Écologie : « Peut-on sauver le monde sans l’emmerder, comme le dit Marie Toussaint ? » Une approche de plus en plus existentielle.

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  • Gauthier SimonDoctorant en science politique à l’Université de Bordeaux et enseignant à Sciences Po Bordeaux 

Interrogée sur la crise des agriculteurs, Marie Toussaint a affirmé que les écologistes n’étaient « pas là pour emmerder le monde ». Une préoccupation récurrente chez les militants écologistes, dont beaucoup privilégient le témoignage des bonnes pratiques aux discours culpabilisateurs, développe Gauthier Simon, doctorant en science politique.

  • Gauthier Simon, 
  • le 09/02/2024 à 08:46
Écologie : « Peut-on sauver le monde sans l’emmerder, comme le dit Marie Toussaint ? »
Marche pour le climat à Bruxelles, le 3 décembre 2023. Peut-on « sauver (écologiquement) le monde » sans l’« emmerder » ?, se demande Gauthier Simon.NICOLAS LANDEMARD / LE PICTORIUM/MAXPPP

« Nous les écologistes, nous ne sommes pas là pour emmerder le monde, mais pour le sauver. » Le 29 janvier dernier, voilà ce qu’a déclaré Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, à Jean-Jacques Bourdin à propos des agriculteurs. Deux jours plus tard, Les Républicains affirment dans leur livre blanc qu’« il faut arrêter d’emmerder les agriculteurs ».

Si la question porte sur la conformité aux législations et réglementations en matière d’agriculture, il est également possible de la transposer à l’adhésion individuelle que suppose la conversion écologique. Alors, en passant d’une approche descendante à une approche ascendante, peut-on « sauver (écologiquement) le monde » sans l’« emmerder » ?S’informer avec calme, recul et confiance est plus que jamais nécessaireLa Croix Numérique1€ le premier mois, sans engagementJe m’abonneÀ lire aussiColère agricole : les écologistes assument des convergences, mais aussi une divergence de modèle

La « conversion écologique » est entendue ici comme la promesse d’un changement individuel d’abord, puis, potentiellement, collectif ensuite, dans un objectif de sauvegarde de l’environnement. En la comparant à la conversion religieuse, elle s’articule à des logiques de salut individuel (se sauver) et collectif (sauver le monde).i

Ces dernières s’inscrivent dans la plausibilité, voire dans la certitude, de la catastrophe climatique. Car le sentiment de culpabilité verte ne s’éprouve plus seulement dans le faire mais de plus en plus dans l’être. C’est en raison de la dimension existentielle de la conversion écologique qu’il s’agirait de parler d’un « intégralisme écologique », à propos de la manière dont l’écologie ambitionne de recouvrir toutes les sphères de l’existence.

« Sauver le monde » sans être l’« emmerdeur »

À défaut d’une institution entérinant la conversion, comme pour la conversion religieuse, dans la conversion écologique, ce sont les autres, amis, collègues ou militants, qui remplissent cette fonction. La conversion écologique s’appuie sur une nécessité de témoigner, d’autant plus que le « tout est écologique » de l’intégralisme multiplie les occasions de le faire quotidiennement. Il reprend le « tout est politique » des féministes des années 1970, remettant en cause le principe de séparation entre les sphères publique et privée.

Cette extension continue du domaine de l’écologie est porteuse d’un antagonisme potentiellement fort avec le monde et les modes de vie des autres. Des militants se plaignent d’être l’« ayatollah vert » ou la « Cassandre », le prophète maudit qui n’est pas cru. Voici le témoignage un peu désabusé d’un animateur de la Fresque du climat lorsqu’il ose aborder la crise écologique : « Je me suis pris la tête avec tout le monde et des proches… Je suis un grincheux, je n’apporte que des mauvaises nouvelles… »À lire aussiHuit ans après « Laudato si’ », l’Église de France est-elle vraiment plus « écolo » ?

C’est désormais une tautologie : le prosélytisme vert passe plus par l’implicite des pratiques que par l’explicite des discours. « Ce qui évite des remarques désagréables à la longue du type “arrête de me faire chier” », concède une militante rencontrée au Campus de la transition. C’est seulement à partir de leurs pratiques, les plus exemplaires possible, qu’ils fourniront des efforts pédagogiques d’explication. Est-ce toutefois suffisant, efficace pour « sauver le monde » ?

« Emmerder » pour « sauver » ?

Le slogan « fin du monde, fin du mois » s’installe dans les débats depuis les gilets jaunes. N’y aurait-il pas une autre dialectique entre la « fin du monde » et la « fin du moi » ? L’urgence climatique bouscule, voire inverse, une longue trajectoire historique pendant laquelle le sujet définissait sa norme de l’intérieur (de l’homme à l’homme). À l’heure de la crise écologique, la norme s’édicte de plus en plus de l’extérieur (de la nature à l’homme).

Ou plutôt, à partir de l’extérieur, puisqu’elle ne dérive pas directement de la nature, mais transite par l’intermédiaire qu’est la politique. Alors que la temporalité longue, bavarde de la démocratie n’est pas la temporalité courte, laconique de la crise environnementale, les écologistes ont souvent l’impression désagréable d’être écologiquement croyants et pratiquants dans un monde qui ne l’est pas. Ils se sentent en avance dans leur mode de vie et le font parfois savoir, d’où l’analogie religieuse du prophète. Toutefois, moins en tant que héraut qu’en tant qu’héros du quotidien : « Être zéro déchet, c’est comme être super Ryan »,reconnaît un militant qui essaie de convertir ses proches.À lire aussi« L’écologie, c’est une conversion intérieure de notre rapport au vivant »

L’écologiste « emmerde » à partir du moment où il préconise des limites à la liberté individuelle. Un élu municipal vert développe : « “C’est pas grave de consommer des produits Shein fabriqués en Chine parce que c’est ma liberté de le faire”… Bah non, y a des limites ! » À défaut d’avoir des lois recouvrant toutes les sphères de l’existence (alimentation, transport, énergie…), les individus doivent édicter eux-mêmes leurs normes écologiques à suivre. Cette autolimitation du moi entraîne parfois une fatigue mentale, voire une déconversion écologique.

Tant que le paradigme du changement écologique reposera davantage sur des mécanismes d’adhésion individuelle (sa loi), que sur du conformisme collectif (la loi), dans leur volonté de « sauver le monde », les écologistes risquent de garder cette étiquette d’« emmerdeurs » encore longtemps.

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