Bilan COP 28 selon Brice Lalonde: « je crains qu’il n’y ait un fossé entre les discours et la réalité ».

Dans cet entretien au Monde de l’Énergie, Brice Lalonde, président d’Equilibre des énergies, ancien ministre de l’environnement et ancien ambassadeur des négociations internationales sur le climat, dresse le bilan de la COP28, qui s’est tenue aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 13 décembre 2023.

Le Monde de l’Énergie —La COP28 s’est achevé le 12 décembre 2023. Quel bilan général peut-on en tirer ?

Brice Lalonde —D’abord que c’était une COP des excès, avec 100 000 participants, j’allais dire visiteurs. On aurait dit l’exposition universelle avec une centaine de bâtiments, des attractions, beaucoup d’argent dépensé. Elle s’est achevée sur un accord. C’est déjà ça. Les participants ont applaudi pendant une longue minute le texte final, considérant que c’était une réussite. Il fait 23 pages dans lesquelles on annonce le triplement des renouvelables, le doublement de l’efficacité énergétique, le recours aux techniques bas-carbone, la réduction des émissions de méthane, j’en passe, le tout en rappelant que, pour rester en-deça d’une augmentation de température de 1,5°C, les émissions devaient être réduites de 43% en 2030 et 60% en 2035 par rapport à 2019 pour atteindre la neutralité carbone autour de 2050. L’accord admet que le gaz naturel peut constituer une solution provisoire et que les techniques de captation du carbone peuvent être utiles. Les débats ont inclus des journées sur l’agriculture, l’alimentation, la santé. En somme une COP des annonces, non seulement dans l’accord négocié, mais aussi dans la partie non officielle où des Etats, des entreprises, des associations ont multiplié les initiatives.

Le Monde de l’Énergie —La mention des énergies fossiles dans la déclaration finale vous semble-t-elle « historique », comme affirmé par certains (dont le gouvernement français), ou « insuffisante », comme défendu par d’autres ?

Brice Lalonde —C’est une première, la communauté internationale affirme qu’il faut engager une transition hors du pétrole. Ce qu’on savait déjà, mais que les conférences précédentes n’avaient jamais dit, se contentant de prôner la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En ce sens c’est historique, mais symbolique, car la seule contrainte de l’accord de Paris, c’est l’obligation faite aux Etats d’avoir un programme de lutte contre le changement climatique et de renforcer ce programme tous les 5 ans. Ce qu’ils doivent faire en 2025, à Belem pour la COP 30. Il faudra alors vérifier qu’ils auront mis en oeuvre cette transition dans leurs nouveaux programmes.

Le Monde de l’Énergie —La présidence émiraties a-t-elle justifié les craintes qu’elle avait fait naître ?

Brice Lalonde —Le président Al Jaber a fait un excellent travail de président, il a couru le monde, il a mis de l’argent sur la table le premier jour de la COP, il a bien mené les débats, il a fait accepter à son collègue saoudien le texte final. Et le lendemain de l’accord il a annoncé que son entreprise allait continuer à investir dans le pétrole.

Le Monde de l’Énergie —Quelles autres annonces saillantes peut-on retenir de cet événement ?

Brice Lalonde —Il y eut des avancées financières pour certains des fonds de la convention, dont celui qui avait été créé l’an dernier. Les négociateurs ont créé un cadre pour définir des objectifs d’adaptation car celle-ci devient une préoccupation majeure pour l’Afrique. Enfin, à côté des négociations, beaucoup d’annonces ont été faites : sur les véhicules à zéro émissions, sur l’industrie du froid, sur les matériaux de construction, sur l’hydrogène, sur la navigation, sur les batteries. Il faudra un récapitulatif des promesses et un tableau de bord pour les suivre. En revanche une question très importante n’a pu être réglée, celle des marchés carbone. Ceux-ci sont un élément indispensable de la coopération internationale, mais les adversaires des marchés se sont déguisés en puristes de l’environnement pour faire échouer les négociations. Il faudra les reprendre à Bakou.

Le Monde de l’Énergie —Plus globalement, estimez-vous que cette COP28 a répondu à l’urgence climatique actuelle, dont de plus en plus d’États et d’organisation semblent prendre conscience ? L’objectif des 1,5°C vous semble-t-il encore atteignable ?

Brice Lalonde —Je crains qu’il y ait un fossé entre les discours et la réalité. Nous sommes déjà à 1,5°C d’augmentation de la température dans certains endroits du monde. La croissance des émissions, notamment du méthane, et la durée de résidence du CO2 dans l’atmosphère m’inclinent à penser que nous dépasserons momentanément cette limite des 1,5°C. Il va falloir aller plus vite, sortir des guerres qui détournent l’attention et les financements, accélérer aussi les mesures d’adaptation.

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