Vive la pensée systémique! A quoi bon rever de nourrir le monde avec l’aquaculture si on n’integre pas les effets du réchauffement?
RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET RISQUES ENVIRONNEMENTAUX : L’AQUACULTURE AU BORD DE LA NOYADE
Changer de cap ou couler. C’est en somme le dilemme auquel doit faire face l’aquaculture. Avec une croissance de 6 % par an, le secteur semble en pleine forme. Et pourtant, selon le groupe d’investisseurs éthiques Fairr, il est confronté à des risques environnementaux majeurs, à une dépendance aux antibiotiques et au réchauffement climatique. Une urgence à laquelle il doit vite s’adapter pour ne pas sombrer.
C’est un gros poisson. L’aquaculture représente aujourd’hui 232 milliards de dollars avec une croissance de 6 % par an depuis 2000. Les actionnaires s’en donnent à cœur joie avec des rendements pouvaient atteindre jusqu’à 400 % sur cinq ans. Elle a même dépassé la pêche sauvage en tant que principal fournisseur de produits de la mer dans l’alimentation mondiale. « C’est une thèse prometteuse pour tout investisseur. Mais ça ne raconte pas toute l’histoire », prévient Jeremy Coller, fondateur de Fairr, un réseau d’investisseurs qui s’intéresse aux risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et représente 12 000 milliards de dollars.
Si la croissance du secteur est bonne, elle repose sur un élevage intensif à haute empreinte environnementale. Fairr estime par exemple que la production de crevettes peut être aussi polluante, en termes d’émissions, que la production de bœuf. Les effluents sont également un problème coûteux environnementalement et financièrement. Au Chili, les eaux usées issues des activités aquacoles ont coûté près de 800 millions de dollars. Elles ont participé à la prolifération d’algues toxiques qui a tué près de 27 millions de poissons soit 20 % de la pêche de saumon de l’année.
Une réduction de la production à cause du réchauffement climatique
« Les investisseurs doivent être conscients des risques liés à la durabilité dans le secteur de l’aquaculture avant de s’y implanter trop profondément », a défendu la directrice du réseau d’investisseurs éthiques, Maria Lettini. « Des effluents aux émissions, ce secteur doit relever d’importants défis en matière d’environnement et de santé publique s’il veut prospérer à long terme », ajoute-t-elle.
Avec de forts impacts environnementaux, le secteur se tire une balle dans le pied. Car il est et va être un des premiers touchés par le réchauffement climatique. Fairr estime qu’en raison de la hausse de la température des mers et de l’acidification des océans, la production de poissons d’élevages en Asie du sud va chuter de 30 % d’ici 2030.
Et il ne faudra pas compter sur les poissons sauvages non plus. Car l’aquaculture est en train d’en épuiser les stocks. Le saumon et les crevettes d’élevage sont nourris avec de la farine et de l’huile de poissons. « Nous pensions que le poisson d’élevage sauverait nos stocks sauvages dans les océans, mais il est maintenant évident que nous utilisons du poisson capturé dans la nature pour nourrir nos poissons d’élevage, et cela pose de véritables problèmes », a confié au Guardian Maria Lettini.
Se responsabiliser pour réduire l’insécurité alimentaire
Et la trop grande dépendance des poissons d’élevage aux antibiotiques pour assurer la production est très risquée. Une étude estime même que le saumon chilien utilise près de dix fois plus d’antibiotiques que le poulet. « Il est essentiel que les principaux producteurs de poissons du monde reconnaissent les problèmes ESG tels que les antibiotiques comme des risques commerciaux et prennent des mesures urgentes pour y remédier », a déclaré au Financial Times Solange Le Jeune, analyste ESG chez Candriam.
Mais tout n’est pas à jeter dans l’aquaculture. Le secteur peut encore se responsabiliser pour réduire l’insécurité alimentaire tout en ayant un impact moindre sur l’environnement. Plusieurs pistes sont évoquées comme l’utilisation d’huile d’algue pour nourrir les poissons d’élevage, l’emploi de probiotiques pour réduire la dépendance aux antibiotiques ou encore l’emploi des invendus alimentaires pour élever des larves qui serviront à nourrir les poissons.
Marina Fabre, @fabre_marina NOVETHIC