale de l’Énergie, a encouragé le DOE à financer des initiatives sans attendre le vote :  La sécurité et l’indépendance énergétiques des États-Unis sont impossibles lorsque nous continuons à compter sur la Russie et Vladimir Poutine pour alimenter nos réacteurs nucléaires. 

C’est fait depuis janvier. La société ConverDyn a reçu une première enveloppe de quatorze millions de dollars pour convertir de l’uranium en carburant pour les 92 réacteurs nucléaires américains. Elle va rouvrir l’usine située à Metropolis, dans l’Illinois, qu’elle avait justement fermée en 2017, à cause de la concurrence russe. ConverDyn pourrait fournir  une capacité de 15 000 tonnes par an , selon les experts américains Dory Castillo-Peters et Frank von Hippel, dans une estimation publiée dans le Bulletin des scientifiques de l’atome.À voir aussi :VIDÉO. Guerre en Ukraine : des bombardements russes privent de courant la population
Veuillez fermer la vidéo flottante pour reprendre la lecture ici.

Regain de concurrence

Le Royaume-Uni aussi a sorti le carnet de chèques. Depuis le 4 janvier, un fonds de 80 millions d’euros attend les industriels qui veulent rendre l’énergie britannique totalement indépendante de la Russie. Le ministre de l’Énergie et du climat Graham Stuart a déjà des clients. Rien n’a fuité, mais Urenco, groupe anglo-germano-néerlandais basé au nord de Londres, en bénéficiera. Il est déjà un concurrent sérieux de Rosatom.

L’Américain Westinghouse, via sa filiale britannique, est aussi sur les rangs. Cette entreprise est issue des démantèlements et rachats de la British Nuclear Fuels Limited, créée en 1971 et détenue par le gouvernement britannique. Du côté de la France, Orano espère aussi capter une part du marché s’il faut mettre Rosatom au ban : le groupe vient d’annoncer une extension de son usine d’enrichissement d’uranium au Tricastin (Drôme), afin d’augmenter de 30 % ses capacités de production. Framatome vient également de signer un accord avec la Bulgarie pour approvisionner une de ses centrales.Faut-il accorder à l’Ukraine une adhésion accélérée à l’Union européenne ?Débattez !

Selon de nombreux experts, les entreprises nord-américaines et européennes sont tout à fait capables de couvrir les besoins actuels du parc nucléaire mondial. Mais il faudra du temps. Pour Orano, par exemple, aucun uranium supplémentaire ne sortira du site du Tricastin avant 2030. «  Regardez l’Ukraine. Elle a mis plus de dix ans pour passer de l’uranium enrichi russe (en passant à celui de Westinghouse) », explique à Ouest-France, le scientifique Edwin Lyman, expert du nucléaire. Malgré les conseils généreux (intéressés ?) des États-Unis.

Edwin Lyman estime surtout que l’approvisionnement en uranium est loin d’être le seul domaine du nucléaire à poser problème. «  Rosatom est une nébuleuse qui a noué des contrats de technologie avec de nombreuses entreprises étrangères. Il ne sera pas facile de s’en passer ou de s’en défaire ». Ainsi, il se demande « comment la France va faire pour recycler le combustible usagé de ses centrales, que l’on peut largement qualifier de déchets, puisque la Russie possède le seul site au monde à le retraiter ».

Rosatom ne fait pas de cadeau

Contacté par Ouest-France, l’énergéticien français EDF confirme qu’il a signé  un contrat avec la filiale de Rosatom, Tenex, en 2017, pour vitrifier [ses] effluents sur le site de Seversk . Et rappelle que son conseil d’administration  a approuvé en 2018 la relance d’une filière robuste, compétitive et performante, de retraitement, avec des premiers chargements d’assemblages à Cruas (Ardèche) prévus à partir de 2023 ​. Avec l’espoir de retraiter 94 % de l’uranium usagé de son parc. Mais pour l’instant, le projet est seulement  approuvé .

Le groupe nucléaire russe se vante lui, de travailler main dans la main avec la filière française.  Nos pays sont des leaders dans le domaine des technologies nucléaires […] Notre coopération assure la sûreté des installations et l’efficacité économique de l’énergie nucléaire dans le monde entier.  Un langage de communication aimable.

Sur le terrain, Rosatom ne fait pas de cadeau. Elle réclame trois milliards d’euros au groupe énergétique finlandais Fennovoima, qui a mis fin à leur projet commun de la centrale Hanhikivi-1, en mai. Un tribunal international chargé des différends commerciaux a donné raison au groupe russe. Il y a bien rupture de contrat.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *