2024 année d’élections :77 pays et près de trois milliards de personnes appelées aux urnes

Au cours des douze prochains mois, un tiers des Etats organiseront des élections nationales, certaines particulièrement attendues comme la présidentielle américaine ou le scrutin européen. «Libération» vous résume les enjeux des votes à venir.

Une majorité d’Américains ne veut ni de l’un ni de l’autre, mais c’est bien une revanche entre Joe Biden et Donald Trump qui se profile le 5 novembre. (Scott Morgan/Reuters)

Incertaines ou jouées d’avance, confidentielles ou scrutées dans le monde entier : jamais une année n’aura été à ce point rythmée par les élections. Selon le décompte de Libération, près de trois milliards de citoyens dans 77 pays seront appelés aux urnes en 2024 pour des scrutins nationaux. Dans une trentaine d’entre eux, les citoyens désigneront leur président lors de consultations à la sincérité démocratique très variable, de Taiwan dès le 13 janvier à la Russie mi-mars, et aux Etats-Unis début novembre, point d’orgue de cette année record. Tour d’horizon des rendez-vous les plus attendus.

Etats-Unis (présidentielle, 5 novembre) : le match retour

Une majorité d’Américains ne veut ni de l’un ni de l’autre, mais c’est bien une revanche entre Joe Biden et Donald Trump qui se profile le 5 novembre. Très impopulaire malgré un solide bilan économique, affaibli par ses 81 ans et plus récemment par son soutien quasi sans failles à Israël dans sa guerre dévastatrice contre le Hamas, le sortant démocrate n’a aucun rival sérieux dans son propre parti. Quant à Trump, malgré 91 inculpations dans quatre affaires pénales – dont certaines portant sur ses tentatives d’invalider sa défaite face à Biden en 2020 –, son emprise sur l’électorat républicain ne montre aucun signe de fléchissement, à deux semaines des caucus de l’Iowa, première étape vers l’investiture. En cas de retour au pouvoir, Donald Trump promet un régime à la tonalité despotique, entre restriction du rôle du Congrès, vengeance judiciaire contre les démocrates et expulsions massives, ainsi qu’un virage nationaliste qui serait lourd de conséquences sur les deux points chauds du globe, le Proche-Orient et l’Ukraine. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le président russe, Vladimir Poutine, n’attendent que son retour.

Union européenne (législatives, du 6 au 9 juin) : l’extrême droite le vent en poupe

L’ombre d’une vague brune plane sur la plus grande élection transnationale au monde, où 400 millions d’électeurs seront invités à élire 720 eurodéputés du Parlement européen. Avec la montée du populisme d’extrême droite, en tête désormais aux Pays-Bas (Geert Wilders), en Italie (Giorgia Meloni), en Slovaquie (Robert Fico), en Finlande (Petteri Orpo), et toujours aussi solide en Hongrie (Viktor Orbán), ces élections ont de fortes chances de se jouer sur la défense des valeurs traditionnelles et contre l’immigration. En France, la liste du Rassemblement national, conduite par Jordan Bardella, est en tête des sondages. Chez nos voisins allemands, espagnols, et autrichiens, Alternative pour l’Allemagne (AfD), Vox, et le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) gagnent de plus en plus de terrain. Même en Pologne, malgré sa défaite aux élections législatives, le parti Droit et Justice (PiS) garde un poids considérable sur la campagne. Cette inquiétante contagion de l’extrême droite menace sans nul doute les grands équilibres du Parlement, dans une Europe toujours ébranlée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, où les Vingt-Sept sont sommés de statuer sur l’adhésion de l’Ukraine.

Taiwan (présidentielle et législatives, 13 janvier) : la règle de trois

Tenues simultanément, les élections présidentielle et législatives de Taiwan s’avèrent capitales pour l’avenir du pays et la stabilité régionale, alors que la Chine communiste ne cache plus ses préparatifs militaires pour une éventuelle invasion de l’archipel de 24 millions d’habitants. L’ombre de l’impérial voisin est donc au cœur de ce scrutin. Le Parti démocrate progressiste (PDP) de la présidente sortante Tsai Ing-wen, bête noire de Xi Jinping, va tenter de rempiler pour un troisième mandat avec de nouvelles têtes : l’actuel vice-président William Lai et sa colistière Hsiao Bi-khim, ancienne représentante du gouvernement Tsai aux Etats-Unis. En face, deux partis plus conciliants avec Pékin, le Parti nationaliste chinois du Kuomintang (KMT), ancien parti unique en perte de popularité, et l’indépendant Parti du peuple taïwanais (PPT) de l’ancien maire de Taipei, adulé par une partie de la jeunesse, pourraient bien séduire les électeurs désabusés des huit années Tsai, peu concluantes sur les avancées sociales. Le PDP maintient pour l’instant son avance dans les sondages – et pour cause, seuls 6 % des Taïwanais souhaitent une unification avec la Chine. Pour l’emporter, il devra faire mentir l’histoire : aucun parti n’a gagné trois présidentielles de suite à Taïwan.

Russie (présidentielle, du 15 au 17 mars) : zéro suspense

Sans aucune surprise, Vladimir Poutine devrait être réélu à sa succession, ce qui lui permettra de rester au pouvoir jusqu’en 2030, et même en 2036, s’il décide de rempiler, comme le lui permet la loi depuis qu’il a modifié la Constitution dans ce sens en 2020. Dans la série des scrutins totalement prévisibles en Russie, la présidentielle de 2024 devrait battre tous les records. Tant et si bien que la commission électorale n’a même pas pris la peine d’enregistrer, ne serait-ce que pour la forme, de candidats un tant soit peu inattendus, comme par le passé. Аu Kremlin, aucun suspense : lorsqu’on lui a demandé à quoi devrait ressembler le prochain président de la Russie, Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence, a répondu : «Le même que Poutine. Ou différent, mais pareil.» Les sondages (officiels) donnent (évidemment) sa côte à plus de 75 %. Depuis 2004, les élections présidentielles russes ne comportent pas le moindre suspense, l’indicateur essentiel pour le Kremlin n’est donc pas le score, mais le taux de participation. L’objectif fixé pour 2024 est de 80 % pour Poutine, avec un taux de participation de 70 à 80 %.

Venezuela (présidentielle, second semestre) : Maduro ou pas ?

Le chavisme va-t-il se maintenir au pouvoir après un quart de siècle de règne au Venezuela ? Le président Nicolás Maduro, héritier d’Hugo Chávez, devrait briguer un troisième mandat à la tête de ce pays pétrolier marqué par l’hyperinflation et la fuite de plus de 7 millions de ses concitoyens depuis 2015. Après sa réélection contestée en 2018, alors que plusieurs partis avaient été interdits de présenter un candidat, le chef de l’Etat est désormais en négociation directe avec l’opposition et avec les Etats-Unis. Washington lui réclame davantage de transparence démocratique contre une levée progressive des sanctions américaines, dont l’imposition en 2019 a empiré une crise économique déjà sévère. En face, la très libérale et conservatrice María Corina Machado, choisie en octobre pour représenter l’opposition, attend son tour en espérant voir la levée de son inéligibilité.

Sénégal (présidentielle, 25 février) : ouverture démocratique

En anonçant en juillet qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, Macky Sall a fait de la présidentielle sénégalaise l’un des scrutins les plus incertains du continent pour l’année à venir. Son successeur désigné, le Premier ministre Amadou Ba, un technocrate de 62 ans, est reconnu pour sa compétence mais est peu charismatique. Face à lui, les opposants se bousculent. L’ancien maire de Dakar Khalifa Sall et le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, Karim Wade, pourront cette fois concourir, après avoir été longtemps écartés de la course par des affaires judiciaires. Mais la grande inconnue sera la validité de la candidature d’Ousmane Sonko, un feuilleton qui a tenu le Sénégal en haleine tout au long de 2023. Depuis sa prison – il est inculpé pour «atteinte à la sécurité de l’Etat» et a été condamné en juin pour «corruption de la jeunesse» –, la coqueluche de la jeunesse contestataire a pu déposer son dossier au Conseil constitutionnel avant la date limite du 26 décembre. Des rebondissements sont encore à prévoir.

Royaume-Uni (législatives, date inconnue) : le retour du Labour

Mai ou octobre ? Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, l’a confirmé juste avant Noël : les prochaines élections générales au Royaume-Uni se tiendront en 2024. Techniquement, le mardi 28 janvier 2025 est la dernière date à laquelle la prochaine élection pourrait se tenir, cinq ans après le dernier scrutin. Mais Rishi Sunak veut accélérer le mouvement. Après treize années au pouvoir, les tories sont loin derrière le Labour de Keir Starmer dans tous les sondages. Au-delà de l’usure naturelle du pouvoir, les conservateurs, qui se sont, notamment ces dernières années, de plus en plus radicalisés à droite, n’affichent pas un bilan glorieux, avec une économie au ralenti, une gestion du Covid calamiteuse et des scandales de corruption à répétition. Le parti a certes «mis en œuvre le Brexit», sorti le Royaume-Uni de l’Union européenne. Mais, plus de sept ans après le référendum et trois ans après la sortie effective du marché commun, les bénéfices annoncés se font toujours attendre et une majorité des Britanniques estime désormais que le Brexit a eu un effet négatif sur l’économie du pays.

Inde (législatives, printemps) : BJP forever

Près d’un milliard d’électeurs seront appelés aux urnes au printemps prochain pour renouveler la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement national indien. Au pouvoir depuis 2014, le Bharatiya Janata Party (BJP) – parti du Premier ministre Narendra Modi – est donné largement vainqueur, et devrait permettre au leader nationaliste hindou de briguer un troisième mandat. Mais il devra faire face cette année à la nouvelle alliance scellée en juillet par l’opposition, qui a mis ses différends de côté pour présenter un front uni. Baptisée India, la coalition rassemble autour du parti du Congrès – autrefois à la tête du pays avant l’écrasante victoire du BJP – plus d’une vingtaine de partis d’opposition. Leur objectif : empêcher Modi de poursuivre sa stratégie d’hindouisation de la société, alors que les libertés civiles disparaissent une à une dans ce pays devenu en 2023 le plus peuplé du monde.

Mexique (présidentielle, 2 juin) : la revanche des femmes

Pour la première fois de son histoire, une femme prendra la tête du Mexique en 2024. Incarnation d’un nouveau progressisme latino-américain, le duel féminin en lice pour succéder à Andrés Manuel López Obrador – qui sort d’un mandat non renouvelable de six ans – oppose Claudia Sheinbaum, ancienne maire de Mexico désignée par le parti de gauche au pouvoir Morena, favorite du président sortant et dans les sondages, à Xóchitl Gálvez, désignée par l’alliance des trois partis de l’opposition qui ont (très) longtemps gouverné le pays. Moins expérimentée que sa rivale, la sénatrice du Parti d’action nationale (PAN) n’a rien du moule standard de la droite latino-américaine : elle est féministe, favorable à l’avortement et aux droits de la communauté LGBT +. Preuve que les partis traditionnels mexicains ont dû effectuer un grand écart idéologique pour faire face au rouleau compresseur électoral de Morena : le parti du président sortant gouverne 21 des 32 Etats du pays et dispose de la majorité au Congrès, avec ses deux partenaires de coalition.

Indonésie (présidentielle et législatives, 14 février) : risque de dérive dynastique

Après deux mandats consécutifs, le président indonésien Joko Widodo tire sa révérence. Mais pas sans avoir pris une étonnante décision : soutenir tacitement la candidature de son ancien rival et actuel ministre de la Défense, Prabowo Subianto. Avec à ses côtés comme colistier nul autre que le fils de «Jokowi», Gibran Rakabuming Raka, âgé de 36 ans et potentiel vice-président grâce à une modification in extremis de la loi électorale. Un tandem qui signe une dérive dynastique selon l’opposition, mais soutenu par la coalition Advanced Indonesia (KIM). Face à Prabowo – ancien officier des forces spéciales accusé de violations des droits humains –, deux autres candidats sont en lice pour diriger la troisième plus grande démocratie au monde : Ganjar Pranowo (PDI-P), ancien gouverneur de Java central, et Anies Baswedan, ancien gouverneur de Jakarta et considéré comme proche des musulmans conservateurs. Actuellement en tête dans les sondages, Prabowo Subianto a d’ores et déjà assuré qu’il suivrait les traces du président sortant, en se réconciliant avec ses adversaires politiques en cas de victoire.

Afrique du Sud (législatives, printemps) : la fin d’une hégémonie

C’est peut-être une élection historique qui se profile en mai en Afrique du Sud : longtemps auréolé par sa lutte contre le régime raciste de l’apartheid, le Congrès national africain (ANC) est pour la première fois menacé de perdre la majorité absolue au Parlement, qui désigne le président. Ce serait la fin de l’hégémonie pour le parti de Nelson Mandela, premier président noir élu en 1994. Trente ans plus tard, le désenchantement domine, face aux scandales de corruption, à la faillite des services publics, à un chômage à plus de 30 %, et à une criminalité affolante. En août, une coalition de partis d’opposition s’est formée contre l’ANC. Mais l’alternative peine encore à convaincre. Et c’est plutôt l’abstention qui menace. Reste qu’une page pourrait se tourner, incitant à une recomposition du paysage politique dans un pays aux illusions perdues.

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